D UNKERQUE, demain vendredi, 18 h 30. Les 180 coureurs inscrits au Tour de France 2001 ainsi que les dirigeants de leurs 21 équipes vont prendre place dans la salle de conférence du palais des Congrès. Seul face à cet aréopage de 300 personnes, un médecin, le Dr Christian Bénézis.
Le président de la Société française de médecine du sport va plancher pendant une heure sur le thème « Effets, méfaits et risques du dopage et alternative aux produits dopants ». Rompu à ce type d'exposé et maniant avec virtuosité son argumentaire technique, le Dr Bénézis est cependant en proie à quelques appréhensions, à la veille de cette première. « C'est la première fois, en effet, que je vais me trouver face à une telle classe, confie-t-il au "Quotidien" et je n'ai pas la moindre idée de la réaction qui sera celle de ces champions. Je vais leur présenter un tableau évidemment catastrophique des conséquences pour leur santé de la prise de corticoïdes, d'EPO ou d'hormones de croissance... Et je vais m'employer à leur faire passer un message plutôt moraliste sur les vertus d'un Tour qu'ils pourraient tout aussi bien courir sans ces produits, à 35 km/h au lieu des 40 actuels*, en s'entraînant raisonnablement, avec une bonne hygiène de vie et en s'adonnant, par exemple, à la thalassothérapie. »
Une génération perdue
Visiblement dubitatif quant à l'impact de son intervention, l'ancien athlète de haut niveau qu'est Christian Bénézis se montre, en revanche, beaucoup plus optimiste quand il parle des jeunes qui se disposent à prendre la relève. Dès septembre, il s'apprête à donner une nouvelle série de conférences à leur intention, sous l'égide de la Fédération française de cyclisme (FFC), et ces interventions-là lui paraissent beaucoup plus prometteuses. « La génération des professionnels actuels, en butte à des phénomènes extrêmes de compétition, a perdu la liberté de choisir de ne pas se doper, explique-t-il. C'est triste à dire, mais c'est une génération perdue. »
L'exposé de demain soir est néanmoins un élément spectaculaire de la politique de sensibilisation des coureurs et de leur encadrement. Pour une prise de conscience de tous.
C'est l'entrée en matière d'un plan de lutte qui, fort d'un budget supérieur à 10 millions de francs (1,52 millions d'euros) sur trois ans, met en uvre des moyens dissuasifs comme jamais (« le Quotidien » du 10 avril). Un arsenal qui fait proclamer à Jean-Marie Leblanc, le directeur du Tour depuis 1989, qu'il est « serein ». Tout comme Patrice Clerc, le successeur de Jean-Claude Killy à la tête d'Amaury Sport Organisation, qui lance avec emphase : « Nous, Tour de France, condamnons le dopage. Nous, Tour de France, agissons contre le dopage. Ce sont les deux vérités que je vais marteler pendant trois semaines. Nous condamnons sans réserve le dopage et nous agissons dans la mesure de nos moyens ».
Suivi longitudinal pour tous
Des moyens déployés tous azimuts : la recherche de l'EPO exogène, rendue possible par la validation en avril dernier de la méthode française de détection par l'Union cycliste internationale (UCI), représente l'arme principale contre l'utilisation généralisée d'un produit redoutablement efficace.
« Les contrôles seront faits à raison de huit par jour, précise Patrice Clerc ; les substances traditionnelles seront recherchées par le Laboratoire national de Chatenay-Malabry (Hauts-de-Seine), ainsi que les corticoïdes et l'EPO. Sachant qu'il n'est pas possible de rechercher l'EPO dans tous les contrôles et que les traces subsistent pendant plusieurs jours (trois ou quatre, NDLR) cette recherche sera faite par cycles.
Un élément majeur des contrôles résidera cette année, pour la première fois, dans la mise en uvre d'un suivi longitudinal. Dans ce cadre, la totalité des concurrents du Tour subira ce matin, probablement entre 6 h 30 et 8 h 30, un prélèvement sanguin dont les échantillons seront transmis dans la journée par avion spécial au laboratoire de Morges (Suisse) aux fins d'examen.
