PRÈES DE TRENTE ANS après la loi du 30 juin 1975, et alors que le projet de loi « pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » est sur le point d'être voté (il sera examiné en janvier par les députés, en deuxième lecture), 88 % des familles en situation de handicap estiment ne pas être intégrées dans la société française.
Ce chiffre donne le ton des résultats de la huitième enquête nationale d'opinion réalisée par Handicap International, en partenariat avec l'Apajh (Association pour adultes et jeunes handicapés) et Leroy-Merlin.
Malgré un changement de méthodologie*, l'enquête révèle une remarquable stabilité de résultats : au fil des ans, insatisfactions et inquiétudes des familles ne se démentent pas. Et la future loi sur les handicapés ne semble pas près de changer les choses : seulement 43 % des personnes qui ont entendu parler de ce projet (69 % des sondés) estiment qu'il aura des répercussions pour les personnes handicapées. Un scepticisme qui n'a rien d'étonnant, sachant que 89 % des familles interrogées estiment que les pouvoirs publics ne s'intéressent pas à elles.
L'inaccessibilité des infrastructures publiques reste d'ailleurs sévèrement mise en cause : 70 % des sondés incriminent la circulation piétonne, 67 %, les transports publics, 60 %, les équipements sportifs et culturels, et 52 %, les services publics (mairie, La Poste, administration). Quant à l'école, plus de quatre familles sur dix jugent son accès difficile.
Satisfecit pour la prise en charge médicale, pas pour l'annonce.
En matière de prise en charge du handicap par la société, la seule note positive est attribuée au corps médical. Au regard des soins prodigués aux personnes handicapées, il bénéficie d'un large satisfecit, qu'il s'agisse du corps médical privé (73 %), de l'hôpital (68 %) ou des institutions spécialisées (67 %).
En revanche, l'annonce du handicap par le corps médical reste très mal perçue par les familles : 65 % considèrent que cette annonce a été mal faite et 43 %, qu'elle a été « très mal faite ». D'autant que 39 % des parents d'enfants handicapés déclarent spontanément (l'item n'était pas proposé) qu'ils n'ont bénéficié d'aucun soutien en accompagnement de cette annonce.
C'est surtout auprès de leurs proches que les familles ont trouvé du soutien (40 %), plutôt qu'auprès d'un médecin hospitalier (13 %), d'une association (12 %), d'un libéral (psychothérapeute, médecin, juriste, 9 %) ou d'une infirmière (3 %).
Isolement et repli.
Les résultats de l'enquête révèlent, en outre, que le handicap entraîne le plus souvent une restructuration très importante du mode de fonctionnement de la cellule familale en même temps qu'une précarisation. Dans la très grande majorité des cas, l'un des parents (la mère, le plus souvent) renonce à son activité professionnelle, totalement ou partiellement : 49 % des mères d'enfant handicapé ne travaillent pas, contre 31 % qui exercent à temps partiel ou en horaires aménagés.
Le temps s'organise essentiellement autour de la personne handicapée, d'autant que 60 % de ces foyers ne bénéficient d'aucune aide extérieure (seulement 32 % ont recours à un accompagnement humain). Dès lors, la notion de loisir tend à disparaître : une grande majorité des familles (72 %) affirment disposer de « peu » ou « très peu » de loisirs (38 %). Le budget familial est également mis à mal, à la fois par la baisse des revenus et par le coût du handicap lui-même. Ainsi, 44 % des familles en situation de handicap rencontrent de réels problèmes financiers, avec des difficultés à assumer les soins médicaux spécifiques (27 %) ou à payer le loyer (30 %).
Mais la source d'anxiété principale de ces familles concerne l'avenir de leur enfant. Les parents se disent « inquiets » (87 %) en ce qui concerne la vie de leur enfant après leur disparition (et même « très inquiets » dans 59 % des cas), son avenir professionnel (72 %), sa prise en charge dans une structure adaptée (75 %) ou encore sa vie affective (70 %).
En réalisant, cette année, un focus sur l'habitat et son adaptation pour les personnes handicapées, l'enquête Ipsos a mis en exergue d'autres types de difficulté, et notamment l'isolement des familles. Si 76 % des foyers interrogés considèrent que leur lieu de vie est aujourd'hui « globalement » adapté à la vie quotidienne de la personne handicapée, pour 47 % des familles ayant réalisé des travaux ou prévoyant d'en faire, aucune aide n'est attendue - alors même que le coût de ces travaux est jugé « cher » (82 %), voire « très cher » (44 %). Lorsque aide il y a eu, elle provenait de la Cpam (20 %), du conseil général (17 %), d'une mutuelle (16 %) ou de la CAF (15 %). Ces résultats mettent en évidence un déficit d'informations et de communication sur les aides humaines et financières existantes, tant dans le réseau spécialisé que dans le réseau grand public.
Mais la solitude des familles déborde largement ces questions. En effet, les indicateurs mis en place par l'enquête laissent à penser que de nombreuses familles se retrouvent aujourd'hui repliées sur elles-mêmes et découragées, avec le sentiment d'être seules à gérer ce handicap.
* Cette année, l'institut Ipsos a procédé par téléphone, et non pas par questionnaire autoadministré. L'enquête a été réalisée, en septembre 2004, auprès de 502 foyers répartis sur l'ensemble de la France métropolitaine (échantillon représentatif des abonnés au magazine « Déclic », édité par Handicap International, hors institutions, associations et corps médical ; les quotas mis en place étaient le sexe et la région).
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature