Entretien avec Caroline Huyard

« Titre à venir titre à venir »

Publié le 26/03/2012
Article réservé aux abonnés
chapo chapo chapo chapo chapo chapo chapo chapo chapo chapo chapo chapo chapo chapo chapo chapochapo chapo chapo chapo chapo chapo chapo chapo chapo chapo chapo chapo.
Décision Santé. Vous soulignez dans votre livre comment le critère statistique ne suffit pas pour définir les maladies rares. Comment alors les qualifier ?

Caroline Huyard. Elles sont définies par le nombre, mais pas dans le sens où on l’imagine. Souvent, elles sont réduites à la difficulté de mettre en œuvre des innovations thérapeutiques. On aurait alors créé le statut des médicaments orphelins pour répondre aux besoins spécifiques de ces pathologies. Mais si l’on procède à une enquête, il apparaît que le concept de maladie rare a été inventé aux États-Unis pour répondre à un problème posé par des médicaments qui étaient déjà disponibles. En effet, en 1962, suite au drame de la thalidomide, les Américains procèdent à une modification de leur législation. Tous les médicaments mis sur le marché depuis 1938 doivent faire la preuve de leur innocuité et de leur efficacité. Pour autant, certains médicaments ne font pas l’objet de cette réévaluation. Les industriels mettent en avant l'obstacle constitué par son coût. Résultat, certains médicaments sont toujours disponibles alors qu’ils ne peuvent légalement être administrés aux patients. Des patients, atteints par des maladies peu fréquentes, se mobilisent afin de ne pas être privés de leur traitement. Une première réponse est alors donnée avec la promulgation d’un statut particulier pour les médicaments non rentables. Mais comment évaluer si un médicament est rentable ou non ? Comme les industriels refusent de communiquer leurs données, il est dans un second temps décidé qu’en dessous d’un seuil de malades concernés, le médicament ne serait pas considéré comme rentable. Il est fixé à 200 000 patients. Ce sera la définition d’une maladie rare concrétisée par la publication de l’Orphan Drug Act en 1984. Contrairement aux idées reçues, le concept de maladie rare émerge afin de pouvoir prescrire des médicaments bénéficiant déjà d’une AMM et non pas pour susciter une recherche nouvelle.

Tout au long de ce long processus, entre 1962 et 1984, se crée une dynamique. Les malades prennent peu à peu conscience d’une problématique commune entre pathologies. En France mon enquête menée auprès de patients porteurs de six maladies rares témoigne de ce même besoin, à savoir se retrouver et rencontrer d’autres personnes qui partagent leur expérience.

D. S. Autre surprise, les malades ne mettent pas en avant une errance diagnostique. Mais quels sont alors leurs griefs envers le corps médical ?

C. H. Ils se plaignent surtout d’un sentiment de solitude et d’être laissés seul face à la maladie. Ils acceptent, il est vrai, les limites du savoir médical. En revanche, ils souffrent du refus, par certains médecins, de reconnaître leur ignorance. D’autres stigmatisent enfin la négligence de praticiens lorsque le diagnostic tombe comme un couperet sans jamais, dans le même temps, accompagner le patient.

D. S. Cette demande ne s’inscrit-elle pas dans une nouvelle organisation des soins où le care serait désormais aussi important que le cure ?

C. H. Sans nul doute. Dans un grand nombre d’affections, bien au-delà des seules maladies rares, faute de médicaments, l’attention du malade, de la famille, se porte sur l’ensemble des autres ressources disponibles, depuis les aides techniques jusqu’aux prestations sociales par exemple. Il y a là un accompagnement qui atténue l’impact du diagnostic. L’important n’est pas toujours de « savoir », comme l’imagine le corps médical, mais d’« agir ». Un décalage peut être perçu entre l’impression par le médecin du devoir accompli en cas de présentation exhaustive, encyclopédique de l’état du savoir sur la maladie et le malade qui demande plutôt des moyens d’action et un soutien.

D. S. Vous vous inscrivez contre l’idée largement diffusée par les disciples de Michel Foucault d’une biologisation de la société.

C. H. Un grand nombre de travaux sociologiques sont consacrés aux maladies génétiques. Ce qui réduit le champ d’étude sur d’autres variables. Même si le facteur génétique est retrouvé dans 80 % des maladies rares, d’autres étiologies doivent être recherchées. En fait, c’est l’atteinte par une maladie peu fréquente qui constitue ici le fait social marquant. Les patients mettent en avant cette difficulté d’être seul. Ce paramètre les conduit à rejoindre d’autres personnes. On retrouve cette même motivation dans d’autres situations extra-médicales, comme les enfants surdoués ou les individus adeptes de régimes alimentaires spécifiques comme les végétaliens.

