Entretien avec Philippe Mougin*.

« Titre à venir »

Publié le 26/04/2014
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D. S-P. H. Est-ce la mission d'un laboratoire pharmaceutique de financer des actions de santé publique et de se substituer aux autorités sanitaires ?

P. M. il n’est pas question de se substituer aux autorités de santé. Nous pensons qu’il faut travailler ensemble. Les budgets dont disposent les ARS pour mener des expérimentations de soins sont limités. Le fond d’investissement régional (FIR) permet de mener des actions dans tous les secteurs, tant dans le secteur sanitaire que médico-social grâce à la fongibilité des enveloppes. Mais les budgets sont très limités. La stratégie nationale telle qu'elle a été annoncée impulse la bonne direction. Toutefois, son lancement est retardé. Et le PLFSS 2015 risque de reposer davantage sur une logique gestionnaire et comptable, et prendre insuffisamment en compte une organisation renouvelée du système de soins.

D. S-P. H. Pourquoi Bayer se lance-t-il dans ces actions ?

P. M. Aujourd’hui, les laboratoires sont souvent réduits dans l’opinion à une seule vision mercantile, celle de vendre des médicaments. En réalité, les laboratoires souhaitent que les avantages thérapeutiques des médicaments qu’ils développent soient reconnus et que ceux-ci puissent bénéficier au bon patient. Mais au-delà de cette approche réduite au médicament, nous partageons des intérêts convergents entre autorités sanitaires et industriels pour repérer les zones de déficience dans les parcours de soins. Elles reposent sur de nouvelles modalités de coopération entre acteurs. Lorsque l’on réunit les professionnels, chacun est prêt à échanger autour du patient, à modifier ses pratiques, bref à travailler différemment. Émerge alors une nouvelle question : qui assurera la coordination de cette coopération ? La réponse repose dans un premier temps sur la création de nouveaux métiers, et/ou l’expérimentation de nouveaux modes de rémunération, ou le transfert de tâches. Des investissements sont donc nécessaires dans un premier temps avant de générer des économies. Aujourd’hui, l’État ne souhaite ou ne peut les réaliser. D’où le rôle joué par les industriels pour financer une hypothèse positive d’amélioration des pratiques, puis en cas de validation, la modéliser dans un second temps en matière de retour sur investissement. Nous disposons de l’expertise pour conduire ces projets. Au sein de nos entreprises, nous savons depuis longtemps intégrer des compétences transversales et évaluer les résultats. Au final, nous sommes aujourd’hui un acteur de santé qui réunit tous les critères pour mettre en œuvre ces expérimentations.

D. S-P. H. Quelles sont les limites à ne pas franchir ?

P. M. Nous pouvons financer la validation d’hypothèses. Nous n’avons pas vocation en revanche à assurer sur le long terme la rémunération de ces nouveaux métiers. Dans un des projets pilotes que nous avons aidés à mener sur le post-AVC, la coordination des soins était l’un des problèmes majeurs repéré sur la première année. Lorsque le patient quittait l’unité neuro-vasculaire (UNV) à l’issue de la phase aiguë, il se retrouvait un peu désorienté. Or il y a des enjeux importants comme les consultations programmées à trois mois auprès du neurologue de l’UNV après l’AVC, selon les recommandations du plan national. À ce jour, seuls 15 à 17 % des patients se rendent à cette consultation. D’où une perte majeure de chance. Face à ce constat, nous avons décidé d’apporter une solution à cette zone de rupture entre acteurs. La réponse reposait sur la création d’un poste d’infirmière de coordination au sein de l’UNV. Résultat, dans l’UNV de Bordeaux le taux de consultation précoce après AVC dépassait la barre des 50 %. Autre bénéfice, au lieu d’une durée de consultation de cinquante minutes, elle était ramenée à dix minutes. Ce gain résulte du travail mené par l’infirmière qui réalise les mesures des différentes échelles. Ce qui multiplie ensuite par cinq le nombre de patients vus par le médecin. L’efficacité est ici démontrée. Quant à la pérennité de cette action, elle relève des autorités sanitaires.

D.S-P.H. Des exemples de financements apportés par des laboratoires sont-ils retrouvés à l’étranger ?

P.M. Au Royaume-Uni, un grand nombre de postes d’infirmières coordinatrices est financé par l’industrie pharmaceutique. Je ne souhaite pas importer ce modèle en France. Nous l’avons dit, le relais, une fois la démonstration faite, doit être assuré par les autorités. L’industrie pharmaceutique est confrontée à un choix décisif. Soit on ne change rien. Et le déclin est inéluctable avec une réduction du nombre des acteurs. Soit l’on opère une transformation en intégrant dans le modèle des services en santé contribuant à l’amélioration des parcours de soins. Dans cette période de mutation, des structures publiques ou privées seront déstabilisées. Mais l’essentiel sera conservé grâce aux transferts de tâches et aux évolutions des métiers.

*directeur des affaires publiques et du développement régional.
Propos recueillis par Gilles Noussenbaum

Source : Décision Santé: 296