Coordinateur du réseau hématologie de la Fédération française de cyclisme, le Dr Gérard Din, qui préconise ces investigations depuis trois ans, affiche sa satisfaction qu'elles aient pu être enfin avalisées par un consensus entre l'UCI, longtemps hostile, et la FFC. « Nous allons ainsi disposer cette année, grâce à la pression qui s'est exercée sur les dirigeants, d'une arme de prévention active, déclare-t-il au "Quotidien", mais gardons-nous de croire que c'est l'arme absolue. » Et le Dr Din de rappeler les événements du récent Giro (tour d'Italie), qui hantent tous les esprits : la découverte en quantités considérables de RSR-13, « un produit, souligne-t-il, qui n'est cependant qu'en essai de phase 2 aux Etats-Unis et à ce jour commercialisé nulle part au monde. Voilà qui révèle que l'imagination des dopeurs n'a d'égal que les moyens dont ils disposent. »
De ce point de vue, l'angélisme officiel paraît hors de propos. Et les professionnels aujourd'hui dans la course restent sans doute fortement exposés aux substituts sanguins susceptibles de remplacer l'EPO, estime Gérard Din, qui, lui aussi, voit en eux « la génération sacrifiée du cyclisme ».
La trousse des médecins réglementée
Pour réduire encore les zones d'ombres, le Conseil de prévention et lutte contre le dopage (CPLD) vient encore d'adopter de nouvelles dispositions concernant le rôle des médecins des équipes professionnelles et leurs trousse (« le Quotidien » du 20 juin). « Nous avons créé une procédure qui distingue deux types de produit, explique le président de la commission médicale du CPLD, le Pr Michel Rieu : les médicaments dits du tout-venant et ceux qui figurent sur la liste des produits dopants** ; ces derniers devront être conservés dans une trousse d'urgence détenue par le seul médecin ou dans une réserve fermée à clé, la clé étant encore conservée exclusivement par le praticien. Un registre des prescriptions et la conservation d'un double de l'ordonnance de prescription permettront de garantir absolument la gestion des sorties de ces médicaments. »
Comme dit Jean-Marie Leblanc, le dispositif, cette année, est donc très « resserré ». Jusqu'au nombre des contrôles quotidiens, qui va être doublé et s'appliquera notamment aux trois premiers de chaque étape.
« L'effort est certes considérable, la prise de conscience générale, convient le Pr Rieu ; mais c'est surtout des jeunes qui prendront demain la relève que pourra venir l'espoir d'en finir vraiment avec la "galère" du dopage. » Dommage, décidément, pour leurs aînés.
* Alors que, depuis 1998, les temps moyens comptés aux grandes épreuves classiques enregistrent un recul compris entre 3 et 10 %, les performances du Tour de France restaient encore l'an dernier en progrès par rapport aux années précédentes.
** La France a adopté la liste établie par le Conseil de l'Europe en matière de dopage, par la publication d'un décret paru au « Journal officiel » du 30 juin. Cette liste recense les substances interdites et apparentées, les méthodes et les substances interdites dans certaines conditions.
Le cas Armstrong
Double vainqueur du Tour de France (1999 et 2000), l'Américain Lance Armstrong va tenter de remporter cette année une troisième victoire d'affilée dans l'épreuve reine du cyclisme professionnel. Les suites de l'information ouverte par la juge parisienne Sophie-Hélène Château pour « infraction à la loi relative à la prévention de l'usage de produits dopants, incitation à l'usage de produits dopants et infraction à la législation sur les substances vénéneuses » ne devraient pas l'inquiéter durant les trois semaines de l'épreuve. Le parquet a annoncé qu'en l'absence des résultats d'expertises d'urine et sang, qui ne seront pas connus avant au moins un mois, il « ne devrait pas y avoir, dans le cadre de cette information judiciaire, de mesures prises à l'encontre des coureurs durant le Tour de France 2001 ».
Le champion texan, qui est revenu à la compétition en février 1998 après un cancer des testicules diagnostiqué en octobre 1996, a affirmé début avril que « les prélèvements d'urine ne contenaient aucune trace d'EDPO ou de toutes autres substances prohibées ».
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