Si l'on s'entend bien à définir le rachis cervical inférieur comme la partie du segment rachidien excluant les deux premières vertèbres (complexe rotatoire altloïdo-axoïdien), les classifications adoptées pour en décrire le polymorphisme lésionnel traumatique peuvent varier d'une équipe à l'autre.
Il est donc pratique, lors d'une étude multicentrique, d'adopter une base commune de réflexion, en l'occurrence, la classification du Pr Claude Argenson, président actuel de la SOFCOT.
Une classification anatomique pratique
L'avantage d'une telle classification est qu'elle reconstitue, en quelque sorte, le mécanisme lésionnel probable survenu lors de l'accident, à partir des seuls profils anatomopathologiques observés.
Un peu comme au niveau des autres complexes articulaires, les lésions résultent d'un vecteur traumatique supposé dominant, volontiers engendré par le dépassement forcé des limites d'un mouvement articulaire physiologique. On distingue ainsi, selon une telle classification :
a) Les lésions en compression du corps vertébral : fracture-tassement ; fractures comminutives du corps vertébral ; fracture dite « tear drop » (en « larme » ou coin corporéal inférieur).
b) Les lésions en flexion, englobant les entorses bénignes, les entorses graves, les luxations.
c) Les lésions en extension, incluant les entorses médullo-vulnérantes, bien que squelettiquement « bénignes », les entorses graves ou, au pire, les fractures dislocations en extension.
d) Les lésions en rotation, englobant les fractures articulaires, les fractures séparation d'un massif articulaire et les luxations uni-articulaires.
e) Les hernies discales isolées sont à mettre à part et peuvent accompagner l'un des mécanismes précédents.
Enfin, les entorses dites bénignes, en flexion, font l'objet d'une étude distincte.
Une bonne fiabilité
La qualité d'une classification se juge sur la reproductibilité de catégorisation établie par des observateurs distincts et sur son degré d'universalité, c'est-à-dire sa facilité à inclure n'importe quel profil lésionnel dans une classe définie. A ce titre, la classification du Pr Argenson se révèle fiable et n'a laissé (sur la série de près de trois cents patients étudiés) qu'un résidu minime d'une dizaine de patients inclassables (3 %).
Les lésions les plus agressives pour la moelle sont les fractures comminutives, les « tear-drops », les luxations et les hyperextensions.
Lutter contre le retard diagnostique
Il est surprenant de constater, en ce début de siècle, que plus de 10 % des lésions ne sont pas immédiatement diagnostiquées.
Certes, les difficultés de diagnostic sont compréhensibles : contexte polytraumatique, imagerie initiale insuffisante.
C'est pourquoi, il importe de répéter un examen radiologique de qualité, une ou deux semaines plus tard, une fois passé le contexte d'urgence.
Un bilan d'imagerie adapté
Si, dans l'absolu, la suspicion d'un traumatisme rachidien cervical et/ou médullaire devrait amener à recourir au bilan d'imagerie systématique que l'on évoquera plus loin, certains patients échappent quelquefois à ce triage lésionnel très strict.
Déjà au stade radiographique conventionnel, un cliché de face et de profil du rachis cervical complet suivi d'incidences de trois quarts (mobilisant l'ampoule plutôt que le patient) doivent aboutir à une exploration de premier débrouillage satisfaisante.
Le scanner complète utilement cette exploration conventionnelle. Afin d'éviter les retards diagnostiques déjà évoqués, il est souhaitable de soumettre à une étude scanner les jonctions cervico-thoraciques et craniocervicales des polytraumatisés ou des patients comateux.
L'IRM est indispensable en cas de lésion médullaire
La généralisation d'une telle pratique sur ce groupe de patients particulièrement exposés au retard diagnostique devrait permettre d'en réduire les conséquences. Fort heureusement, les centres traumatologiques habilités à recevoir de tels blessés disposent tous d'un scanner.
Il n'en va pas toujours de même avec l'IRM. Cela explique que les patients ayant constitué la série clinique étudiée n'aient pas tous bénéficié de ce complément d'exploration.
