«E THIQUEMENT parlant, ce qui fait problème avec la thérapie cellulaire est l'approvisionnement en cellules souches. » Le débat est clairement lancé par Michèle S. Jean (Montréal). « Lorsqu'elles sont extraites d'embryons », précise le sénateur Claude Huriet, qui souligne que les thérapies cellulaires ne concernent pas que les cellules souches, et pas seulement les cellules souches d'origine embryonnaire. Produites à partir de cellules adultes, elles ne semblent plus guère poser de problèmes éthiques. Dès lors, la question fondamentale est : les recherches menées sur les embryons humains sont-elles éthiquement acceptables, même si leur but est thérapeutique ?
La réponse est loin d'être évidente, pour plusieurs raisons. Les progrès en recherche fondamentale et en biotechnologies sont extrêmement rapides, au risque de rendre caduques les certitudes du jour. Ils compliquent la compréhension des problèmes par le citoyen et par ses représentants. Ils peuvent rendre obsolète une technique controversée et donc largement discutée. Ils rendent difficilement prévisibles les enjeux pratiques du futur, y compris ceux qui ont trait à l'innocuité des techniques employées ou à leur utilisation à des fins non thérapeutiques. « Comment ne pas être constamment en retard sur la recherche ? », s'interroge le Pr Huriet. D'une manière plus générale, les progrès de la recherche conduisent à s'interroger sur la possibilité d'arrêter la machine bien rodée qu'est la science, au moins sur certains points : ce qui est interdit ici ne l'est pas obligatoirement ailleurs. Certains affirmeront même que la connaissance ne doit pas être entravée par la morale.
Le deuxième ordre de raisons tient aux conditions du débat public. « Au Canada comme aux Etats-Unis, il s'agit d'un débat d'initiés, contrairement à plusieurs pays d'Europe. Peu de politiciens comprennent la question. » La satisfaction qu'engendrent les propos de Mme Jean chez l'auditeur français est tempérée par le sénateur Huriet. Pour lui, il y a d'abord un problème de définitions. Par exemple, la signification des termes employés n'est pas toujours la même pour le chercheur et pour ses interlocuteurs dans les administrations. De toute façon, le débat reste à organiser, puisque « la révision des lois de 1994 est urgente mais pas à l'ordre du jour ». Encore une fois, le débat peut facilement être élargi, ce que ne manque pas de faire Mme Jean : « On peut se demander si nos modes actuels de gestion du risque ne sont pas à repenser complètement. »
Quel cadre juridique ?
D'où le troisième type de problèmes : quel doit être le cadre juridique ? Au Canada, rapporte Mme Jean, « une certaine réaction est en voie de s'amorcer, puisque le président des Instituts de recherche en santé du Canada a rendu public un document de travail proposant des lignes directrices applicables au financement des recherches sur les cellules souches embryonnaires humaines ». La plupart de ses dispositions portent la mention « sous réserve d'une évaluation éthique ». Elles comportent un moratoire sur la création d'embryons en vue d'obtenir des cellules souches, « pour le moment ».
Le retard législatif pourra peut-être conduire à des solutions au cas par cas. Mme Jean rapporte les propos d'un éminent universitaire américain, pour qui tout cela risque fort de se terminer à la Cour suprême, qui aura à décider seule, à partir d'une multitude de procédures n'émanant pas toutes de particuliers. Mme Jean ne se fait guère d'illusions : « La toile de fond est la compétitivité féroce que se livrent les différents acteurs du secteur privé en matière de brevets et de commercialisation. »
Cependant, le fond de la question reste bien ce qu'en dit le sénateur Huriet : « Que considère-t-on comme fondamental dans l'embryon ? » En d'autres termes, resurgit un débat vieux comme l'humanité : quand commence l'humain ? Pour le sénateur, les réponses ne peuvent pas être identiques pour tous, du fait des histoires individuelles et collectives, du fait de la diversité des cultures et parce que les valeurs ne sont plus stables. « Il ne peut pas y avoir de référence éthique internationale. Les références éthiques sont à usage uniquement personnel. » En ce qui concerne l'embryon, soit on respecte ce qu'il est et, dans ce cas, on n'y touche pas, soit on respecte son devenir, « sa dignité dépendant alors de l'intérêt que lui accorde le couple qui a permis sa conception ».
La question posée au début conduit donc à ce vertige, voire cet engourdissement qui, pour Socrate, signait la naissance d'une pensée. Pour l'instant, elle aura eu au moins, selon le sénateur Huriet, un mérite insigne : celui d'amener les députés français à avouer qu'ils n'interviennent dans le débat « qu'avec prudence et modestie ».
Débat organisé par les Laboratoires MDS Pharma Services : « Thérapie cellulaire et éthique médicale. Points de vue européen et canadien ».
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