De notre correspondante
L'explosion qui a eu lieu à 10 h 15 le vendredi 21 septembre à l'usine pétrochimique AZF (Azote de France) de Toulouse a fait, selon les derniers bilans, 29 morts, une trentaine de blessés graves et près de 3 000 blessés. L'explosion de 200 tonnes de granulés de nitrate d'ammonium stockés dans un hangar a provoqué une secousse de magnitude 3,2 perçue jusqu'à Nice et en Normandie, un épais nuage orangé chargé d'ammoniac et un effet de souffle ressenti dans la moitié de la ville.
Les premières informations ont fait état de dégâts à l'hôpital de Rangueil tout proche, d'explosions disséminées dans toute la ville et, rapidement, car c'était la crainte de tous les Toulousains, de la source de l'explosion : le site chimique de l'AZF.
Il faut savoir que l'AZF n'est pas la seule usine chimique sur ce site qui s'appelle poétiquement depuis quelques années Grande Paroisse et défigure l'entrée sud-ouest de Toulouse. Il comprend aussi la Société nationale des poudres et explosifs (SNPE, nommée couramment « la Poudrerie ») et Tolochimie. L'AZF, filiale du groupe Total Fina, produit donc non seulement des engrais, mais aussi des produits pour piscine et stocke 5 000 tonnes d'ammoniac, du chlore, de l'hydrogène et de la soude, justifiant le classement à risque Seveso 2 (voir « le Quotidien » d'hier). La SNPE contient du phosgène, le fameux gaz moutarde de la Première Guerre mondiale, et fabrique les carburants des fusées Ariane et des herbicides.
L'effet de blast
La peur d'un attentat, du risque chimique et d'un effet domino de l'explosion ou d'un incendie sur tous les produits stockés ont pendant les premières minutes laissé au second plan ce qui a ensuite dominé les pathologies des blessés hospitalisés, l'effet de blast, et a entraîné des évacuations sauvages de blessés jusqu'à plus de 50 km de la ville.
L'arrivée très rapide des secours sur le site de l'explosion a permis de prendre la mesure de la situation :
- pas de risque toxique grave, du moins immédiat ;
- des morts et des blessés graves sur le site lui-même et dans un large périmètre alentour, dans lequel passe la rocade qui entoure Toulouse, où est située une des premières cités HLM de la ville créée justement pour les employés de la Poudrerie, ainsi que deux lycées, un bâtiment de l'EDF, des grandes surfaces ouvertes à cette heure-là... ;
- l'insuffisance de moyens de communications par saturation des réseaux téléphoniques restants, une grande partie ayant été endommagée par l'effet de souffle.
Les types de lésions ont été rapidement recensées :
- deux grands brûlés ;
- blast primaire dû au souffle lui-même touchant le thorax (pneumothorax, emphysème, détresses respiratoires aiguës), l'abdomen (rupture de foie, de rate...) ;
- blast secondaire dû aux projections de débris de verre : polycriblage par des petits éclats sur la face et les yeux, en particulier aboutissant dans certains cas à des énucléations, ou mutilations de membres par de gros éclats agissant comme des armes blanches ;
- blast tertiaire correspondant aux chutes ou projections de charpentes ou de débris métalliques jusqu'à 2 km, sur les piétons ou les personnes en voiture, occasionnant fractures, souvent ouvertes, parfois amputations de membres, plaies cranio-cérébrales, médullaires, embarrures, hématomes extra- ou sous-duraux....
Poste médical avancé
Les premiers secours ont été assurés sur place par les pompiers, les SAMU et 40 équipes de SMUR, d'abord locaux, puis venus de tous les départements environnants. Les pompiers occupés sur place ont mis leurs véhicules et leur matériel à la disposition des secours médicaux. Près de 1 500 pompiers ont uvré pour sécuriser le site et extraire les blessés.
La première phase a consisté à évacuer la zone à risque, à extraire les blessés graves et à évacuer l'hôpital psychiatrique Marchant situé en face de l'AZF et totalement détruit (voir encadré).
Les premières ambulances transportant les blessés graves ont observé des colonnes de personnes fuyant la zone sinistrée ou se rendant directement et par leurs propres moyens dans les hôpitaux et cliniques de la ville. Il a alors été décidé, avenue de Muret, sur cette ligne de circulation des gens, qui faisait penser à un exode, de mettre en place un PMA (poste médical avancé) qui a permis, avec l'aide des médecins généralistes de la ville, de trier les blessés, d'assurer sur place tout ce qui pouvait l'être : sutures, pansements, aide psychologique, accueil du ballet médiatico-compassionnel...
Toutes les opérations en moins de 36 heures
Moins de trois heures après l'explosion, la montée en puissance des secours s'était effectuée au mieux :
à partir du PMA, les blessés ont été orientés vers les deux CHU - Purpan plus près du PMA et, plus loin de la zone à risque, Rangueil, dès que l'on a été certain que le bâtiment n'avait pas été endommagé par l'explosion, et toutes les cliniques de la ville et de la périphérie (voir encadré). Soixante anesthésistes et urgentistes toulousains en congrès à Paris ont été ramenés à Toulouse par avion militaire. Les blocs opératoires ont fonctionné non stop, assurant en particulier dans les services d'orthopédie, de chirurgie viscérale, de neurochirurgie, d'ophtalmologie et d'ORL toutes les interventions nécessaires en moins de 36 heures. Et le PMA a pu être fermé dès 19 h le soir même de l'explosion.
