> Le Temps de la médecine:
L'irremplaçable toucher
« ON SAIT que c'est une des choses les plus difficiles du métier, toucher les patients », explique Marie-Hélène Leleu, formatrice en Ifsi (institut de formation en soins infirmiers). Pourtant, dans son école de soignants, cet aspect de la relation ne fait l'objet que d'un cours théorique de sciences humaines en première année, où l'on évoque les grands enjeux de la relation tactile : le rôle d'enveloppe de la peau où se joue la « répercussion de l'âme », le fait que l'on ne peut toucher sans être touché, le contact mère-enfant, etc. Autant de belles idées qui s'effondreront au premier contact des étudiants avec le corps âgé et malade, souvent source de répulsion inavouée. « Le choc sera de toute façon difficile », explique Marie-Hélène. Alors on se protège.
Asepsie émotionnelle.
Beaucoup de soignants voient dans le port des gants une façon de ne pas entrer en contact direct avec le patient. « Au début, les étudiants ne veulent pas toucher », explique la formatrice, qui évoque pêle-mêle la peur de la maladie, l'éducation, le malaise devant l'intrusion que représente une toilette intime. Si le toucher ne s'apprend pas, selon elle, la relation s'améliore cependant avec l'expérience. Mais encore faut-il la tenter. Aussi « les médecins sont peut-être plus handicapés car ils peuvent plus facilement se retrancher derrière des gestes techniques », explique-t-elle, tandis que l'infirmière, au cours de sa formation comme de son exercice, est toujours conduite à un moment ou un autre à entrer dans un rapport corporel étroit avec le patient.
En l'absence de formation spécifique, la qualité du toucher relève des capacités personnelles. Savoir qu'une main chaude est plus agréable qu'une main froide ou qu'on peut, par une simple caresse sur le bras, faire « pardonner » le geste intrusif d'une perfusion, sont autant de connaissances acquises par l'expérience et le partage.
Martine Nectoux, infirmière clinicienne, évoque dans un article de la revue « Laennec » (décembre 1994) le cas d'une patiente choquée de s'être fait examiner par deux médecins lui palpant le sein, alors qu'elle est sur un brancard dans un couloir, où on lui signale la décision d'opérer son nodule. Cette patiente aura néanmoins un long entretien avec l'un des médecins, qui la remerciera ensuite de lui « rappeler l'essentiel », c'est-à-dire qu'en touchant son sein il touchait aussi le corps d'une femme. Martine Nectoux évoque « l'asepsie émotionnelle » recherchée par les soignants pour se protéger des corps mutilés et des peurs qu'ils suscitent.
Pourtant, rappelle Marie-Hélène Leleu, du fait de la maladie, « le patient se trouve dans un état de régression qui appelle le toucher ». Une élève infirmière, impuissante devant l'angoisse d'une femme souffrant d'un cancer, raconte qu'une aide-soignante lui a « ouvert les yeux » en proposant un léger massage du dos qui calma la patiente et lui permit de s'exprimer. Le toucher fait partie intégrante de la communication non verbale, particulièrement importante chez les petits enfants, mais aussi chez les patients rencontrant des difficultés à s'exprimer, qu'ils soient en fin de vie ou victimes de déficits cognitifs. A ce titre, il doit être employé tout en étant maîtrisé : « Prendre la main d'un vieux monsieur qui déprime, ça fonctionne, explique Donald Morcamp, neurologue au CHU de Rouen, mais on ne le fait pas avec une jeune patiente venue consulter pour sciatique et à qui on annonce qu'elle a une sclérose en plaques. »
L'hygiène en question.
« Quand je vois un étudiant enfiler des gants pour faire un soin, je lui demande toujours s'il en a vraiment besoin », explique cette infirmière en soins palliatifs. Le port des gants lors des soins suscite de nombreuses controverses. Quand il s'agit d'actes techniques, pas de problème : « Le geste est contrôlé par la vue et il y a une adaptation qui compense la perte de perception », explique Donald Morcamp. Quant aux gestes de soins, « il y a aussi pas mal d'adaptations qui se font dans la tête », estime le neurologue, qui fait un parallèle avec la diversité des perceptions décrites par les utilisateurs de préservatifs.
Dans la réalité, les recommandations de la DGS (direction générale de la Santé) et des comités de lutte contre les infections nosocomiales, via diverses circulaires, retiennent deux types de cas où les gants sont indispensables : le contact avec une peau lésée (celle du soignant ou du patient) et le contact avec des liquides biologiques (sang, urines, selles, mais aussi liquides à la surface des muqueuses buccale ou génitale). « Hormis ça, point barre », affirme une infirmière hygiéniste. Pis, le port de gants tous azimuts peut poser un problème en termes de colonisation de l'environnement. La règle d'or est donc : un acte, un patient, une paire de gants à usage unique. Avec, à la clef, une mesure d'hygiène des mains à chaque retrait de gants. Si l'on veut entrer dans les détails, on peut préciser que seule la zone de contact est concernée : point besoin de gants pour faire la toilette du dos chez un patient souffrant de lésions cutanées aux jambes...
Mais qu'en est-il de la relation au patient ? Certains soignants dénoncent une « objetisation » abusive du patient. Pure idéologie, répondent les autres : « Dans les années 1960-1970, explique cette infirmière, on faisait les pansements avec des pinces, on portait rarement des gants, mais on ne touchait pas plus les patients. » Et d'ailleurs, ajoute-t-elle, « on peut mettre les gens à distance tout en les touchant ». Les hygiénistes recommandent, lorsqu'on met les gants, d'expliquer au patient pourquoi on le fait, afin de rétablir par le verbe la communication rompue au niveau du toucher. « L'important, conclut cette soignante, est de faire comprendre au patient qu'on le perçoit comme une personne à part entière, qu'il n'est pas du rebut. »
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