LA SOLITUDE du chef de l'Etat est grande au lendemain des régionales : il va falloir sacrifier des ministres, sinon le Premier, ce qui n'est jamais une tâche aisée ; en nommer d'autres ; tracer une voie jusqu'aux élections générales de 2007 et renverser, par des actes précis, le regain de popularité de la gauche.
Tout cela relève de Jacques Chirac, et de lui seul. Il devrait garder Jean-Pierre Raffarin d'abord parce que celui-ci le souhaite, surtout parce qu'il ne veut pas être déjà contraint de faire appel à Nicolas Sarkozy, salué par un « Heureusement qu'on vous a ! » par Bernadette Chirac. Le président est écartelé entre son bon sens, qui lui commande d'avoir recours à un homme très populaire, et son dessein, qui est de réserver la place à Alain Juppé, si toutefois le maire de Bordeaux échappe aux griffes de la justice. Et d'ailleurs, quelle place ? Celle de chef du gouvernement, au cas où M. Chirac se présenterait pour un troisième mandat ? Ou celle de président, au cas où il se retirerait ?
La droite est mal partie.
Mais le projet ne tient que si la droite triomphe. Elle est mal partie. Au printemps 2002, tout semblait lui sourire : la vigueur d'une majorité absolue, la volonté de faire table rase du passé et d'en finir avec les politiques à la petite semaine que l'état de la nation ne tolérait plus, la nécessité de corriger les laxismes de la gauche, en matière de sécurité ou de réformes, le besoin de tout le pays de prendre un nouveau départ.
Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Le Raffarin que les Français ont découvert quelques semaines avant qu'il ne fût désigné chef du gouvernement et qui semblait si sûr de lui, si imprégné de son programme, si certain de le mettre en œuvre, s'est transformé, comme beaucoup de ses prédécesseurs, en un homme épuisé, accablé par les revers, contesté jusque dans son camp, honni par un peuple constamment.
Du point de vue verbal, la campagne des régionales et des cantonales a été terrible, surtout après le premier tour. Gifle, claque, camouflet, tout le vocabulaire de l'humiliation y est passé. Et comme rien ne plaît autant aux Français que la mise à bas des puissants, c'est le discours de la gauche qu'on a entendu le plus, pas celui de la droite. Courageux sinon magnétique, persévérant sinon charismatique, stoïque sinon adroit (combien de ses formules ont-elles été tournées en ridicule, à commencer par « la France d'en bas » ?), Jean-Pierre Raffarin est prêt à rempiler.
LES REGIONALES NE SIFFLENT PAS LA FIN DE LA PARTIE
Deux ans, c'est peu.
Deux ans, il est vrai, c'est peu. La durée du fusible est en général de trois ans ; ainsi le voulait François Mitterrand, avec une exception, celle d'Edith Cresson. En tout cas, le Premier ministre sortant a appris, et souvent à ses dépens, la différence entre ce qu'on veut faire et ce qu'on peut faire : il connaît le point de rupture d'une réforme qui est rejetée.
Dans les ingrédients de la nouvelle sauce à la Chirac, il y a deux grands éléments par nature contradictoires : il lui faut recouvrer sa popularité, même si elle ne devait servir qu'à son successeur ; mais, cela a été dit et redit avant le second tour, les réformes doivent être poursuivies.
Existe-t-il une façon de redresser les comptes de l'assurance-maladie, de réduire le nombre des fonctionnaires, de contenir le budget de l'éducation, de favoriser les entreprises au détriment des salariés dans l'espoir de créer des emplois, qui ne soit pas détestable ?
Oui, dit-on à droite, il faut réformer. Oui, confirme-t-on à gauche, où on est confondu par le déficit « abyssal » de l'assurance-maladie. Le pire, pour M. Chirac, c'est que la gauche affirme qu'elle a une recette pour des réformes indolores, par exemple quand elle nous parle d'une réduction du déficit qui ne toucherait pas aux droits des patients. Discours trompeur.
Le chef de l'Etat doit parfois se dire que seule compte la popularité. Pourquoi se décarcasser ? Pourquoi ne pas donner aux Français ce qu'ils veulent, leurs avantages sociaux, quel qu'en soit le prix ? Pourquoi faudrait-il qu'un gouvernement, après tout ce qu'on a vu de corruption, de mensonges, de faux-semblants, doive être sincère, vertueux, travailleur, sérieux ?
Les années de la vérité.
Ces trois années qui viennent sont celles de la vérité. Ou bien M. Chirac renonce ; et il renfloue la droite avec des réformes fragiles, insuffisantes, réalisées à moitié ou au quart (comme celles des retraites d'ailleurs, qui n'assure qu'un tiers du financement à l'horizon 2020). Ou bien il sacrifie son clan et son aura personnelle au redressement de la France.
On peut tout dire de ce gouvernement Raffarin, du président, de l'UMP, de la droite en général. On peut admettre qu'ils traînent beaucoup de casseroles, que les différends personnels minent leur action, et même qu'ils n'ont pas eu de chance, lorsqu'ils sont arrivés au pouvoir au moment précis où le monde industrialisé entrait en récession. Mais on ne peut pas nier qu'ils ont essayé de changer les choses, de guérir le pays de ses scléroses, de le moderniser et de détruire, en dépit d'une mentalité profondément ancrée dans le terreau national, les bastions des intérêts catégoriels. Qu'est-ce qu'une période de deux ans ? Comment, en deux ans, transformer soixante années d'acquis sociaux en réflexes dynamiques de travail, de production, de créations d'entreprise ? A la fin du raisonnement, on rejoint le point de vue de ceux qui n'ont cessé d'affirmer que les régionales et les cantonales ne ferment pas un temps politique. Ceux qui réclament des résultats n'ont pas le droit de siffler déjà la fin de la partie.
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