APRÈS l’hôpital de Colmar, l’hôpital de Troyes est le deuxième en France à mettre en musique l’accord national signé le 12 août 2005 entre les ministères de la Santé et de l’Intérieur. Le 29 mars dernier, l’établissement et la police ont passé un accord local en vue de prévenir les violences dans l’enceinte de l’hôpital.
Non pas que les agressions y soient très fréquentes : cinq actes de violence contre le personnel ont été recensés depuis l’été dernier – plus du double si l’on ajoute les injures et incivilités. Les faits se déroulent aux urgences trois fois sur quatre. Rapporté aux 40 000 passages enregistrés chaque année dans le service, ce chiffre peut sembler dérisoire. D’autant que Troyes n’est pas connu pour être un haut lieu de la délinquance. En novembre 2005, lors des « émeutes de banlieues », il y a bien eu quelques voitures incendiées dans les deux quartiers sensibles de la ville. Mais «rien à voir avec la situation vécue par certaines banlieues parisiennes», admet volontiers le directeur de l’hôpital.
Pour autant, Alain David refuse de prendre le risque des violences hospitalières à la légère. «Le phénomène se développe. Les hôpitaux, pendant longtemps, ont été protégés des situations de violence, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui», estime le directeur, citant en exemple le cas de ce praticien récemment victime de morsures et d’une tentative d’étranglement, qui a dû son salut à l’intervention de cinq policiers .
Punching-ball.
Nicole Regnier est cadre supérieure aux urgences de l’hôpital de Troyes. Cette recrudescence des agressions, elle la subit chaque jour. Et le vit de plus en plus mal : «Pour nous, soignants, c’est un peu la goutte d’eau. On peut tolérer la violence psychologique si elle est liée à la maladie du patient. Mais l’agressivité ordinaire, elle, est difficile à accepter. On n’est pas là pour servir de punching-ball.» Plusieurs de ses collègues ont eu des arrêts de travail, parfois longs, après avoir été frappés. Pour un oui ou pour non : «A peine arrivés, les gens nous agressent, certains cassent tout. On a déjà vu des règlements de comptes aux urgences à coups de batte de base-ball et de cutter», relate l’infirmière, convaincue que «la situation n’est pas pire ici qu’ailleurs». Alors, le remède ? Nicole Regnier pense qu’une réorganisation du service s’impose : «Le temps d’attente aux urgences est un facteur aggravant», constate la soignante également favorable à l’embauche de vigiles pour l’effet «dissuasif».
Le directeur y a bien pensé il y a de cela quelques années. Mais il a trouvé sur sa route les syndicats de personnel opposés à l’idée d’un redéploiement des moyens dans ce sens. Plutôt que d’aller au conflit, Alain David a préféré développer la vidéosurveillance, tout en renforçant la sécurisation des entrées – l’hôpital ferme maintenant à 21 heures. Des mesures nécessaires, mais insuffisantes puisque les actes de violence continuent d’augmenter. D’où le nouveau cap franchi il y a quinze jours, avec la signature d’un accord reliant le centre hospitalier et les services de police. Ce contrat est une application locale du protocole national paraphé l’été dernier par les représentants de la place Beauvau et de l’avenue de Ségur, et qui prévoit un renforcement des coopérations entre les services hospitaliers et policiers. Le document comprend plusieurs axes, notamment la désignation d’un correspondant permanent au commissariat de Troyes, et l’installation d’une ligne téléphonique directe entre les urgences et le commissariat pour un traitement prioritaire des appels. Philippe Rey, le préfet de l’Aube, parle d’une nouvelle ère : «La sécurité, ce n’est pas seulement l’affaire de la police. Un partenariat s’est déjà développé avec les HLM, l’Education nationale et les sociétés de transport. Aujourd’hui, c’est au tour de l’hôpital, qui doit rester un lieu de paix et de sécurité: cette nouvelle approche contractuelle doit permettre de prévenir les actes de violence.» Le directeur de l’hôpital, Alain David, se dit prêt à «collaborer» pour réduire les faits de violence, «car en centre hospitalier, nous ne sommes pas armés pour y faire face».
Les hospitaliers se sentent souvent dépassés quand arrive un patient interpellé ou détenu – la population carcérale est importante dans l’Aube. L’accord local a trouvé la parade : les personnes menottées et escortées entreront dans l’hôpital par une entrée particulière, à l’écart du grand public. Elles attendront le médecin dans un local spécifique, à l’abri des regards. Le protocole d’accord semble être parvenu à concilier les intérêts médicaux et policiers – sur le papier du moins. Mais ce n’est que dans les prochains mois que l’on pourra juger de son efficacité, selon que les faits de violence auront évolué à la hausse ou à la baisse.
L’initiative menée à Troyes devrait bientôt s’étendre au reste de la Champagne-Ardenne. C’est du moins le souhait du directeur de l’ARH (Agence régionale de l’hospitalisation), Patrick Broudic : «Des contacts ont été pris ailleurs entre les hôpitaux et la police pour formaliser les modalités d’intervention de la police; c’est particulièrement le cas pour les établissements psychiatriques», explique-t-il. L’objectif est de généraliser rapidement ce type de convention au niveau des principaux établissements de santé de la région.
> DELPHINE CHARDON
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