Le mot d'ordre spectaculaire lancé par l'Union nationale des omnipraticiens français (UNOF) pour protester contre « l'indécence » des tarifs des actes généralistes (préavis de grève illimitée des gardes de nuit pour le 15 novembre, utilisation large du « dépassement exceptionnel » des tarifs) remet sous les feux de l'actualité la revendication sur les honoraires médicaux, actuellement omniprésente dans les syndicats (« le Quotidien » du 10 octobre).
En effet, au cours des dernières semaines, la quasi-totalité des organisations de médecins libéraux a réclamé, à des niveaux certes différents, de fortes revalorisations, notamment du C ou du V. A tel point que l'exigence tarifaire est devenue au moins aussi récurrente et prioritaire que la dénonciation du système de régulation des dépenses actuel par les lettres clés flottantes.
En lançant ses consignes, l'UNOF a demandé que la valeur de la consulation généraliste, bloquée à 115 F depuis trois ans et demi, soit « immédiatement » portée à 20 euros (131,2 F). Dès l'année prochaine, le même syndicat plaide pour un C à 30 euros, ce qui correspond à la valeur de l'acte médical qu'avait préconisée le « G7 » dans sa plate-forme (1).
La Fédération des médecins de France (FMF) milite, quant à elle, depuis quelque temps pour que le tarif de la consultation soit fixé à 250 F (plus de 38 euros). Et le Syndicat des médecins libéraux (SML) n'est pas en reste puisqu'il estime que seule une hausse sensible de la valeur de l'acte permettrait de faire diminuer leur nombre (« le Quotidien » du 5 septembre). Le syndicat de généralistes MG-France a une approche sensiblement différente. Certes, il réclame un « C à 18,5 euros (121,35 F) », correspondant en quelque sorte au rattrapage du coût de la vie. Mais, au-delà, il insiste sur la nécessité de rémunérer le service médical rendu en complément de l'acte de base (C ou V), sur la base d'un cahier des charges précis. MG-France souhaite continuer à négocier, dans le cadre conventionnel, des majorations diverses, comme il en existe déjà pour les visites dans le cadre du maintien à domicile des personnes de plus de 75 ans en ALD (60 F) ou pour la visite d'urgence qui oblige le médecin à quitter immédiatement son cabinet (125 F). Selon le Dr Pierre Costes, président de MG-France, ces majorations tarifaires pourraient par exemple concerner « certaines consultations longues » pour les patients diabétiques ou pour le dépistage des cancers. D'autres tâches, non soignantes, pourraient également faire l'objet de rémunérations forfaitaires et complémentaires de l'acte.
Des paroles aux actes
Au risque d'une certaine surenchère, les syndicats occupent largement le terrain des honoraires. On ne peut d'ailleurs leur reprocher cette attitude. Selon une enquête qui vient d'être réalisée en Eure-et-Loire auprès de 597 généralistes et spécialistes du département, et à laquelle ont répondu 144 praticiens, ces derniers attendent d'abord de leur syndicat « une revalorisation des honoraires » et en second lieu « une meilleure défense de la profession ».
Par ailleurs, la discussion du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) est une occasion unique pour mobiliser les parlementaires, à quelques encablures des échéances électorales. Le passage à l'euro, enfin, peut être mis à profit pour négocier des coups de pouce tarifaires. La concomitance des revendications syndicales sur les honoraires n'est donc pas injustifiée.
Ce discours commence d'ailleurs à être entendu par le gouvernement, mais le stade des déclarations d'intention n'est pas dépassé. Elisabeth Guigou déclarait récemment ne pas être opposée à des revalorisations d'honoraires pour les médecins en 2002. A Ramatuelle, lors de l'université d'été de la CSMF, fin septembre, Bernard Kouchner l'avait devancée en se déclarant partisan d'une telle revalorisation.
Si ces propos sont sans doute agréables à entendre pour les médecins, l'objectif d'évolution de 3 % assigné aux dépenses de soins de ville en 2002 (honoraires et prescriptions) laisse fort peu d'espoir aux syndicats. « A moins de faire exploser l'enveloppe de médecine de ville, point de salut pour une hausse des honoraires ! », confie aujourd'hui un responsable syndical un peu amer.
Dans cette impasse, certains n'hésitent pas à lancer ou plutôt à relancer des consignes de contestation tarifaire telle que l'utilisation élargie du dépassement exceptionnel d'honoraires (« DE », réservé aux exigences particulières des patients). MG-France avait donné cette consigne pour les visites dites de confort dès le mois de décembre 1999. Le SML avait également appelé les médecins à appliquer largement le « DE », en septembre 2000, pour protester contre la baisse de certains actes médicaux et maintenir le niveau des anciens tarifs. Aujourd'hui, l'UNOF invite les généralistes à utiliser plus fréquemment la « procédure légale » du « DE », par exemple pour toutes les visites à domicile de confort mais aussi pour les consultations effectuées en dehors des heures habituelles du cabinet.
Réticences à la base
Face à ces appels au dépassement de tarifs, il semble que les médecins libéraux soient hésitants, voire récalcitrants. Par définition, l'application répétée de dépassements, qui sont normalement exceptionnels, n'est pas simple ni toujours justifiable. Certains médecins refusent de pénaliser leurs patients ou redoutent une réaction hostile dans un contexte concurrentiel. Au début de 2000, le Syndicat de la médecine générale (SMG), organisation certes ultra-minoritaire, s'était indigné de ce que MG-France « puisse demander aux médecins de prendre un "DE" à des titulaires de la CMU ». Quant aux caisses primaires d'assurance-maladie, « elles peuvent être amenées à interroger un médecin qui facturerait trop souvent des "DE" », confirme la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM), qui souhaite toutefois relativiser ce genre de mot d'ordre. « La consigne de grève de la télétransmission a eu peu d'impact, assure-t-on à la CNAM . Pour le « DE », c'est pareil, il faut prendre beaucoup de recul. »
L'Ordre, qui veille à ce que les honoraires soient déterminés « avec tact et mesure », reste également vigilant dans cette affaire. Les abus éventuels signalés en matière de dépassements d'honoraires sont examinés par la section des assurances sociales, qui traite de la convention. Sur ce point, le Dr André Chassort, secrétaire général adjoint du Conseil national de l'Ordre, rappelle que, sur les cinq dernières années, une quarantaine de médecins ont été condamnés en première instance et une vingtaine en appel, en général pour des dépassements d'honoraires importants et répétés. Les sanctions prononcées vont du blâme à l'interdiction temporaire d'exercer.
Les syndicats sont également conscients de la difficulté à faire appliquer par la base des consignes qui pourraient, dans certains cas, être mal interprétées par les patients. C'est pourquoi l'UNOF insiste sur la menace qui pèse aujourd'hui sur la qualité des soins prodigués par les médecins de famille . Une autre manière de sensibiliser la population et les élus.
(1) Le « G7 » réunit quatre organisations de salariés (CFTC, CFE-CGC, CGT et FO) et trois syndicats médicaux (CSMF, SML et FMF). La FMF a toutefois un différend majeur avec les autres sur la question du secteur à honoraires libres.
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