Pour Olivier Vérand, neurologue hospitalier et député PS de l’Isère, dans une société où « la santé a remplacé le salut et où le transhumanisme – le dépassement et la substitution de la nature humaine par les biotechnologies – est en vogue, le progrès technique défie l’intelligence humaine. La science évolue tellement vite que c’est à nous de nous y adapter ! » Or, la capacité et la vitesse de propagation de la science devancent quasiment systématiquement les débats de société qu’elle provoque. Les hospitaliers doivent ainsi apporter des réponses à leurs patients ou, pis, prendre des décisions sans forcément disposer du cadre pour le faire.
Un foisonnement d’avancées scientifiques… et d’interrogations
Faut-il considérer l’homme en pièces détachées ? Jusqu’où remplacer les organes ? Un corps bionique est-il encore humain ? Peut-on effectuer des recherches sur l’embryon humain ? Les nanocapteurs sont-ils dangereux ? Les exploits scientifiques et technologiques – corps artificiels, imprimante 3D, nanosciences – se multiplient et provoquent de très nombreuses interrogations et craintes auxquelles les professionnels de santé doivent répondre sans toujours en maîtriser tous les aspects. La communauté scientifique elle-même demeure d’ailleurs divisée sur ces évolutions, comme sur les cellules souches dont nul ne connaît encore les risques à long terme.
La gestation pour autrui (GPA) est un cas emblématique des tabous qui se confrontent à l’avancée de la science. « La peur de la GPA est revenue récemment en force à cause d’agitateurs d’idées, alors qu’elle était déjà légale dans certains pays et qu’elle a toujours existé, indique Michelle André, sénatrice PS du Puy-de-Dôme (Auvergne), qui a animé en 2008 un groupe de travail sur le sujet. On parle désormais de risque d’eugénisme, de marchandisation du corps… », alors même qu’elle suscite de réels espoirs comme pour les « filles distilbène », pour lesquelles c’est la seule méthode possible d’avoir des enfants.
De la même manière que la GPA, le vieillissement et l’euthanasie cristallisent les peurs de la société car ils interrogent ses valeurs et ses codes. Et bousculent profondément l’approche médicale. « Longtemps, les médecins ont considéré la mort comme l’échec même, explique Gilles Barroux, professeur agrégé de philosophie à l’université de Paris-Ouest Nanterre. L’évocation de la mort est récente dans les discussions et les formations des soignants. Elle fait changer la culture hospitalière, principalement centrée sur la conquête. »
Le corps humain au centre des interrogations sur le progrès
Il est une autre promesse qui interroge le corps médical autant que la société : la médecine personnalisée et prédictive, laquelle vise à déterminer, par l’étude des gènes, la probabilité de développer une maladie donnée. Si elle améliore la prévention des pathologies et promet un usage plus efficace et juste des médicaments, elle fait aussi craindre d’aboutir au surdiagnostic, voire au contrôle des naissances et de l’espérance de vie. On touche ici du doigt le syndrome de Bienvenue à Gattaca, film d’anticipation de 1997 dont le thème est la perfection génétique qui seule régit la société. Pour Gilles Barroux, la généralisation des analyses anticipées induites par le principe de précaution pourrait d’ailleurs avoir un effet contre-productif en générant une anxiété chez les patients sains.
L’évaluation du progrès scientifique et son acceptabilité par nos sociétés ont fait du corps humain l’un de ses principaux terrains de jeu aujourd’hui. Et l’hôpital est l’épicentre des problématiques éthiques mais aussi pratiques qui en découlent. Mais trop souvent, les équipes soignantes se retrouvent seules face à ces problématiques provoquant un réel malaise. Certes, elles peuvent compter sur les comités d’éthique des établissements ou sur les équipes « volantes » du Comité consultatif national d’éthique (CCNE). Mais la fréquence ainsi que la multiplicité des progrès et surtout l’ampleur de leur portée requièrent une réponse de la société dans son ensemble. Réponse que les législateurs, faute de « sortir des confrontations idéologiques qui animent la scène médiatique et politique », comme le souligne Gilles Barroux, n’arrivent pas à apporter. Seuls, on vous dit.
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