L' INDICATION retenue par l'équipe française était un déficit immunitaire dit SCID (Severe Combined Immuno-Deficit), lié à l'X, monogénique, et bien caractérisé au plan moléculaire. Le gène affecté code une sous-unité commune aux récepteurs à diverses interleukines (IL2, 4, 7, 9 et 15). Sans cette sous-unité, les récepteurs ne sont pas fonctionnels ; sans eux, les cellules T sont incapables de se différencier en cellules NK.
S'agissant d'une maladie des cellules sanguines, le transfert de gène a pu être effectué ex vivo, sur des cellules (CD34+) prélevées, infectées en culture par un vecteur rétroviral, puis réinjectées sans chimioablation préalable. Ce schéma est le plus simple pour une thérapie génique, puisqu'il évite la difficile question de l'adressage du vecteur in vivo, vers les types cellulaires à modifier. C'est d'ailleurs sur ce schéma que reposait l'expérimentation historique menée en 1990 par les Américains Blaese, Anderson et Culver dans le déficit en adénosine-déaminase ; essai qui, s'il n'avait pas abouti à des résultats probants chez de jeunes patientes continuant par ailleurs à recevoir une complémentation en ADA, avait eu au moins le mérite d'ouvrir à la thérapie génique la voie des essais cliniques.
Une décennie d'incertitudes
Une décennie d'incertitudes a suivi, favorisant l'émergence de discours « tout blanc », ou « tout noir » sur la thérapie génique. Outre le fait qu'il est un succès, et justement parce qu'il est un succès dont on peut analyser les raisons, l'essai français a permis de mieux positionner la thérapie génique et de recadrer les discours : d'une procédure qui marche, on envisage mieux les limites.
Une raison, au moins, du succès dans le SCID tient à l'affection elle-même. La restauration de récepteurs fonctionnels aux interleukines a donné aux cellules modifiées un avantage prolifératif sans doute important par rapport aux cellules non modifiées. On explique leur expansion rapide, et des effets cliniques non moins rapides quand, dans d'autres affections où la restauration fonctionnelle ne se double pas d'un avantage sélectif, les taux de cellules exprimant le transgène stagnent à des taux trop faibles pour espérer un retentissement clinique.
Si l'explication est exacte, fût-ce partiellement, cela signifie que d'autres déficits immunitaires associés à des déficits de prolifération cellulaire peuvent constituer des indications privilégiées, dont certaines feront sans doute l'objet d'essais à plus ou moins court terme. Cela signifie aussi que pour les affections génétiques « tout venant », où aucun avantage prolifératif net n'est conféré aux cellules modifiées pour compenser le faible rendement de la transgenèse, de sérieux progrès sont encore nécessaires du côté des vecteurs.
Des vecteurs plus précis
La faiblesse de ce maillon est bien connue des spécialistes ; la plupart des travaux fondamentaux sur la thérapie génique porte d'ailleurs sur les vecteurs, viraux ou inertes. Des progrès ont été réalisés ces dernières années. Mais les taux de transfection restent encore insuffisants. On peut penser qu'il y a là une question de stratégie, et que le problème du rendement ne sera pas résolu par des vecteurs plus « puissants », mais par des vecteurs - plus généralement des procédures - plus précis, respectant davantage dans « l'intimité de la cellule », les mécanismes qui font qu'un gène s'insère et s'exprime, ou non. La précision est, bien sûr, une affaire beaucoup plus difficile que la puissance ou la dose. Mais il y a maintenant des arguments pour penser que, si un progrès substantiel pouvait être obtenu de ce côté, des affections telles que la mucoviscidose pourraient devenir pour la thérapie génique des indications aussi plausibles que l'était le SCID a priori.
Personne ne peut encore sérieusement se risquer à pronostiquer des échéances.
