Arts
C'est une affiche consacrée au « Moulin Rouge » qui va, du jour au lendemain (en 1891), rendre Toulouse-Lautrec célèbre. Il s'est inspiré de la silhouette si étrange de La Goulue, qui deviendra une amie fidèle et à laquelle il consacrera d'autres uvres par la suite. L'époque est aux danses chahutées, d'un érotisme agressif, qui se prête bien à ces figures déhanchées données en spectacle au centre d'un cercle de silhouettes à l'élégance pincée.
Toulouse-Lautrec rend avec une étonnante efficacité ce rapprochement de la prostitution avec le grand monde qui est le sien.
Cette association de la femme la plus fêtée par les noctambules et du peintre le mieux à même d'en tirer la plus expressive image, place Toulouse-Lautrec dans toute sa modernité. Sans doute, il s'est inspiré d'un prédécesseur, Jules Chéret, mais il a tiré la ligne jusqu'à la synthèse des figures et l'a déliée jusqu'au dynamisme qui traduit la frénésie de la danse, de la musique, d'un spectacle hautement caricatural et dans lequel toute une époque peut se définir.
Après le music-hall, il est appelé à faire la publicité du cabaret, où domine alors la haute silhouette d'Aristide Bruant « à la voix d'émeute et de barricade ». Il l'immortalise avec le jeu si élégamment graphique de son large chapeau et son écharpe rouge, dans une sorte de hiératisme narquois, vaguement insolent et agressif.
Pour « l e Divan Japonais » de la rue des Martyrs, Toulouse-Lautrec conçoit une affiche d'une étonnante clarté de lecture quoique d'une savante et complexe composition qui résume les traits spécifiques de son apport à un art encore balbutiant (Bonnard s'y montrera, lui aussi, d'une audace novatrice). C'est une véritable explosion gestuelle et un développement spatial enfermés dans le cadre nécessairement réduit qui doit résumer une action, des présences, un climat, un esprit. Celui d'un Paris qui pétille et s'enivre de sa propre énergie vouée au plaisir, à l'élégance, à la galanterie.
Un art fait pour la rue
C'est bien le génie de Toulouse-Lautrec, reconduit d'affiche en affiche, que de définir ainsi un moment jusqu'à l'incarner comme une icône. Lautrec est un enfant de la nuit, tant par ses murs dissolues que sa particularité physique qui l'a marginalisé malgré le prestige de son nom, et son aisance financière qui lui permettait de se donner tout entier à son art.
Du music-hall aux chansonniers, du cabaret aux sports, en passant par la littérature, il s'est frotté à tous les problèmes qui peuvent se poser pour l'affichiste dont le rôle est de résumer un « produit » à vendre, et d'arracher l'attention du passant. Un art fait pour la rue, à son écho, entre rapidité et efficacité, éclat et séduction.
« Servi par une main vraiment expérimentée, il sait où il va et ne s'attarde pas », peut noter un critique de l'époque. « C'est à coup sûr une langue nouvelle qu'il parle, mais cette langue est ferme, claire et non sans harmonie. Elle sera comprise. »
Toulouse-Lautrec qui n'a jamais fait réellement parti du groupe de la Revue Blanche, fut néanmoins un de ses familiers, et y a, à l'occasion, collaboré (avec l'étonnant portrait de Misia, la femme de Thadée Nathanson, son directeur). De même, dans ses rapports avec le théâtre, il s'est retrouvé au coude à coude avec les Nabis dans leur collaboration avec Lugné-Poe et le théâtre de l'uvre. Dans la droite ligne d'une modernité sur tous les fronts, où son style elliptique, si frappant dans ses expressifs à-plats que demande l'art de l'affiche et tout moyen de promotion, reste d'une stupéfiante audace et d'une remarquable fraîcheur.
L'exposition a le mérite de révéler les dessous de l'affiche, ses étapes, sa conception, le mode de pensée qui la prépare. C'est un art qui a ses lois très strictes. Bien des peintres, et les plus grands, ne sauraient s'y plier.
Toulouse-Lautrec y a trouvé un mode d'expression qui convient bien à sa verve mordante, son insatiable curiosité, son goût de la provocation, son esprit « montmartrois ».
« Toulouse-Lautrec et l'affiche ». Fondation Dina Vierny - Musée Maillol, 59-61, rue de Grenelle. Jusqu'au 6 mai. Ouvert tous les jours, de 11 h à 18 h, sauf le mardi et les jours fériés. Prix d'entrée 7 euros. Gratuit pour les moins de 16 ans. Un catalogue édité par la RMN.
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