D. S. Vous relevez d’ailleurs certaines similitudes entre l’implication dans une association de patients et l’engagement militant.

C. H. Dans mon travail, je ne voulais pas ériger une frontière fermée entre la thématique développée ici autour des maladies rares et d’autres enjeux portés par des minorités religieuses, culturelles. De ce point de vue, on peut établir des points communs entre un parti politique et les associations de maladies rares. Au-delà de la question statistique, les maladies rares soulèvent la question de la représentation. Comment être entendu dans l’espace social lorsque l’on est peu nombreux ? Comment faire reconnaître par la puissance publique l’importance de problèmes peu visibles parce qu’ils ne sont pas fréquents ? Il y a là des affinités avec le travail politique.

D. S. Pourquoi certaines associations sont-elles plus radicales que d’autres ?

C. H. Selon Georges Simmel, le fait d’être peu nombreux conduit inévitablement à un radicalisme. Les adhérents défendent des objectifs précis. Il leur est beaucoup demandé. De plus, la concurrence est sévère avec des groupes analogues qui visent des buts comparables. Je m’attendais donc à retrouver une corrélation entre le niveau du recrutement et le degré de radicalisme. Ce n’est pas ce que l’on observe.

Le critère principal à étudier serait plutôt le mode de prise de décision. Une association est d’autant plus radicale que les décisions stratégiques relèvent d’une seule catégorie de personne, voire d’une seule personne. À la tête de ces associations siègent exclusivement des malades, ou des parents de malades ou des professionnels de santé. À l’inverse, lorsque ces catégories collaborent ensemble, le radicalisme est alors fortement contenu dans ces associations que j’appelle pluralistes.

D. S. Vous pointez également une frustration forte entre les attentes des patients avant le diagnostic et les réalités thérapeutiques.

C. H. C’est un des constats politiquement incorrects que l’on peut établir à l’issue de cette enquête. Les attentes des parents sont de plus en plus importantes et par construction ne peuvent être satisfaites. Un système où le diagnostic serait posé rapidement, annoncé avec une réelle empathie, suivi de la prescription d’un traitement idéalement curatif et sans effet secondaire relève de l’utopie. Or, les familles expriment au détour d’un entretien ce type de demande. Pourtant, la mauvaise nouvelle permet parfois de puiser au fond de chacun d’entre nous des ressources insoupçonnées individuelles et collectives, notamment en matière de care. Une attitude de simple consommateur s'écarte de ce modèle de manière dommageable. Un équilibre devrait être recherché entre l’abandon par le professionnel de santé et une prise en charge totale.

D. S. Les regroupements d’associations de maladies rares sont-elles utiles ?

C. H. Elles ont été utiles historiquement pour des revendications ponctuelles et très précises. Sur la durée, cela est moins simple. Le regroupement a incontestablement un sens lorsque des associations se regroupent sur une pathologie donnée au niveau européen. Elles mutualisent les ressources et les idées en dépassant le cadre national.

D. S. Faudrait-il écarter le qualificatif de rare pour parler de ces maladies ?

C. H. Oui et non. En tout état de cause, sur le plan individuel, il faut conserver la notion de rareté. On l’a déjà mentionné, le fait d’avoir une maladie peu répandue et de ne pas pouvoir en parler dans son entourage s’avère très difficile pour le malade. Sur le plan de l’action politique, est-ce la bonne accroche ? Cela est moins évident. Un certain nombre de problèmes comme l’accès à l’emploi, à un prêt, sont partagés avec des maladies chroniques. La cause progresserait davantage si elle s’élargissait par exemple sur l’introduction plus grande du care dans l’architecture du système de santé. L’absence de thérapeutique efficace concerne certes de nombreuses pathologies rares. Mais on peut dresser le même constat pour des pathologies très fréquentes comme la maladie d’Alzheimer.

D. S. À qui doit-on accorder le crédit du lancement des plans maladies rares ?

C. H. Il ne paraît pas opportun comme votre question le suggère d’opposer associations de malades, société civile d’un côté et puissance publique de l’autre. Comme l’illustre l’exemple américain, les échanges sont permanents entre les deux secteurs. D’où une maîtrise partagée et complémentaires des dossiers. Les deux plans maladies rares en sont l’illustration. Ils sont le fruit d’une collaboration entre le secteur associatif et politique. Certes, les maladies rares souffrent encore d’un déficit de visibilité. Les plans ont entraîné une plus grande reconnaissance de ces pathologies. Reconnaissons toutefois que l’essentiel a été réalisé. Il s’agit désormais d’entrer dans les détails et dans les rouages des mesures déjà actées.

Propos recueillis par Gilles Noussenbaum

Source : Décision Santé: 283