Les parents d'un enfant racontent
« Le Quotidien » propose ici le témoignage des parents d'un des enfants traités il y a deux ans à Necker. Un rescapé de la médecine qui, après avoir connu « la bulle », va entrer à l'école en septembre.
LE QUOTIDIEN - Il y a deux ans, votre fils, atteint d'un déficit immunitaire congénital, était traité par thérapie génique à l'hôpital Necker. Aviez-vous jusqu'alors connaissance de cette affection dans la famille ?
LES PARENTS - Non, nous ne savions pas que nos enfants pouvaient être atteints de cette maladie génétique. Les cas de trois garçons, décédés en bas âge, sont connus dans la famille. Il y a douze ans, à l'étranger, nous avons nous-mêmes perdu un premier enfant, âgé de deux semaines. Le décès a été attribué à une infection par salmonelles. Le diagnostic n'avait donc pas été porté. Notre deuxième enfant, aujourd'hui âgé de six ans et demi, est par ailleurs en parfaite santé. Nous ne soupçonnions rien.
Pour notre troisième enfant, le développement a été normal jusqu'à l'âge de six mois. Un rhume persistant est alors apparu. Inquiétés par son évolution, nous avons consulté dans un hôpital de la région parisienne, où les examens ont conduit en 48 heures à un diagnostic de déficit immunitaire. Nous avons alors été adressés à l'hôpital Necker, dans le service du Pr Fischer, où nous avons été informés de l'existence de cette maladie congénitale dans notre famille.
Une fois posé le diagnostic de SCID, quelle prise en charge a été envisagée ?
Nous avons appris que notre enfant pourrait peut-être recevoir une greffe de moelle. Malheureusement, son frère s'est révélé incompatible. Comme les résultats des greffes effectuées à partir de donneur compatibles non apparentés ne sont pas meilleurs que les résultats obtenus à partir de donneurs familiaux partiellement HLA identiques ( « C'est là une particularité des déficits immunitaires combinés sévères », précise le Pr Fischer) et qu'en outre, le délai de deux à trois mois nécessaire à l'identification d'un donneur fait courir des risques à l'enfant, il n'a pas été effectué de recherche dans le fichier des donneurs de moelle. Le Pr Fischer nous a donc proposé la thérapie génique.
Nous n'en connaissions rien a priori. Mais des explications patientes et complètes nous ont été données par le Pr Fischer, le Pr Cavazzana-Calvo et le Pr Casanova. D'ailleurs, nous ne sommes pas allés chercher d'autre source d'information. Sans rien savoir au départ, il nous semblait avoir compris ce dont il s'agissait.
Hormis ces explications, disposiez-vous d'éléments objectifs pour donner votre consentement ?
Au fond, le processus de décision ne s'appuie pas sur le maturation d'éléments objectifs : nous avons donné notre consentement rapidement, en l'absence d'alternative.
Le seul argument objectif dont nous disposions était le résultat obtenu chez les souris : 100 % des animaux avaient été guéris. Par ailleurs, notre enfant devait être le second sur lequel la procédure allait être tentée. Trois mois plus tôt, une première thérapie génique avait été effectuée chez un jeune garçon. C'était la preuve que la procédure était réalisable mais, au moment de la décision, nous n'avions aucune certitude quant aux risques éventuels, et encore moins sur l'efficacité. La formule « risque quasi nul » figurant sur le formulaire de consentement est d'ailleurs pénible : on se prend à imaginer tout ce qui pourrait se présenter derrière cette réserve imprécise.
Comment l'hospitalisation et la thérapie se sont-elles déroulées ?
C'est une épreuve difficile. Il a d'abord fallu guérir l'enfant de son infection pulmonaire, puis placer le cathéter pour l'alimenter. J'ai (la mère) passé les deux premières semaines avec lui dans la chambre. Certains moments ont été particulièrement éprouvants, comme la sortie de la bulle pour aller effectuer le prélèvement de moelle en salle d'opération. Nous redoutions l'infection durant le trajet. Notre fils a d'ailleurs été contaminé à trois reprises dans la bulle, peut-être à l'occasion d'un changement de cathéter. A chaque fois, l'inquiétude resurgit, et il faut reprendre le dessus.
