La France n’est pas le seul pays d’Europe à chercher des solutions pour maintenir la viabilité financière de son système de santé, sans pour autant affecter la qualité des soins dispensés. Et ce quels que soient leurs modèles sociaux, d’inspiration bismarckienne ou beveridgienne. Les réformes successives tendent d’ailleurs à rapprocher les deux modèles. Si, culturellement et de façon caricaturale, le Nord de l’Europe a plutôt tendance à prendre les devants et à faire des réformes pour essayer d’anticiper les crises et le Sud à réagir une fois plongé dedans, aucun pays n’est vraiment dans une situation exemplaire d’équilibre et d’équité. L’Allemagne n’est ainsi pas épargnée par le besoin de réformes.
Système allemand en déficit
Rappelons que son système de santé est un régime d’assurance universelle obligatoire dans lequel les caisses d’assurance sont, pour la plupart (90 %) publiques et privées sans but lucratif. Il est financé par les cotisations patronales et salariales (depuis 2011, les cotisations s’élèvent à 15,5 % du salaire versé à l’employé, réparties non plus à parts égales, mais à 7,3 % pour le patron et 8,2 % pour l’employé). « Il s’agit là d’un fardeau financier conséquent pour les employeurs comme pour les salariés et, pourtant, le gouvernement fédéral doit encore injecter 12 milliards d’euros par an afin d’équilibrer le système de santé publique, ce qui illustre bien le fait que le système fonctionne avec un déficit », pointe Frederik Cyrus Roeder, économiste allemand de la santé et chercheur associé au sein du Montreal economic Institute. Une réforme au milieu des années 2000 a donc introduit le système du « copaiement ». Les patients ont dès lors dû verser une contribution de dix euros par rendez-vous chez le médecin et par nuit passée à l’hôpital. Cette mesure a permis de réduire de 17 % le nombre de consultations médicales et de soulager le budget consacré au système public d’assurance maladie du pays. « Cette réforme a toutefois été abandonnée par le dernier gouvernement de centre-droit juste avant de nouvelles élections législatives, poursuit Frederik Cyrus Roeder. Le gouvernement actuel n’a quant à lui aucun plan qui se concentre sur la recherche d’un financement durable du système de santé allemand. »
Or ce système sera bientôt confronté à un défi de taille : « Actuellement, 80 % du coût des soins médicaux sont le fait de 20 % de la population, essentiellement des personnes âgées et malades, rappelle l’économiste. Et avec un taux de natalité de 1,4 enfant par femme, la population allemande sera de moins en moins nombreuse et de plus en plus âgée. » Plus de besoins et moins de cotisants. Pour Frederik Cyrus Roeder, l’Allemagne doit donc, à terme, changer de modèle : « Chaque individu doit prendre une assurance privée et cotiser pour lui-même, estime-t-il. Des pays comme le Chili et, en partie, la Suisse et les Pays-Bas, ont réussi avec succès leur transition vers un tel système. »
Les Pays-Bas ont en effet réalisé la révolution de leur dispositif d’assurance maladie en instaurant une concurrence entre les caisses (lire article ci-dessous). Le résultat doit toutefois être nuancé. Si les frais de gestion de l’assurance maladie ont très largement été réduits, les chiffres de l’OCDE placent toujours les Pays-Bas à la seconde place des pays développés en termes de dépenses de santé en pourcentage du PIB et au quatrième rang pour les dépenses par habitant (quand la France se situe respectivement au troisième et au dixième rang).
Une réforme de l’offre en Angleterre
D’autres pays se sont attaqué, non pas à la réforme de leur modèle de financement, mais à celle de leur offre de soins pour faire des économies. C’est le cas de l’Angleterre qui s’est engagée dans une profonde réforme du National Health System (NHS) depuis le 27 mars 2012, date à laquelle le NHS Act a été promulgué. Elle ne prévoit pas de diminuer le budget alloué au NHS, fixé à près de 125 milliards d’euros par an et largement financé par l’impôt. Elle vise à faire des économies : le Gouvernement estime en effet que le système pourrait accuser un déficit de plus de 22 milliards d’euros d’ici à 2016. Les autorités administratives régionales et locales chargées de piloter le système de façon décentralisée ont donc été supprimées ainsi que les 13 000 emplois qui y étaient associés. « La suppression de cette bureaucratie doit permettre à l’État d’économiser 4,5 milliards de livres d’ici à 2015, justifie Jonathan Walden, qui a participé à la rédaction du projet de loi au sein du ministère de la Santé. Ces fonds seront réemployés pour faire face à l’augmentation des coûts de la prise en charge, notamment celle liée au vieillissement de la population. » À la place ont été créées 212 nouvelles structures locales composées de médecins généralistes censés être plus au fait des besoins des patients en termes de soins que les fonctionnaires. Assistés d’experts, ils ont désormais pour mission de faire fonctionner le système de santé et de gérer 80 % du budget du NHS. Ils doivent aussi veiller à limiter le recours aux soins hospitaliers. Facturés à l’acte, ces derniers coûtent en effet plus cher au NHS que les soins chez le généraliste, celui-ci recevant du NHS entre 75 et 100 livres par an et par patient, quel que soit le nombre de consultations dans l’année. Il s’agit là d’une réforme par le premier recours, comme le prône Didier Tabuteau et comme le tente de le faire, à sa manière le gouvernement français dans le cadre de sa Stratégie nationale de santé. Le rapport de Bernadette Devictor sur ce service public territorial de santé, remis récemment à Marisol Touraine, s’inscrit dans cette logique.
État d’urgence en Espagne
Restent les pays ayant dû réagir en pleine crise. C’est particulièrement le cas de la Grèce, du Portugal et de l’Espagne. Dans cette dernière, au plus fort de la crise économique, les régions autonomes ont multiplié les plans d’austérité. Ainsi, entre 2012 et 2013, six hôpitaux et vingt-sept centres de santé ont été privatisés afin d’économiser près de 200 millions d’euros dans la région de Madrid. En Castille-Leon et en Estrémadure, des dizaines de centres médicaux ruraux ont été fermés. Le gouvernement central a lui-même lancé un plan pour économiser 7 milliards d'euros en 2012 et 2013 dans le secteur de la santé. Il est ainsi revenu sur la gratuité des médicaments pour les retraités et a exclu les immigrés sans papiers du système de santé publique. Par ailleurs, le nombre d’individus pouvant profiter de la qualité d’ayant-droit d’un assuré a été restreint : les ascendants ne peuvent plus en bénéficier, de même que les descendants âgés de plus de 26 ans ou atteints d’un handicap d’un degré inférieur à 65 %.
Pour l’Asociación de Economía de la Salud, association espagnole d’économistes de la santé, il faudrait toutefois mener des réformes structurelles pour garantir la solvabilité du système public, lutter contre le gaspillage et améliorer le financement de la santé publique au lieu d’opérer des « coupes aléatoires » aux « visées à court terme ». Car pour elle, « le besoin de réformes structurelles du système de santé et, par extension, de son organisation et de sa gestion, ne date pas seulement du début de la crise. La crise était simplement un catalyseur ». Parmi les solutions pointées par les économistes de l’association : accroître l’autonomie des systèmes de santé régionaux tout en renforçant la coordination de ces systèmes au niveau du ministère de la Santé et augmenter le rôle des partenariats publics-privés. Il faut toutefois bien faire la distinction entre niveau de dépenses des pays pour leur santé et fragilité de leur système de santé. La part des dépenses de santé de l’Espagne par rapport à son PIB est ainsi calée sur la moyenne des pays de l’OCDE (9,3 %), ce qui n’empêche pas son système d’être en situation de crise.
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