PMA, CHU et cliniques ont vu passer environ 3 000 blessés, les services d'urgences en ont reçu plus de 1 500 et environ 700 ont été hospitalisés, dont 40 sont encore dans un état grave.
En début de semaine, le plan rouge était encore en place, les travaux de déblaiement sur la zone représentant encore un danger chimique. La vidange des cuves d'acide sulfurique et d'acide nitrique a eu lieu dimanche, pendant que les Toulousains grimpaient sur les côteaux de Pech-David, juste au dessus du site, pour voir l'ampleur des dégâts !
Les systèmes de sécurité autour des cuves de phosgène ont fonctionné, même si des conduites ont été endommagées.
Au total, un bilan globalement positif de la qualité de la prise en charge des blessés grâce à une disponibilité immédiate, spontanée, bénévole de toutes les ressources sanitaires de la région, grâce aussi à une solidarité exceptionnelle des Toulousains entre eux, qui ont permis de compenser les premiers moments de flottement dus à l'absence totale de communications téléphoniques dans la ville pendant les premières heures et à l'insuffisance des moyens radio. La prise en charge des familles des morts a elle aussi laissé à désirer, gênée par les besoins d'une enquête de police justifiée par la crainte d'un attentat.
La cellule d'urgence médico-psychologique dirigée par le Dr Franc, aidée par toutes les bonnes volontés de la ville, a fonctionné à plein, mais a eu du mal à faire face à toutes les demandes d'aide.
Le problème maintenant est bien au-delà. Il est politique : fermeture, enfin, on l'espère, de cette « bombe chimique ». Il est social : un tiers des écoles de la ville et la faculté du Mirail fermées, un chômage technique énorme à venir, des centaines de personnes sinistrées, des mutilés à prendre en charge. Il faut enfin maintenir l'élan d'entraide.
Les cliniques en première ligne dans les premières heures
Les cliniques de la rive gauche de Toulouse, Ambroise-Paré, Parc, Ducuing, Cours Dillon, Sarrus..., elles-mêmes touchées par l'effet de souffle de l'explosion, ont très vite été mises à la tâche face au flux spontané des blessés touchés par des éclats de verre ou des projections, qui sur la rocade, qui habitant des quartiers environnants, expliquent le Dr Bernard Grandjean (directeur de la clinique Ambroise-Paré) et le Dr Michel Boussaton (chirurgien orthopédique, clinique des Cèdres).
L'entraide entre Toulousains a fonctionné dès les premières minutes, apportant un flot permanent de blessés, qu'il a fallu sélectionner en fonction des blessures : traumatologie, ophtalmologie, simples sutures... Toutes les interventions programmées ont été arrêtées et les blocs libérés ont permis d'opérer pratiquement au fur et à mesure des entrées. L'élan de solidarité a été immédiat et à tous les niveaux : personnel, fourniture de matériel, de produits, stérilisation, repas de fortune pour tous... Les médecins de la ville, les infirmières sont venus spontanément rendre service.
Dans un deuxième temps, après la mise en place du PMA de l'avenue de Muret, ont été adressés dans les cliniques de toute la ville et de la périphérie (Occitanie, Cèdres, l'Union, Saint-Jean...) des malades déjà « triés », amenés en ambulance pour des interventions plus lourdes qui ont duré une grande partie de la nuit.
C'est ainsi que les cliniques ont traité environ la moitié des blessures provoquées par l'explosion de l'AZF. La clinique Ambroise-Paré a reçu plus de 300 blessés, toutes les autres plus de 100 blessés chacune en fonction de leurs spécialités.
La clinique des Cèdres a récupéré une grande partie des malades de l'hôpital psychiatrique Marchant.
Au total, les cliniques ont joué à plein leur rôle d'hôpitaux de proximité, toutes les urgences ont été assurées.
Là aussi, la défection des systèmes de communication pendant les deux premières heures a empêché la mise en place immédiate des liaisons entre les différents lieux de soins.
Etat d'urgence en psychiatrie
La destruction totale du centre spécialisé Gérard Marchant, situé près de l'usine AZF, a créé « un besoin urgent de reconstitution des moyens de la psychiatrie publique en Haute-Garonne », selon Pierre Gauthier, le directeur de l'agence régionale d'hospitalisation . L'hôpital (1 000 agents, dont 450 infirmiers) était déjà saturé et manquait de lits avant la catastrophe. Il accueillait 350 malades, qui ont été évacués le jour de l'explosion et répartis dans plusieurs hôpitaux de la région (notamment à Lavaur, Saint-Lizier et Limoux) et dans les cliniques toulousaines spécialisées. L'urgence psychiatrique a, elle, été transférée, avec tout son personnel, dans les locaux du CHU Purpan.
« Nous souhaitons rapidement pouvoir regrouper l'ensemble des malades dans une structure unique », indique la directrice adjointe, Christine Arnal, qui s'inquiète particulièrement, pour ces malades, « des phénomènes de décompensation liés à la catastrophe ».
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