Transplantation d'organe de donneur vivant : ce qu'il faut savoir

Publié le 21/05/2002
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REFERENCE


Qui peut recevoir un organe de donneur vivant ?

La loi de juillet 1994 autorise le don d'organes entre parents au premier degré : frères et sœurs, parents et enfants et, de manière exceptionnelle, relevant de l'urgence, entre conjoints. En transplantation rénale, il est difficile de justifier l'urgence puisque la dialyse permet d'attendre la greffe. Mais tous les pays ne disposent pas de la dialyse et quelques transplantations ont été pratiquées en France au sein de couples résidant à l'étranger. La loi actuelle est de plus apte à autoriser des greffes hépatiques entre conjoints. Dans les pays d'Europe du Nord et aux Etats-Unis, la transplantation d'organe de donneur vivant est autorisée de manière beaucoup plus large qu'en France.

Quid de la compatibilité entre donneur et receveur ?

Il est impératif d'avoir une compatibilité ABO mais, pour la compatibilité HLA, différents cas de figure peuvent être envisagés.
La transplantation entre sujets HLA identiques, possible uniquement entre frères et sœurs, est la transplantation idéale. Elle aboutit à des durées de demi-vie moyennes des greffons de 36 ans (période durant laquelle 50 % des reins greffés fonctionnent encore). Avec un donneur vivant non HLA identique, qu'il s'agisse d'un donneur vivant non apparenté génétiquement (conjoint) ou d'un donneur vivant apparenté semi-identique (frère ou sœur qui partage la moitié du patrimoine génétique), les résultats sont à peu près identiques : respectivement 15 ans et 16 à 17 ans de demi-vie. Les reins de cadavre sélectionnés sur le HLA ont quant à eux une demi-vie de 10 ans. A noter que les meilleurs résultats sont obtenus avec des dons de la femme à l'homme (85 % de greffon fonctionnel à cinq ans contre 76 % en cas de don de l'homme à la femme) car, durant la grossesse, les femmes s'immunisent contre une partie des antigènes HLA du père de leur enfant.
Pour tester, avant transplantation, la réactivité du receveur vis-à-vis de son futur donneur, on réalise une transfusion « donneur spécifique » : après avoir transfusé 200 cc à 300 cc de sang au receveur sans traitement immunosuppresseur, on étudie l'apparition des anticorps de compatibilité ABO et de groupe érythrocytaire (Rhésus, Kell, Lewis).

Quels sont les avantages de la transplantation de donneur vivant ?

La qualité du greffon est nettement supérieure pour les donneurs vivants car l'organe n'a pas souffert durant la phase de réanimation et de mort cérébrale. Par ailleurs, l'organe est conservé deux heures au lieu de 24 à 36 heures avant transplantation. A la différence du rein de cadavre, il est possible de choisir le moment de la transplantation, ce qui permet d'éviter une phase défavorable (épisode infectieux). On peut aussi imaginer transplanter avant le stade de la dialyse qui altère nettement la qualité de vie des malades.
Quand le donneur vivant est HLA identique, le traitement
immunosuppresseur du receveur est allégé (bithérapie). On peut généralement se passer des anticalcineurines et, plus généralement, on diminue le risque de cancer et de néphrotoxicité.
Un donneur vivant HLA identique permet de greffer des sujets hyperimmunisés (après grossesse, échec de greffe, transfusions...).

Quels sont les risques pour le donneur ? Quel est son devenir  ?

