« Au nom de Dieu le tout miséricordieux par essence et par excellence. » En exergue au communiqué publié après les attentats de New York et de Washington par les membres du bureau de l'Association des médecins, pharmaciens et biologistes musulmans de France (AMPBMF), l'épithète miséricordieux donne tout de suite le ton. A l'instar de la communauté musulmane française, l'AMPBMF dénonce vigoureusement la « folie meurtrière (qui) ne fait aucune distinction entre appartenance religieuse et n'a épargné ni les femmes ni les enfants. Elle ne peut en aucun cas être assimilée à un enseignement religieux, et en particulier à l'islam. L'islam condamne la violence aveugle, d'où qu'elle vienne et condamne le terrorisme qu'il ne considère jamais comme une arme légitime ».
Nées de la foi d'Abraham
Ainsi, « aucun musulman digne de sa foi, poursuit le communiqué , comme d'ailleurs tout autre croyant monothéiste, ne saurait souscrire à un acte destructeur et, a fortiori , à celui qui vient de prendre pour cible des civils innocents. De tels crimes représentent des atteintes aux principes spirituels et moraux de toutes les grandes religions, nées de la foi d'Abraham, à commencer par l'islam ».
L'association des professionnels de santé musulmans ne se cache pas d'une inquiétude qui est dans bien des esprits : elle « demande aux autorités publiques ainsi qu'à la presse de bien vouloir ne pas laisser s'instaurer toutes possibilités d'amalgames qui pourraient être faites suite à ces événements tragiques ».
Un amalgame dont le Dr Dalil Boubakeur, recteur de l'Institut musulman de la grande mosquée de Paris et président d'honneur de l'AMPBMF, n'hésite pas à imputer la responsabilité à « l'Occident et à son laxisme qui ont laissé, depuis des années, le monopole du Dieu de l'Islam aux seuls intégristes » (lire l'entretien ci-dessous).
Non, confirment nos interlocuteurs d'autres confessions, l'islamisme n'est pas l'islam.
« La seule guerre sainte dont parle le Coran, témoigne pour sa part le Pr Bernard Kanovitch, titulaire de la chaire d'éthique médicale Benjamin-et-Edmond-de-Rothschild à l'université Paris-XI et président de la synagogue de la place des Vosges, c'est le combat intérieur que tout croyant est invité à mener contre ses mauvais penchants. »
Pour autant, poursuit le Pr Kanovitch, « quand il tient ses propos en faveur de la paix, notre ami Boubakeur fait figure de doux rêveur au milieu des loups des banlieues. Côté chrétien, si le pape Jean Paul II a bien fait acte public de repentance, force est quand même de reconnaître que la terre de France reste imbibée du sang des guerres de religions ».
Des relents d'anti-islamisme
« L'assimilation souvent faite en France entre islamisme et islam est inacceptable, estime pour sa part le Dr Marc Bost, secrétaire général du Centre catholique des médecins français (CCMF) ; nous devons être d'autant plus vigilants face à ce risque d'amalgame que notre pays, dans le sillage des événements liés à la guerre d'Algérie, connaît depuis une quarantaine d'années de fréquents relents d'anti-islamisme. »
Mais, c'est vrai, il n'y a pas de fumée de Satan sans feu. « Le drame des religions, admet le Dr Bost, c'est qu'aucune d'entre elles n'a échappé, à un moment ou à un autre de son histoire, aux dérives violentes. C'est le cas de l'islam, chaque fois que se sont mis en place des régimes théocratiques. Les chrétiens eux-mêmes se sont tristement distingués avec les croisades et la Saint-Barthélemy. »
« Devant l'Histoire, résume d'une formule le Pr Kanovitch, aucune religion monothéiste ne peut donc jouer les petits saints. Ni les musulmans, ni les catholiques, ni les juifs. »
Le retour du cléricalisme
Ce mea culpa interconfessionnel, venant de médecins qui croient en Dieu, fait naturellement réagir ceux qui n'y croient pas, pour reprendre la célèbre classification d'Aragon. « Toutes les religions, quoi qu'en disent leurs porte-parole, sécrètent l'intégrisme, explique, par exemple, le Dr Michèle Vincent, ophtalmologiste dans le Jura, membre de la commission nationale administrative de la Libre Pensée ; qu'on ne nous dise pas qu'elles ont évolué et qu'elles dénoncent aujourd'hui un obscurantisme qu'elles ont en fait créé. Si elles se limitaient à la sphère strictement privée, on n'en serait pas là aujourd'hui. Hélas, le cléricalisme, sous ses diverses formes, reprend aujourd'hui énormément de terrain sur la laïcité. On s'en rend compte avec les interventions religieuses au sein des comités d'éthique, où l'on vient nous expliquer que l'individu n'est pas propriétaire de son propre corps ! La semaine dernière, on a aussi vu les représentants des quatre principales religions de France reçus à l'Assemblée nationale en violation pure et simple des lois de séparation des Eglises et de l'Etat. »
Pour cette responsable de la Libre Pensée, les religions étaient et demeurent donc bel et bien les grands foyers d'obscurantisme.
