La crise internationale née des attentats du 11 septembre a donné des ailes au Premier ministre britannique, Tony Blair. Il est sans doute de ces animaux politiques qui n'acquièrent leur vraie dimension que lorsqu'ils sont confrontés à une sérieuse menace.
Il lui en faudra plus pour prouver qu'il est un deuxième Winston Churchill. Mais un homme d'Etat fait les guerres qu'il peut et celle-ci ne doit pas être prise à la légère. M. Blair étudie avec une minutie suspecte la moindre de ses apparitions en public et il a si bien éduqué ses conseillers que l'un d'eux, une femme, a même suggéré récemment, dans une note « confidentielle » (mais qui a été révélée), que les attentats représentaient une occasion, pour le gouvernement britannique, de faire passer un certain nombre de projets impopulaires.
Spinning
Elle a été sévèrement réprimandée pour un cynisme qu'elle a peut-être appris de maîtres plus prudents. Mais l'anecdote en dit long sur la technique dite du spinning (façon de faire tourner la toupie de la communication) de l'équipe Blair. Et elle rappelle combien le beau Tony est self conscious, manière de dire qu'il ne présente pas au public un cheveu ou un sourcil qui soient dépourvus d'utilité médiatique.
Le chef du New Labour savait que, en dépit de sa popularité et de sa victoire aux élections du début de l'été, il allait devoir affronter une phase plus difficile : la Grande-Bretagne, qui a fait des merveilles en matière de croissance et d'emploi, ne sera pas épargnée par le ralentissement économique. Les attentats ont donc été pour lui une occasion de faire rebondir sa popularité, qui est maintenant au zénith. Non qu'il y ait vu un simple instrument de gestion intérieure ; s'il a adhéré aux décisions de George W. Bush, c'est parce qu'il était sur sa longueur d'onde.
Et il ne s'est pas contenté de parler. Il a d'abord tenu à ce que les forces britanniques participent peu ou prou à l'assaut contre l'Afghanistan, ce qui a fait de la Grande-Bretagne le seul pays au monde qui ait aidé militairement l'Amérique, et a montré du même coup l'inanité de l'Europe ; il est allé dire, comme Chirac, il est vrai, sa compassion aux Américains ; et il a fait une tournée des pays arabes et musulmans pour leur expliquer que l'Amérique entendait se protéger contre le terrorisme, non s'attaquer au monde arabe. Pour ce travail extrêmement délicat, il n'était pas mieux loti que la France qui aurait pu faire les mêmes démarches diplomatiques avec l'avantage de ne pas avoir tiré une seule balle contre l'Afghanistan. Mais M. Blair l'a fait avec courage et avec efficacité, puisque, à ce jour, le Pakistan, l'Egypte, les Emirats ont préféré réprimer les manifestations à une révolte contre les Américains.
George W. Bush ne peut donc qu'être reconnaissant à Tony Blair pour le travail qu'il a fait. Aussi experte que soit son équipe de conseillers, elle risquait d'être coupée du monde arabo-musulman, et c'est bel et bien Tony Blair qui a empêché la fracture. Certes, les liens entre les Américains et les Etats du Proche-Orient ou d'Asie centrale sont tendus et près de rompre. Mais ce sont les risques du métier et il faut maintenant que M. Bush puisse se débarrasser des taliban avant que les foules arabo-musulmanes ne mettent en danger les régimes qui les gouvernent.
Israël sur la sellette
Tony Blair a compris autre chose, d'infiniment plus complexe pour les dirigeants américains et à quoi il a apporté tout son concours actif : que les pays arabes exigent des Etats-Unis qu'ils exercent une pression suffisante sur Israël pour que soit créé dans les mois qui viennent un Etat palestinien. La séquence diplomatique a été admirable : d'abord M. Bush a laissé dire qu'il avait l'intention d'évoquer la création de l'Etat palestinien avant les attentats du 11 septembre, façon de dire que, s'il se prononçait en faveur de cet Etat, ce n'était pas à cause des attentats et des pressions arabes ; puis, M. Bush, à plusieurs reprises, a dit publiquement ou dans ses conversations téléphoniques avec des chefs d'Etat arabes qu'effectivement la diplomatie américaine allait s'atteler à cette tâche ; puis Jack Straw, le ministre britannique des Affaires étrangères, a lancé un couplet sur l'injustice faite aux Palestiniens, ce qui a valu la mauvaise humeur des Israéliens ; puis M. Blair lui-même, recevant lundi dernier Yasser Arafat, répétait le leitmotiv de l'Etat palestinien.