Il est essentiel de prévenir les donneurs du risque de mortalité lié à l'anesthésie et au geste chirurgical de l'ordre de 3/10 000 (mortalité du geste anesthésicochirurgical pratiqué dans les meilleures conditions).
Un effet indésirable du don de rein est la douleur sur cicatrice (incision de 11 cm pour extraire le rein) : d'après une étude menée à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, 8 % des donneurs s'en plaignent.
Le devenir du donneur est excellent : les études menées sur le sujet montrent que le donneur vit mieux et plus longtemps que les autres membres de sa fratrie. A cela, deux explications : les donneurs sont des personnes nécessairement en bonne santé au moment du don et ils sont mieux suivis au plan médical que le reste de la fratrie.
En matière de répercussion psychologique, une publication nord-américaine fait état du sentiment d'avoir été contraint chez 15 % (1/6) des donneurs mais tous le referaient. La même enquête menée à Paris sur 100 donneurs, dont 60 % ont répondu, n'a obtenu que 4 % de sujets avec le sentiment d'avoir été contraints et un seul ne souhaitait pas le refaire. Tous étaient satisfaits par la qualité de l'information préalable.
Le donneur est libre de revenir sur sa décision jusqu'au moment de l'acte chirurgical. L'équipe fait un « cross match » (test de compatibilité) la veille, qui peut servir de prétexte au refus du donneur vis-à-vis de la famille. Dans tous les cas, le consentement éclairé du donneur est consigné par le procureur du tribunal de grande instance du domicile ou du lieu où est pratiqué la greffe pour des personnes étrangères. En pratique, il n'y a pas de problème quand un parent donne à son enfant ; la pression psychologique est plus importante avec la fratrie. Au sein du couple, la contrainte est moindre car le donneur bénéficie de l'amélioration de la qualité de vie du receveur. Pour éviter les litiges en cas de divorce, il pourrait être
précisé que « tout don est définitif et sans contrepartie, quoi qu'il arrive ». La « donation partage » n'est en effet jamais remise en question à la différence du « don manuel ».

Quel avenir peut-on prédire à la donation par donneur vivant ?

Cette activité devrait augmenter notamment « en rein », un peu « en foie ». Elle est balbutiante « en poumon » (nécessité d'avoir deux donneurs). Les reins de cadavres seront réservés aux personnes qui ne peuvent pas avoir de donneur vivant du fait d'un âge trop avancé de la famille, de maladies génétiques, d'incompatibilité ABO. En revanche, les greffes de donneurs vivants sont à encourager pour les personnes jeunes qui ont besoin de mener rapidement une vie normale avec un minimum de rejet, de cancer et de complications vasculaires. L'élargissement probable de la loi en matière de donneur vivant viendra aussi répondre au problème du manque d'organes. On prélève 2 000 organes par an en France pour des besoins de l'ordre de 2 300/2 400. Les durées d'attente en dialyse dans les centres de transplantation français vont de dix-onze mois jusqu'à cinquante mois. On a déjà élargi les critères de « prélevabilité » des donneurs potentiels. En pratique, on prélève des organes chez des personnes de plus en plus âgées car il y a moins de donneurs jeunes et des refus familiaux. Chez les sujets âgés, les organes sont parfois de qualité discutable (organes limites). Une étude prospective sur l'intérêt d'une double greffe d'organes limites est en cours (plan Bigreffe).

Historique




Dans les années 1950, les premières transplantations ont commencé avec des donneurs vivants au sein de la famille ; puis la notion de mort cérébrale a fait procéder à des prélèvements d'organes de cadavres. En 1972, un article du néphrologue américain Barry Brenner (« N Engl J Med ») qui démontrait que la suppression d'une partie importante du parenchyme rénal chez le rat provoquait l'usure prématurée du parenchyme restant (syndrome de Brenner), a aussi nettement défavorisé la transplantation de donneur vivant. Il fallut attendre les publications sur de très grandes séries en Europe du Nord et aux Etats-Unis pour invalider le « syndrome de Brenner », dans les années 1990. En effet, la survie, la qualité de vie et la fonction rénale des donneurs s'avéraient excellentes. On peut faire une néphrectomie sans risque pour la fonction rénale ultérieure même avec un recul de trente ans.

Vers un élargissement de la législation




Les bons résultats des grandes séries publiées et la demande croissante à la fois des transplanteurs et des donneurs ont conduit le législateur à réviser les lois de bioéthique pour aller vers l'élargissement des possibilités de transplantation entre donneurs vivants.
En janvier 2002, les députés ont voté un texte autorisant la transplantation entre « personnes ayant une relation stable et durable » et après accord d'un comité d'experts.
La Société française de transplantation a aussi pris position dans le sens de l'élargissement des dons de grands-parents à petits enfants. Il reste néanmoins maintenant à obtenir le décret d'application...

Questions pratiques




- Durée de l'hospitalisation du donneur : 48 heures avant l'exérèse de l'organe et 3 à 4 jours après, soit une durée totale d'une semaine environ.
- Arrêt de travail :
un mois.
- Prise en charge :
l'ensemble des frais engagés par le donneur sont pris en charge par l'établissement de soins, y compris le versement de son salaire.
- Coût :
1 an de dialyse = 61 000 euros (400 000F) versus greffe de donneur vivant = 53 000 euros (350 000 F).
- Surveillance du donneur : créatinine et échographie rénale une fois/an.

Dr Catherine DESMOULINS

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7129