L'IRM reste néanmoins indispensable en cas de lésion médullaire, tout particulièrement si les examens précédents n'ont retrouvé qu'un profil lésionnel squelettique discret.
Le diagnostic d'instabilité
L'étape finale et capitale de la démarche diagnostique rigoureuse précédemment décrite est d'aboutir à la caractérisation de la sévérité de la déstabilisation résultant des lésions répertoriées.
En effet, le rachis cervical se définissant anatomiquement comme un empilement d'unités structurales, sa double fonction de protection médullaire et de support transmissionnel tronc-tête ne se trouvera assurée que si cette chaîne pluri-unitaire conserve des chaînons stables les uns par rapport aux autres.
La familiarisation du chirurgien avec les profils lésionnels individualisés par la classification doit lui permettre d'identifier les situations d'instabilité : certaines lésions osseuses pures génèrent ainsi une instabilité immédiate, alors que certaines lésions disco-ligamentaires peuvent compromettre la stabilité non seulement immédiate, mais également de façon prolongée, c'est-à-dire secondairement, à distance de l'accident.
Un arsenal thérapeutique varié
Il est traditionnel, lorsque l'on passe en revue les méthodes thérapeutiques disponibles, de distinguer le traitement orthopédique du traitement opératoire, comme on le fait pour les autres traumatologies squelettiques.
De façon schématique, le traitement orthopédique assure l'immobilisation mécanique, en attendant la survenue du processus naturel de la consolidation, alors que le traitement opératoire autorise une fixation mécanique d'emblée, protégeant les fonctions rachidiennes déjà évoquées, même si le relais naturel de la consolidation (qui finira par avoir lieu) ne s'est pas encore produit. La technique proprement dite de fixation des niveaux atteints varie quelque peu suivant les écoles, tant dans sa voie d'abord que dans la sélection du procédé technique proprement dit ; ainsi la colonne cervicale peut-elle être abordée par voie antérieure ou postérieure. La fixation, quant à elle, peut faire appel de façon isolée ou combinée à des plaques, à des greffons osseux (autogreffe, en général) ou à des cales d'espace intervertébral (cages).
Des indications très individualisées
Chaque situation lésionnelle réclame des modalités thérapeutiques spécifiques. Le paramètre essentiel à corriger est l'instabilité. Il n'est donc pas étonnant qu'une majorité des patients constituant la série clinique du symposium aient fait l'objet d'une intervention. En effet, de tels patients étaient porteurs de lésions analysées comme instables, soit encore de lésions ayant par leurs complications médullaires concomitantes fait la preuve de leur caractère instable.
Un pronostic réservé
Quels que puissent être les progrès accomplis dans la prise en charge thérapeutique des lésions instables du rachis cervical, celles-ci restent préoccupantes, tout particulièrement si une atteinte médullaire sévère a été constatée.
Plus on se rapproche d'un état de tétraplégie complète (A. Frankel), plus les risques vitaux sont importants (60 % de mortalité) et moins grandes sont les chances de récupération fonctionnelle.
Un fardeau sociétal lourd
On ne peut clore ce survol des traumatismes du rachis cervical inférieur sans évoquer le coût tant humain individuel que collectif pour la société de ce douloureux chapitre de traumatologie squelettique.
Certes, la réparation du dommage corporel est parvenue, par l'expérience, à définir de mieux en mieux les notions d'imputabilité et les postes d'indemnisation préjudicielle. Cependant, une telle démarche de compensation, animée par des magistrats dévoués, n'est pas dénuée d'écueils techniques et reste porteuse d'un coût collectif sérieux.
C'est dire à quel point des actions aussi symboliques que l'éducation des utilisateurs de piscine (interdiction du plongeon) doivent permettre de sensibiliser le public à l'importance de la prévention des lésions du rachis cervical.
Au total
La traumatologie du rachis cervical inférieur a fait d'importants progrès ces dernières années dans sa compréhension analytique et dans sa prise en charge thérapeutique.
Elle reste néanmoins un domaine de traumatologie au pronostic réservé et réclamant la mobilisation des ressources humaines et matérielles multidisciplinaires spécialisées.
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