Heureusement, les infirmiers et infirmières travaillaient comme des anges. En comptant le psychologue, le kinésithérapeute, une dizaine ou une quinzaine de personnes veillaient sur l'enfant et sur nous en permanence ; chaque membre de l'équipe nous soutenait. Nous étions également en contact avec les familles des autres enfants soignés dans le service.
Du côté de l'enfant, quel est votre sentiment sur la manière dont il a traversé l'épreuve ?
C'est difficile à dire. Il semblait bien supporter l'hospitalisation. Nous faisions tout pour l'adoucir, par exemple, en lui passant de la musique. Mais le séjour à l'hôpital a certainement été un traumatisme profond. La visite de suivi, tous les six mois à l'hôpital Necker, reste manifestement stressante, puisqu'il pleure.
Comment étiez-vous informés de l'évolution de votre enfant ?
Nous avions des nouvelles quotidiennement. Parallèlement, nous pouvions nous rendre compte par nous-mêmes qu'il prenait du poids et devenait plus souriant. Nous sommes peut-être les premiers à avoir remarqué une amélioration clinique : la disparition, un mois à six semaines après la thérapie, des plaques desquamantes que notre enfant portait sur la peau. Dès ce moment, nous avons eu la conviction que la thérapie avait marché ou allait marcher. Les informations données par l'équipe médicale sont venues conforter, puis confirmer notre intuition.
Comment s'est passé le retour à la maison ?
Notre enfant est entré en mars 1999 à l'hôpital Necker ; son traitement a commencé au début de mai ; il est sorti de la bulle à la fin du mois d'août. Nous nous en souvenons comme d'une nouvelle naissance. Il faisait particulièrement chaud. Et l'une des difficultés était de lui réapprendre à boire et à s'alimenter normalement, sans cathéter. L'hospitalisation s'est encore prolongée trois semaines, pour permettre cet apprentissage. Le cathéter a d'ailleurs été maintenu jusqu'au retour à la maison, au cas où...
La maison avait été nettoyée de fond en comble ; nos amis n'ont pas ménagé leur soutien.
Six mois plus tard, nous sommes partis en vacances au ski. Et aujourd'hui, nous essayons de lui faire mener la vie la plus normale possible.
En septembre, l'école
Pensez-vous que votre fils va pouvoir aujourd'hui mener l'existence normale d'un enfant de son âge ?
C'est en tout cas l'objectif. Médicalement, tout va pour le mieux. Avec deux ans de recul, le bilan des infections se borne à quatre rhumes, que nous avons nous-mêmes soignés.
Mais, évidemment, une inquiétude demeure. Elle s'illustre, par exemple, dans le fait que nous ne sommes pas restés en contact direct avec les familles des autres enfants traités par thérapie génique. C'est une manière de tourner la page. Mais c'est aussi l'expression de la crainte permanente d'une mauvaise nouvelle. Aujourd'hui, c'est par l'intermédiaire du Pr Fischer que les familles prennent des nouvelles les unes des autres.
Notre fils grandit, et chaque étape apporte de nouvelles questions. Il rentre à l'école en septembre. Comment son immunité va-t-elle réagir aux conditions d'une collectivité ? Les vaccinations posent d'ailleurs certaines difficultés : certaines sont efficaces, d'autres non. Et il faut éviter les vaccins vivants.
L'important reste toutefois que notre fils vive aujourd'hui sans aucun traitement. Nous sommes plein d'espoir pour l'avenir, et nous voudrions faire partager cet espoir aux familles d'enfants malades. Nous savons que c'est une terrible épreuve à traverser. Et c'est pour ces familles que nous voulons témoigner aujourd'hui de notre bonheur de vivre avec nos enfants.
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