« Au moins dix ou quinze fois par jour, j'ai des patients qui, à la fin de la consultation, me parlent du projet d'aéroport et du stress qu'il suscite chez eux. Auparavant, je parvenais à les tranquilliser quelque peu en leur disant que la décision n'était pas encore formellement arrêtée. Je vais devoir revoir mon argument », note, désabusée, le Dr Corinne Lartisien, qui remplace tous les jeudis l'un des quatre généralistes installés à Chaulnes.
Le territoire de ce paisible chef-lieu de canton, avec ses quelque 4 000 habitants, au cur du pays picard, dans les champs fertiles du Santerre plantés de betteraves, a donc été préféré par le gouvernement aux sept autres sites* qui se disputaient l'installation du troisième aéroport francilien.
« Ici, vous ne trouverez personne pour se féliciter de cette décision, poursuit le Dr Lartisien. Les vieux sont ceux qui s'y résignent le plus facilement, en se disant qu'en 2015 (l'année de la mise en service prévue du nouvel aéroport, NDLR), ils ne seront plus là pour en subir les nuisances. Sinon, la consternation est générale. C'est même parfois poignant, comme dans le petit bourg voisin d'Ablincourt, où les habitants ont posé des affiches sur leurs fenêtres : "Village rasé en 1917, reconstruit en 1919 et à nouveau rasé en 2002 . La fin d'un monde !" » Le projet prévoit en effet de rayer de la carte plusieurs dizaines d'habitations jugées trop proches du site aéroportuaire, pourtant d'une très faible densité.
Une nouvelle fois victimes
Martyrisée pendant la Première Guerre mondiale, comme en font foi les nombreux cimetières militaires, la région ne s'est pas encore complètement relevée des mémorables inondations du printemps dernier. « Et nous sommes une fois de plus victimes des décisions prises en haut lieu, au château », tempête le Dr Jacques Popiers. Ce généraliste installé ici depuis trente ans ne s'embarrasse pas de nuances. « C'est une décision imbécile ! lâche-t-il. Il faut dire que depuis que j'exerce dans ce secteur, j'ai eu droit aux nuisances non-stop de trois grands chantiers : l'autoroute Paris-Lille, l'autoroute Amiens-Saint-Quentin et le TGV, avec la gare à betteravière qu'on nous a construite à Ablaincourt. A chaque fois, c'étaient des déviations à n'en plus finir, mais au moins les nuisances étaient-elles circonscrites au sol. Cette fois-ci, elles sont aériennes, il va y en avoir pour tout le monde ! »
Observant au passage la cohérence de l'articulation, sur un territoire de quelques kilomètres carrés, d'infrastructures de communication diverses et géantes, comme si une volonté initiale avait présidé dès le départ à une conception d'ensemble, « un plan prémédité », le Dr Popiers a fait son deuil de cette décision, résolu, dans cinq ans d'ici, à aller vivre sa retraite à l'ouest. « Dommage pour l'image du Santerre dont l'image va être définitivement abîmée. On n'est même pas sûr de la pertinence du choix, car les dessertes routières, comme l'A1, sont déjà saturées. Quant à l'argument économique avancé par l'unique député favorable au projet, un soi-disant espoir de création d'emplois, personne n'y croit vraiment. Ce qui est certain, en revanche, c'est que les industries agro-alimentaires vont aller voir ailleurs, et qu'en attendant de savoir si de nouvelles activités vont s'implanter, tous les emplois actuels sont menacés à court terme. »
Ce pessimisme, Pascale Savary, titulaire de l'une des deux officines pharmaceutiques de Chaulnes, le partage. « Les dix prochaines années s'annoncent très délicates, confirme-t-elle. Sans parler de notre confort de vie. Ça risque fort d'être l'horreur, avec les trois quarts des gens au chômage et les nuisances sonores pour tout le monde. »
Une situation qui fait dire au Dr Vincent Lesaffre, dont la maison est distante de huit kilomètres des futures pistes de décollage, qu'il aurait « encore préféré faire partie des expulsés et que la maison soit rasée. »
Ce jeune généraliste avait choisi de s'installer ici il y a dix-huit mois, avec un cabinet dans la ville voisine de Péronne, pour mieux profiter de la qualité de vie et du calme que procure la campagne. Gagné !
En attendant d'entendre
Ses confrères péronnais, victimes en seconde ligne, réservent encore leur appréciation. Ainsi le Dr Jean-François Duvette, qui « reste dans l'expectative tant qu'on ne nous aura pas précisé exactement les couloirs qu'emprunteront les avions et à quelle hauteur ils nous survoleront. Vous savez, confie-t-il, je n'ai pris l'avion qu'une fois dans ma vie. J'attends de voir, ou d'entendre ».
Son confrère, le Dr Yves Embry, habite et exerce, précise-t-il, à 17,500 kilomètres des futures pistes. « C'est sûr, si j'étais à Chaulnes, je réagirais avec passion. Mais d'ici, je ne veux pas passer pour l'idiot du village qui, à partir du moment où la preuve est faite de la nécessité d'un troisième aéroport, s'y déclare favorable à condition que ce soit partout sauf près de chez lui. Simplement, j'espère qu'on mettra en uvre toutes les solutions pour réduire au minimum les nuisances, en développant d'abord les solutions offertes par le rail et par le navigation. »
Cet omnipraticien ne parvient pas cependant à se départir d'une sourde inquiétude : « Déjà, j'ai du mal dans certaines maisons, au bord de la nationale, à prendre la tension. Il faut s'y reprendre à plusieurs reprises, tellement le vacarme de la circulation est gênant. Alors, quand les avions vont nous survoler toute la journée, avec des nuisances sonores supérieures à 100 décibels, comment allons-nous supporter ça ? » Et le Dr Embry d'évoquer le film bien connu, « Nous irons tous au paradis » : « Les quatre héros viennent de faire l'acquisition d'une villa de rêve, pendant une grève des pilotes d'Air France. Le premier matin où les avions redécollent, le vacarme est tout à coup tellement assourdissant qu'ils ne parviennent plus à s'adresser la parole dans la cuisine... » Pour les médecins et leurs patients, à Chaulnes comme dans les villes voisines, à Péronne, à Albert et même, dit-on, à Amiens, le film d'humour d'Yves Robert est devenu un film-catastrophe.
* Beauvilliers (Eure-et-Loir), Vatry, Reims-Grandes-Loges et Reims-Bertaucry (Marne), Juvincourt (Aisnes), Hangest-en-Santerre et Montdidier-Sud (Somme).
Un risque d'hypertension augmenté
Le bruit des avions augmente le risque d'hypertension, confirme une étude suédoise dont les résultats sont publiés dans le dernier numéro d'« Occupational and Environmental Medicine », revue spécialisée du groupe BMJ*. 266 personnes vivant près de l'aéroport Arlanda de Stockholm et 2 700 habitants d'une autre partie de la ville ont reçu un questionnaire portant notamment sur des questions de santé. Et les résultats sont sans appel : chez les personnes vivant dans les zones les plus bruyantes (55 décibels de moyenne et jusqu'à 72 décibels au moins trois fois par jour), la prévalence de l'hypertension était de 20 % contre 14 % pour les autres et, après ajustement de tous les facteurs, leur risque d'être hypertendu apparaissait comme supérieur de 80 %. Les personnes les plus à risque sont celles qui vivent dans des zones avec un bruit moyen faible mais un bruit maximal élevé. Pour les auteurs, le bruit des avions est facteur de stress, donc d'hypertension, et donc aussi de maladie cardio-vasculaire.
* 2001 ; 58.
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