Livres
Jean-Noël Pancrazi - prix Médicis pour « les Quartiers d'hiver » et prix du Livre Inter pour « Madame Arnoul » - n'est pas le seul en cette rentrée à faire vaciller le milieu éditorial de son piédestal, voire à en faire le procès ; mais là où d'autres donnent de la voix et dénoncent en ramenant le problème à leur cas personnel, il le fait sous couvert de la littérature et a créé des personnages romanesques plus vrais que nature.
Au cur de ce théâtre des désillusions, Elisabeth, fleuron de la Maison - ainsi est nommée cette vénérable maison d'édition à l'ancienne -, qui en est non seulement un des auteurs phares mais fait partie de ce cénacle qui décide du devenir des manuscrits et en connaît donc les rouages de l'intérieur. Sa vie tout entière a été placée sous le signe de l'écriture et, avant de mourir, elle assiste à la dernière représentation de la Maison brillant de mille feux pour l'occasion. Déjà dégagée, heureusement, des impacts de la tragi-comédie qui se joue devant ses yeux.
Car l'univers familier d'Elisabeth s'est désintégré : l'entreprise familiale est passée aux mains du Groupe et tout a changé. La plupart des anciens ont été remerciés, et remplacés par des jeunes gens d'une redoutable efficacité. Ceux qui ont jusque là échappé à l'épuration font figure de zombies, pris entre la peur et la rancune car les méthodes ont aussi changé, de même que les objectifs et les auteurs ne sont plus pesés au même encan qu'auparavant. Rien de tout cela n'est dit, bien sûr, et durant ce cocktail chacun n'est que sourires, amabilités et faux-semblants.
Spectatrice désabusée et non plus partie prenante, Elisabeth regarde et se souvient quelques scènes, quelques personnages et l'on ressent toute la différence.
Les maisons d'édition, comme les vies, passent si vite. Est-ce si triste ? Jean-Noël Pancrazi ne l'entend pas ainsi, qui célèbre avec son héroïne l'essentiel ce qui reste au bout du compte et qui seul compte, l'écriture.
Gallimard, 183 p., 13,90 euros.
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