Les mêmes expressions fortes reviennent, indices d'un malaise inédit.
« Entrer en résistance », « se révolter », et même, plus surprenant, « faire la révolution ».
Dans la salle un peu trop vaste du palais des Congrès de Versailles, où le SML a convoqué des états généraux de la médecine libérale, libre parole est donnée aux médecins pendant plus de deux heures. Quelque 350 généralistes et spécialistes (dont une importante délégation de chirurgiens), franciliens et provinciaux, souvent installés en secteur II, syndiqués, proches des coordinations ou curieux, sans étiquette, sont invités à formuler des « propositions concrètes » pour la réforme de l'assurance-maladie. Une proposition téméraire, qui entraîne plutôt une séance de catharsis collective. Honoraires « indécents », poids des charges, « épée de Damoclès » de la RCP pour les disciplines à risques, cliniques déficitaires, démographie en berne dans plusieurs spécialités, pression des patients : les raisons du malaise ne manquent pas et il semble parfois difficile de penser l'avenir quand le présent est aussi incertain. Pourtant, le fil rouge des interventions reste cette immense fierté d' « être libéral », un exercice que personne ne renie même s'il se heurte à d'innombrables difficultés, à un environnement « hostile », à la méconnaissance, aussi, des pouvoirs publics. « Il y a un défaut de communication sur la qualité de notre métier, on ne montre pas assez le bénéfice que nous apportons ! », regrette ce gastro-entérologue parisien.
« Le DE après 35 heures »
Dans le même registre, un psychiatre marseillais appelle ses confrères à « ne pas à avoir honte de ce nous gagnons ». Pour ce chirurgien, « il faut que nous nous considérions comme des chefs d'entreprise. Soyons de véritables libéraux, acceptons la compétition et la différence et arrêtons de discuter du tact et de la mesure ».
Très applaudi, un ORL installé à Châteauroux épouse, en quelques phrases, le sentiment général. « On ne peut plus exercer la médecine avec un prix de l'acte lié au niveau de remboursement : nous sommes des PME médicales ! Il n'y a pas de métier équivalent à bac+10, bac+13... On est au somment de la pyramide, c'est cela qu'il faut défendre !»
Le recours à des espaces de liberté tarifaire reste une revendication puissante, que l'échec des négociations conventionnelles n'a pas fait oublier. Un chirurgien des Yvelines qui travaille « deux fois 35 heures » par semaine recommande d'utiliser le DE après... les premières 35 heures. D'autres praticiens réclament explicitement la « réouverture du secteur II », seul moyen d'apporter de l'oxygène aux cabinets « étranglés ».
Pour beaucoup, le « manque d'éducation » des patients est en cause dans l'aggravation rapide des déficits, quand ce n'est pas « leur ignorance totale » du coût de la santé, des frais hospitaliers, du nomadisme, ou des arrêts de travail.
Un praticien suggère d'instaurer une « franchise par consultation » pour responsabiliser les assurés. Cette mesure forte avait été réclamée cet été par Bercy avant d'être écartée par Matignon. Trop risqué politiquement, même si les Allemands, eux, ont levé ce tabou. Quelques médecins, notamment des généralistes, soulignent le grave retard français en matière de prévention, une voie qu'il faudrait explorer « à grande échelle ». A l'heure où le gouvernement en appelle à la « responsabilité partagée de tous » pour redresser les comptes sociaux, les médecins libéraux gardent une cible privilégiée : un environnement politique et administratif « figé », « paperassier », une « bureaucratie » ignorant tout du coût et de la valeur de l'acte médical. Un chirurgien ironise sur l'organisation « parasoviétique » de la Sécu, déplore la <\!p> « non-médicalisation » de la chaîne des décisions. Un autre suggère de « remettre en cause la gestion de l'assurance-maladie par les organisations de salariés », dont le seul intérêt serait « le remboursement uniforme de leur clientèle ». Un généraliste bordelais suggère plus sobrement de « réfléchir aussi à la performance des agents des caisses... ».
Parce que ce pilotage est « incohérent », les médecins de ville sont prêts à s'investir dans la réforme annoncée, mais pas à n'importe quel prix. La maîtrise des dépenses ? Certes, mais la qualité des soins s'impose comme le seul outil de régulation acceptable par la profession, à travers la FMC et l'évaluation des pratiques notamment. « On peut exiger des médecins compétents, disponibles, bien formés, évalués, mais au-delà, c'est difficile », analyse le Dr Dinorino Cabrera, président du SML. « Battons-nous sur le terrain de la qualité, c'est le seul discours audible », confirme un généraliste francilien.
La contractualisation directe avec les complémentaires (mutuelles ou assureurs privés) ? C'est incontestablement une ambition commune, sous réserve que les médecins libéraux puissent négocier d'égal à égal et ne se retrouvent pas « otages » de ces régimes avec, à la clé, de nouvelles contraintes (forfaits, filières de soins rigides, tarifs négociés au rabais). Le SML promet d' « approfondir sa réflexion » dans ce domaine. Avec cette exigence, toujours : des actes rémunérés « à leur juste valeur ».
RCP : les assureurs privés se défaussent...
Interpellé lors de ces états généraux de la médecine libérale sur l'explosion des primes d'assurance en RCP dans les spécialités à risque (qui pourraient dépasser 20 000 euros en 2004 dans certains cas), Gérard de La Martinière, président de la Fédération française des sociétés d'assurances (FFSA), a plaidé... non coupable. « Qui a rendu obligatoire l'assurance en RCP et qui a fait fuir tous les assureurs étrangers du marché ? Le législateur. Qui a augmenté le taux de sinistres dans plusieurs spécialités ? Les juridictions. Les assureurs n'ont fait que réparer les dégâts, en mettant en place un dispositif d'urgence fin 2002 (le GTAM, un pool d'assureurs qui ne sera pas renouvelé après le 31 décembre 2003). »
Une défausse un peu courte pour les chirurgiens, anesthésistes, obstétriciens ou échographistes concernés par la flambée des primes, qui dénoncent régulièrement le « manque de transparence et d'explications » des assureurs, accusés de profiter de la raréfaction de l'offre pour augmenter leurs profits sans justification.
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