DE NOTRE ENVOYE SPECIAL
C'EST UN MANDAT interministériel que remplissent ici les trois experts français parmi les plus chevronnés. Les deux InVS, les Drs Gilles Delmas (département des maladies infectieuses) et Christian Bailly (patron de la Cire, cellule d'investigation épidémiologique de Bretagne), en compagnie du chef de la Cellule d'intervention biologique d'urgence (Cibu, Institut Pasteur), ne cachent pas qu'ils sont « un peu dans le brouillard ». Pour évaluer globalement dans les différents districts de l'île les sites et les modalités d'une aide adaptée, ces trois mousquetaires, après avoir rencontré les autorités nationales, quadrillent le territoire en auditionnant responsables locaux et volontaires de ONG déployées sur les sites.
Difficile évaluation.
Dans le district d'Ampara, où nous nous retrouvons, sur le littoral oriental, ils disposent des données officielles : 38 624 familles frappées, 127 000 déplacés, 10 436 morts. Et seulement 120 blessés. « Probablement, ce site de Pottuvill est le plus sévèrement affecté, estime le Dr Delmas ; 576 morts au décompte gouvernemental, pour une population totale de 40 000 âmes. Un peu plus au nord, à Batikaloa, la situation paraît beaucoup moins compromise, alors que les nombreuses ONG (ACF, MSF, Handicap), présentes de longue date sur place, permettent une très bonne coopération des acteurs d'urgence. C'est justement la très grande hétérogénéité des données qui complique la tâche d'évaluation. Nous avons survolé en hélicoptère des secteurs où la situation change du tout au tout à 200 m près ; il y a des territoires intacts, d'autres où tout est cassé mais où les accès demeurent praticables, d'autres encore où il n'y a plus rien, ni voies de communications, ni infrastructures, ni habitations. »
Etablir un état du désastre et, en prime, formuler une prévision sur la suite relève, dans ces conditions, pour reprendre la formule du Dr Bailly, « plus de l'impression intelligente, à base de recoupements divers, que d'une approche rigoureusement scientifique ».
Sur le plan médical, la phase d'urgence est dépassée, estime le trio d'enquêteurs. « Nous n'avons observé aucun clignotant rouge, se félicite le Dr Manuguerra ; les maladies diarrhéiques et les affections respiratoires semblent même avoir des prévalences plutôt inférieures à la moyenne, dans un pays en développement qui dispose d'un système de santé relativement efficace. »
La qualité de l'eau préoccupante.
Pas de signal épidémique à l'horizon. Le pasteurien se montre particulièrement attentif aux inondations d'eau douce, l'eau salée n'étant pas favorable à la prolifération des insectes. Les pluies diluviennes qui sont tombées ces derniers jours ont occasionné une montée des eaux à risque. Mais elles ont cessé depuis hier et, selon les témoignages locaux, elles ont été simplement plus précoces que les années passées, et guère plus abondantes.
« Mais évidemment, la qualité de l'eau demeure préoccupante, note le Dr Manuguerra. De même, on ne peut qu'être soucieux devant la veille épidémiologique très limitée du pays. Il faut évaluer aussi les capacités des laboratoires biologiques. Sont-ils à même de réagir en cas d'épidémie de dengue, ou de grippe aviaire ? »
Parmi quantité d'inconnues qui restent à explorer, la situation dans les camps n'est pas bien évaluée. On ignore en particulier la proportion des 600 000 déplacés qui a cherché refuge dans la jungle, dans un biotope sanitairement à très haut risque.
Au total, la situation médicale et sanitaire des Sri-Lankais semble, selon nos experts, relativement sous contrôle. « On n'est pas en ce moment dans des configurations très dramatiques comme à Bam (Iran) , ou après les grands tremblements de terre, souligne le Dr Bailly, de très nombreuses victimes qui avaient été ensevelies présentaient des pathologies aiguës nécessitant des moyens de réanimation considérables. »
Les trois médecins français jouent donc la circonspection dans leur évaluation. En même temps, ils se gardent bien de s'en prendre à un éventuel emballement médiatico-politique. « Si emballement il y a eu, assure le Dr Manuguerra, il a été bénéfique, alimentant une émotion mondiale légitime devant une catastrophe d'une telle étendue. »
Une étendue qui aujourd'hui complique redoutablement la tâche des médecins : la diffusion, si longue et étroite, du tsunami, interdit toute certitude définitive sur le présent. Et plus encore sur les semaines prochaines.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature