L A toxi-infection alimentaire collective (TIAC) à ciguatera est mal connue des médecins métropolitains. Et pour cause : en France, tous les cas rapportés à ce jour dans le cadre de la déclaration obligatoire étaient survenus aux Antilles, après consommation locale familiale de poissons coralliens (mérous, carangues et barracuda)*. Le diagnostic qui vient d'être porté sur une TIAC contractée par deux adultes jeunes et survenue à la suite de la consommation de poisson cru (sushi), dans un restaurant japonais parisien, le 19 mai, constitue une première. Et mérite comme tel de retenir l'attention de tout praticien.
Parmi les trois personnes qui avaient partagé le même repas, seulement deux convives qui avaient consommé des sushis ont présenté des symptômes évocateurs d'intoxication à ciguatera (voir encadré). Ces symptômes sont apparus douze heures après le repas et ont entraîné de multiples consultations, analyses et examens complémentaires. Mais devant le caractère atypique de cette intoxication et l'absence de tout cas, jusqu'alors, en France métropolitaine, le diagnostic n'a pu être finalement porté que le 29 août. Une enquête a été aussitôt diligentée par les services vétérinaires de Paris pour déterminer l'espèce du poisson en cause et sa provenance.
L'intoxication à ciguatera est provoquée par la présence dans les poissons d'une toxine élaborée par des algues coralliennes ( Gambierdiscus toxicus et autres). Les poissons herbivores sont les premiers contaminés, mais ce sont les poissons carnivores de grande taille qui deviennent les plus toxiques pour l'homme : barracuda, vivaneau, mérou, poisson chirurgien et sériole.
Pas d'antidote connu
Cette toxine thermostable n'est modifiée ni par la congélation ni par la cuisson. Elle n'altère pas la couleur et l'apparence externe ou interne du poisson contaminé. Il n'existe pas actuellement d'antidote connu. Le traitement est symptomatique par antalgique. Il a été montré que le mannitol administré en perfusion intraveineuse dans les 48 heures après le début de l'intoxication entraîne une régression des symptômes.
Les personnes qui voyagent ou qui vivent dans les zones endémiques doivent éviter la consommation des poissons à risque ainsi que celle des viscères, de la tête ou de la laitance de tout poisson provenant des zones infestées.
Mais les consommateurs métropolitains pourraient être alertés aussi sur les risques, en raison des changements d'habitudes alimentaires observés ces dernières années (augmentation de la consommation de poissons et d'aliments exotiques).
L'InVS, qui a alerté « le Quotidien », juge que les médecins, dans ces conditions, « doivent être informés de l'existence de cette intoxication et des signes pathognomoniques qui doivent faire évoquer le diagnostic, même en l'absence d'antécédents de voyage ». Une fois diagnostiquée, comme toutes les TIAC, elle doit déclarée aux directions départementales des Affaires sanitaires et sociales, ou aux services vétérinaires du département où le repas suspect a été consommé, de manière à permettre l'identification du poisson en cause. Et à éviter la survenue de nouveaux cas.
* De 1995 à 1999, 23 de ces TIAC, à l'origine de 98 cas au total, ont été déclarées, principalement en Guadeloupe.
Des signes gastro-intestinaux et neurologiques après consommation de poisson*
L'intoxication à ciguatera doit être évoquée devant l'association de signes gastro-intestinaux et neurologiques après consommation de poissons (surtout tropicaux). Les symptômes gastro-intestinaux (diarrhée, nausées, vomissements, douleurs abdominales) surviennent généralement les premiers, dans les 24 premières heures suivant la consommation de poisson. Dans les formes sévères, les patients peuvent également présenter une hypotension avec bradycardie paradoxale.
Les symptômes neurologiques peuvent apparaître simultanément aux symptômes gastro-intestinaux ou dans les un ou deux jours suivants. Ils se manifestent sous forme de douleurs et de faiblesse dans des extrémités et de paresthésies péribuccales et distales, et peuvent persister plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Des symptômes dysesthésiques à type d'inversion des sensations de chaud et de froid (sensation de chaud lors de la consommation de glace, de froid, lors de la consommation de café chaud, etc.), sensation de brûlures ou de choc électrique au contact d'un objet froid, douleurs dentaires, etc., sont également observés.
Dans la plupart des cas, les symptômes évoluent favorablement en quelques semaines, mais une recrudescence intermittente peut survenir pendant plusieurs mois ou même plusieurs années.
Des formes chroniques sont également décrites, définies par la persistance des dysesthésies ou la survenue d'un syndrome de fatigue chronique avec hypersomnolence, souvent accompagnée de dépression.
En l'absence de test, le diagnostic est fondé sur la clinique et sur la détection de toxines dans le poisson suspect.
* Extrait du « Bulletin épidémiologique hebdomadaire » à paraître le 18 septembre.
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