Entre-temps, les Quinze ont félicité M. Bush pour ses déclarations en faveur de l'Etat palestinien ; Ariel Sharon a mis en garde Washington contre un comportement de type munichois qui consisterait à sacrifier Israël à un règlement de comptes avec les taliban ; et Yasser Arafat, qui, depuis un mois, joue avec brio le jeu de l'antiterrorisme, lui qui a quand même eu l'occasion d'exercer cette pratique, s'est déclaré prêt, avant-hier, à des négociations sans conditions avec Israël.
Le problème, pour M. Sharon, c'est qu'il n'est pas l'homme de la situation. Il n'a pas été élu pour faire la paix avec M. Arafat, mais pour protéger ses concitoyens. La protection qu'il leur apporte est relative et le voilà contraint, dans ce maelström, d'inventer une politique.
Il peut très bien douter de la sincérité de M. Arafat qui semble aujourd'hui prêt à accepter ce qu'il n'a pas voulu d'Ehud Barak. Mais les motivations de M. Arafat n'ont aucune importance. Il se déclare « antiterroriste », il faut faire comme s'il l'était ; il veut faire la paix, il faut avoir l'air de le croire ; après tout, le chef de l'Autorité palestinienne prend des risques considérables. Il faut que M. Sharon en prenne aussi.
Il n'a pas le choix. De même que M. Arafat doit combattre les extrémistes du Djihad et du Hamas (et même d'une partie du Fatah) pour négocier la paix, de même M. Sharon doit s'opposer aux colons qui ne veulent pas payer pour la paix. Il lui faut donc trahir ses serments électoraux, mais il ne sera ni le premier ni le dernier à le faire. Il ne peut pas ignorer le faisceau convergent de manuvres diplomatiques qui, toutes, le pressent de calmer le jeu.
Une analyse un peu courte
Rien ne dit d'ailleurs que de nouvelles négociations aboutiront. Beaucoup d'Israéliens penseront qu'il est injuste que M. Arafat obtienne, après plus d'un an d'une intifada qui a fait plus de huit cents morts, ce qu'il pouvait obtenir par la négociation ; ils penseront aussi, comme M. Sharon, que, si la riposte aux attentats se résume à des concessions aux Palestiniens, on entre dans la logique des kamikazes ; enfin, ils rappelleront que les Palestiniens se sont démarqués d'Oussama ben Laden et qu'établir un lien entre les attentats et la crise israélo-palestinienne correspond à une analyse un peu courte.
Ce qui est vrai, c'est que les pays arabes ont réussi à établir ce lien, à imposer leur propre logique aux Américains, en échange d'une approbation discrète des bombardements de l'Afghanistan. Et que M. Sharon n'a pas réussi, lui, à imposer son point de vue.
Mais le Premier ministre israélien doit se résoudre à l'idée qu'il n'a aucune chance d'éliminer l'aspiration des Palestiniens à l'autodétermination. La notion même d'Etat palestinien n'est plus un tabou, et depuis longtemps. Bien entendu, rien ne garantit à Israël que cet Etat, une fois créé, ne va pas servir de base militaire contre l'Etat hébreu : à chaque jour suffit sa peine. Voyons d'abord si Yasser Arafat parvient à calmer les ardeurs suicidaires du peuple palestinien, de confondre les fanatiques, de les contourner et de les dépasser par un processus de paix.
On craint énormément, en Israël, le risque d'une guerre civile où des partisans de la paix seraient amenés à se battre contre ceux qui la refusent. Le même risque existe au sein du mouvement palestinien et, lorsque la police de M. Arafat a tiré sur des étudiants qui manifestaient pour Ben Laden, on pouvait dire que, chez eux, la guerre civile avait déjà commencé. M. Sharon ne peut pas donner moins de gages que M. Arafat n'en a donné. Jusqu'à présent, il a appliqué une tactique militaire pour contenir l'intifada. Il lui faut une politique et, pour la mettre en uvre, il lui faut peut-être un autre gouvernement.
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