D'UNE CERTAINE MANIÈRE, Ségolène Royal aura été, de bout en bout, exemplaire : au soir du 6 mai, elle fut la première à prendre la parole, non sans avoir, au préalable, téléphoné à Nicolas Sarkozy pour le féliciter très sportivement. Elle a réussi à ne jamais prononcer le mot défaite, en consentant à peine à admettre qu'elle «n'avait pas » gagné. Elle n'a cessé de souligner les aspects positifs de son échec : n'avait-elle pas rassemblé 47 % des voix ? N'avait-elle pas vengé Lionel Jospin en passant le cap du premier tour ?
Parfaitement capable d'assurer sa propre promotion, elle a décrit aussi les qualités de sa campagne, son sens de l'innovation en matière de style et d'idées, son refus du manichéisme qui lui permettait d'emprunter un peu à la droite tout en réaffirmant sans cesse son appartenance à la gauche. «Quelque chose s'est levé, a-t-elle même annoncé le 6 mai à ses partisans, qui ne s'arrêtera pas.» A bien y réfléchir, on serait bien en peine de dire en quoi consiste ce quelque chose, sinon que Mme Royal a pris une sorte de posture historique, comme si son sourire suffirait bientôt à déclencher une révolution. En fait, elle a pris date dès le 6 mai, en se présentant comme la candidate naturelle de la gauche… pour 2012.
LES FRANCAIS SONT CONTENTS A LA FOIS DU GOUVERNEMENT ET DE L'OPPOSITION
Tant pis pour le PS.
On ne perdra pas de temps à démontrer ce qu'il pouvait y avoir de culotté dans cette démarche qui bafoue joyeusement les plus sacrés principes du PS, comme le projet qui doit transcender tous les militants, la désignation par vote démocratique du candidat, et la simple notion de bon sens qui prétend qu'à chaque jour suffit sa peine. Mais voilà, c'est Ségolène ; et, lundi dernier, elle affirmait avec le même aplomb que le programme de M. Sarkozy «rendait hommage» (quelle drôle d'expression !) à ses propres propositions qui, selon elle, inspirent largement le nouveau président.
Vous dites que, vraiment, elle ne manque pas d'air ? Eh bien, vous avez tort : les sondages d'opinion montrent que les militants socialistes, à une forte majorité, ne lui tiennent pas rigueur de sa défaite. Personne ne pense vraiment qu'un autre candidat du PS aurait fait mieux. Jugement dont Mme Royal se saisit pour imposer sa candidature ultérieure.
Certes, quelques journalistes n'ont pas caché leur surprise devant tant d'audace et d'absence du réalisme le plus élémentaire. Ils lui reprochent de ne pas avoir les pieds sur terre. Mais elle le fait exprès : elle marche sur l'eau. Elle expose des certitudes, elle en fait une feuille de route, elle va de l'avant, envers et contre tout. Elle offre aussi le visage le plus joyeux du parti, alors que François Hollande se voit au terme de sa carrière politique, que quelques poids lourds du PS continuent à dire que le choix de Ségolène fut en définitive funeste, ils vous l'avaient bien dit, et que Dominique Strauss-Kahn cherche un peu d'espace vital dans un système qu'elle s'est bel et bien approprié. Jamais défaite n'aura été aussi heureuse.
Sarko fait du bayrouisme.
Il en va de même pour François Bayrou, qui a réuni, n'est-ce pas, près de 19 % des électeurs, présente des candidats aux législatives dans plus de 500 circonscriptions, s'est conduit entre les deux tours comme un vainqueur et non comme un perdant, est sorti de la neutralité qui formait le socle même de sa doctrine, en annonçant qu'il ne voterait pas Sarkozy, a fondé un nouveau mouvement politique, on en passe. Peu importe d'ailleurs que le président Sarkozy applique à la lettre la philosophie de M. Bayrou en rassemblant dans le même gouvernement des gens de droite, de gauche et du centre ; peu importe que les sondages n'accordent pas plus de dix sièges aux députés futurs de M. Bayrou : lui aussi, d'une certaine façon, considère qu'il n'a pas perdu, même s'il n'a pas vraiment gagné.
Cela en fait, des gens heureux ! D'autant que M. Sarkozy, il faut s'en souvenir, a été élu au second tour avec 53 % des voix, se prépare à écraser la gauche aux législatives, lance tous les éléments de son programme en même temps et ne cache pas son bonheur : les membres de son gouvernement, d'où qu'ils viennent, ont en ce moment une cote de popularité très élevée.
Et les Français sont encore les plus contents : contents de la victoire de Nicolas Sarkozy, contents de Ségolène Royal et de François Bayrou, contents des Fillon, Kouchner, Borloo et, surtout, ravis que Rachida Dati ait été nommée ministre de la Justice. C'est une décision tellement judicieuse que, l'autre soir, sur France 2, Vincent Peillon (PS) a regretté que la gauche n'ait pas su accomplir un geste de cette portée. Mme Dati, d'ailleurs, n'a pas caché son émotion quand elle a été intronisée ; elle s'est battue, pendant la campagne, avec beaucoup de courage, de détermination et d'efficacité (nous l'avons vue mettre Arnaud Montebourg K.-O. dans un débat sur la Cinq) et M. Sarkozy a quand même compris que cette séduisante jeune femme (il n'y a pas que Ségolène, après tout) ne devait surtout pas hériter d'un poste lié à l'immigration.
Il est vrai que la nomination d'Azouz Begag dans le gouvernement Villepin, que nous avions chaleureusement saluée, a abouti à un conflit sérieux entre l'ancien ministre à l'Egalité des chances et l'ancien ministre de l'Intérieur. Mais ça, c'était quand tout allait mal. Maintenant, on fait la fête, car tout le monde a gagné.
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