DE NOTRE CORRESPONDANTE
TOULOUSE est réputée pour ses façades en briques roses, son capitole, ses jolies ruelles et sa douceur de vivre… Ce n’est pourtant pas exactement dans ce décor que le Dr Marc-Antoine de Peretti exerce son métier tous les jours. Lui, c’est au Mirail qu’il a choisi de poser ses valises il y a déjà vingt-trois ans, en connaissance de cause. «Ma Toulouse ne loge pas en centre-ville (...) elle s’articule en faubourgs, cités, rugosité et grisaille», précise-t-il d’emblée dans son livre sorti la semaine dernière, « Médecin de banlieue ». Le quartier du Mirail, que l’on devine depuis le périphérique, rassemble de grandes barres de béton, derrière lesquelles pointent la misère, la violence et l’exclusion.
Bellefontaine, la Reynerie, les Pradettes, Papus ou encore La Faourette... C’est dans ces territoires que le médecin examine, soigne, réconforte ou écoute tout simplement. Il promène sa mallette de coursives en entrées d’immeubles, de caravanes, en logements parfois proches de l’insalubrité, enchaînant visites et urgences. Comme lui, ils sont une douzaine de médecins à peine à exercer dans ces faubourgs, pour 40 000 patients. La demande est telle qu’ils pourraient travailler 24 heures sur 24. «Ce quartier me captive car il me permet de me confronter à des règles différentes et de côtoyer de nombreuses cultures. Avec des populations et des pathologies différentes, je satisfais mon attrait pour le danger, l’inconnu, l’aventure. Je remplis les mêmes fonctions qu’un médecin du monde», explique-t-il.
Des règles et des codes.
Au Mirail, le Dr de Peretti est « toubib », celui que l’on arrête dans la rue pour le remercier ou pour lui demander un conseil, celui que les mômes de la cité protègent en surveillant sa voiture le temps d’une visite. Comme le curé ou l’instituteur du village, il est connu, respecté, écouté. Pourtant, dans cet endroit réputé difficile, on n’exerce pas la médecine comme partout ailleurs, «il y a des règles, des codes. Si l’on n’y souscrit pas, ce n’est pas la peine», assure-t-il. C’est ainsi qu’une de ses visites à domicile, a tourné un soir en agression. «Il était minuit et le type me demandait un certificat d’arrêt-maladie, j’ai refusé, il m’a séquestré, raconte-t-il. C’est finalement police secours qui m’a libéré.»
Lassé des vitres cassées et autres pneus crevés, le Dr de Peretti a rapidement compris qu’il devrait composer avec la loi du milieu : «Même si cela peut surprendre, ici il faut parlementer et transiger, on ne se met pas en danger pour un bout de papier.»
Les consultations sont-elles pour autant différentes au Mirail ? Ses consultations, le Dr de Peretti en parle comme «de petits bijoux», des rencontres au cours desquelles il pénètre dans «l’intimité, la vie, les angoisses, le stress, la maladie des personnes». Toute la difficulté consistant à ne pas se laisser gagner par les maux des patients.
Et c’est probablement là que le quotidien d’un médecin de banlieue se différencie de celui d’un médecin de campagne. «Là-bas, je ne pense pas que les gens soient aussi excités, ils ont des racines, la famille, le voisinage qu’on connaît depuis l’enfance. Ici, l’environnement change en permanence et c’est encore plus flagrant depuis AZF», précise le médecin.
Pour autant, «je ne fais pas figure d’exception», assure-t-il, je ne peux pas soigner sans affect ni proximité, mais dans mon rôle de médecin, j’ai la même approche avec quiconque».
Médecine sociale.
Au-delà de la médecine générale, l’activité de Marc-Antoine de Peretti s’apparente à de la médecine sociale, tant son quotidien est jalonné de situations précaires et parfois extrêmes. Femmes et enfants maltraités, drames de l’alcool, de la drogue, de la misère constituent son quotidien. Comment tenir alors, en étant si souvent amené à sortir de son rôle de soignant, pour s’improviser assistant social, écrivain public ou conseiller selon les besoins des patients ? «Dans ce marasme, ce qui m’aide à tenir, c’est la certitude d’être utile», avance-t-il. Se sentir utile, c’est une des raisons, mais ce n’est pas la seule. Il y a aussi l’exigence et la place que prend un tel métier dans sa vie. «Je suis toujours sur le qui-vive, sur le plan spirituel et affectif, avec des malades, dans des endroits dont je ne reviens pas indemne.»
Le médecin compare son ressenti à celui d’un toxico. «Par mon vécu, d’une certaine manière je suis aussi sous dépendance: celle de mon métier, des autres, de la souffrance... De l’adrénaline nécessaire pour m’en occuper et de cet état survolté qui me permet d’être réceptif à mes patients.»
Devenu accro à ces blocs d’immeubles, aux odeurs qu’il en rapporte, «odeurs de couloirs, d’appartements, âcres, rampantes, renfermées, perturbatrices, létales...», le Dr de Peretti est un témoin privilégié de cette vie de banlieue depuis plus de vingt ans. Il a assisté aux émeutes de l’automne 2005 avec caillassages et incendies, «comme en 1998, pas pire. Pareil.» A une seule différence : au Mirail comme ailleurs, «le climat s’intensifie, plus dur, pénible, douloureux. Les événements l’ont prouvé, inutile d’en dire plus.»
* « Médecin de banlieue », Marc-Antoine de Peretti, Michel Lafon, 242 pages, 18 euros.
Trois mois dans la catastrophe
Le vendredi 21 septembre 2001, un éclair furtif dans le ciel toulousain a précédé une explosion, puis une seconde. Ensuite ce fut le chaos. L’explosion d’AZF reste dans toutes les mémoires, elle a laissé des traces indélébiles. Les confidences et les témoignages livrés par les patients depuis peuvent se comparer à des névroses de guerre post-traumatiques. «Après AZF, beaucoup de femmes souffrant de syndromes dépressifs ont craqué, le choc de la catastrophe a réactivé chez elles des traumatismes d’enfance, dont de nombreux incestes tus et cachés depuis des décennies», analyse le médecin.
Aux premières loges depuis son cabinet situé à peine à quelques encablures du site, le Dr de Peretti, comme ses collègues du Mirail, a dû faire face aux urgences. Immédiatement après le désastre, le cabinet s’est rempli de blessés. «On a recousu entre soixante et quatre-vingts malades sans téléphone ni électricité. On ne savait rien, bruits et rumeurs circulaient de tous les côtés. Au Mirail, les secours ne sont réellement arrivés que le dimanche, raconte-t-il. Conscients que le cabinet médical représente le seul lieu d’écoute quand on se croit isolé et abandonné, les médecins du quartier se mobilisaient d’arrache-pied. Trois mois d’horreur et de cauchemar ont suivi. J’étais dans la catastrophe, dans le discours et les plaintes des gens sans discontinuer.»
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