Chrétiens, musulmans et juifs se sont cependant réunis en l'Église américaine de Paris, le 13 septembre, pour lancer, à l'occasion d'une cérémonie interreligieuse, un appel à la paix, justement contre les forces de l'obscurantisme. Les événements américains semblent d'ailleurs avoir ranimé parmi les représentants des religions monothéistes le désir de se découvrir les uns les autres et d'engager ou de poursuivre le dialogue entre religions. Les médecins pourraient donner l'exemple à cet égard. « Le drame des religions en France, observe le Dr Bost, c'est le peu de connaissance que nous avons des autres religions. Les exemplaires du Coran s'arrachent actuellement dans les librairies pour pallier cette ignorance. En tant que médecins, suggère le secrétaire général du CCMF, nous pourrions aller plus loin et saisir l'occasion pour proposer que soit créé en faculté un enseignement comparé sur les religions et la santé. On y étudierait les rapports à l'alimentation ou à la mort, par exemple, selon les croyances. Ce cours serait bien utile, notamment en milieu hospitalier. Il est intéressant de noter que certaines écoles d'infirmières, comme celles d'Ambroise-Paré, dispensent déjà un tel cursus. Qu'attendons-nous pour faire de même ? »
Prééminence de la vie
La suggestion paraît rallier tous les suffrages confessionnels : « En ma qualité de pionnier du dialogue interreligieux, je ne puis qu'y souscrire », déclare le Pr Kanovitch. Depuis dix-sept ans qu'il organise des conférences sur le sujet, il a ainsi accueilli cardinaux, grands rabbins et recteurs musulmans. « Aujourd'hui, plaide-t-il, les événements tragiques nous imposent une réflexion commune.Tous, nous nous retrouvons sur le rôle du médecin qui considère que chaque personne humaine est d'une importance capitale à l'intérieur de l'économie divine ; tous, nous croyons en la prééminence de la vie, à tout moment. Cette valeur suprême de la vie et de la créature vivante est universellement professée par les religions monothéistes, même si elle a été inscrite pour la première fois dans la Bible hébraïque. »
« Il y a un verset coranique qui dit en substance : "Peut-être détesterez-vous d'abord quelque chose qui se révélera plus tard vous apporter un bien", ajoute comme en écho le Dr Boubakeur : de ce point de vue, peut-être l'écroulement du World Trade Center avec ses milliers de victimes provoquera-t-il un sursaut mondial d'intelligence, de discernement, de sagesse et de dignité humaine. Le dialogue entre religions, en particulier chez les médecins, y prélude. »
Le Dr Boubakeur : il faut relancer le dialogue entre les religions
« Le médecin est, par vocation, au service de la vie, déclare au "Quotidien" le Dr Dalil Boubakeur, recteur de l'Institut musulman de la mosquée de Paris et lui-même médecin, ancien praticien hospitalier à La Pitié-Salpêtrière. Nous sommes des dispensateurs de respect et même d'amour. L'humanisme médical se fonde sur la fraternité humaine, au sens où le poète François Villon célèbre les "frères humains".
« Son uvre, le médecin l'accomplit contre la maladie physique et psychique et contre ces maladies que sont l'obscurantisme et le fanatisme.
« Evidemment, nous sommes atterrés quand nous voyons le fanatisme qui raye d'un coup 8 000 vies humaines, nous, médecins, qui opposons à la puissance de la violence et de la mort la puissance de la compassion, de l'amitié, de l'amour. Cette charité, comme disent les chrétiens, ou cette sadaqa, comme nous l'appelons, imprègnent notre foi religieuse comme notre vocation professionnelle. En témoignent d'illustres médecins, aussi bien chez les catholiques que chez les musulmans.
« L'Occident et son laxisme ont laissé, depuis des années, le monopole du dieu de l'islam aux seuls intégristes. Les événements tragiques d'Amérique seront sans doute l'occasion d'observer un temps de silence avant de reprendre la juste mesure des choses.
Déjà, depuis une quinzaine d'années, les médecins s'interrogent sur quantité de sujets touchant au sens de la vie : fécondation in vitro , procréation médicalement assistée, clonage, greffes, génome et brevetage ; autant d'interrogations qui nous pressent d'agir en médecins de la personne humaine et non plus en simples "organicistes" .
« Alors, le terrorisme et le fanatisme nous pressent aujourd'hui de relancer le dialogue entre les différentes religions, autour d'un même humanisme et d'une commune foi en l'homme. »
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