De notre envoyée spéciale à Mont-de-Marsan
N OMBREUX sont les médecins libéraux qui, encore, voient rouge en pensant à la carte à puce Vitale, promue sans relâche par l'assurance-maladie pour favoriser le développement de la télétransmission des feuilles de soins électroniques (FSE). Mais, dans le département des Landes, qui vit l'été à l'heure espagnole avec ses multiples corridas et courses de taureaux, on ne confond pas la carte verte avec un chiffon rouge - « muleta » pour les puristes.
A Mont-de-Marsan, au siège de la caisse primaire d'assurance-maladie (CPAM) des Landes, la télétransmission va bon train. Avec 85 % de feuilles de soins électroniques, 89 % de médecins généralistes (sur un total de 362 inscrits) et 80 % de spécialistes (sur 148) utilisant Vitale au 11 avril, la CPAM des Landes occupe en ce moment la première place du « hit-parade » national de la télétransmission. « Avec la caisse primaire de Pau, nous faisons le yo-yo entre la première et la deuxième place », commente Paul Orliac, le jovial directeur de la caisse, en examinant le dernier classement hebdomadaire établi par la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM) (1).
Paul Orliac regrette néanmoins de ne pouvoir inclure dans ses statistiques une quinzaine de médecins supplémentaires qui exercent dans la région de Dax. En effet, les médecins thermaux sont toujours dans l'impossibilité de télétransmettre leurs feuilles de soins, en l'absence de codification spécifique pour leurs forfaits. Malgré cet « oubli » du Groupement d'intérêt économique (GIE) SESAM-Vitale, le taux de télétransmission enregistré par la CPAM des Landes reste élevé, d'autant qu'elle ne figurait pas parmi les caisses pionnières en la matière, comme celle d'Epinal.
Comment expliquer alors le succès de Vitale auprès des médecins landais, treize mois seulement après la fin de la distribution de la carte à puce verte aux assurés ? « La caisse primaire des Landes a toujours joué un partenariat franc et massif », répond d'emblée le Dr Arnaud Tesmoingt, à la fois président du syndicat départemental MG-France et secrétaire général de cette organisation au niveau national.
Qualité relationnelle
Le Dr Jean-Pierre Badets, généraliste à Grenade-sur-Adour et secrétaire général du syndicat CSMF départemental, souligne aussi « la bonne qualité relationnelle locale entre des personnes qui s'écoutent, se comprennent et se respectent ».
Laissant au vestiaire les piques et banderilles habituelles de la CSMF, le Dr Badets salue « la mise en confiance » opérée par la CPAM de Mont-de-Marsan, qui a réussi à panser les plaies du plan Juppé, synonyme selon lui de « mépris politique et professionnel » et responsable de « l'ambiance déplorable des années 1995-1996 ». « La caisse a organisé des forums-expositions, avec présentation des matériels informatiques et, surtout, en présence de la direction et des cadres techniques. Ils ont tour à tour absorbé les interrogations et les mauvaises humeurs des médecins, raconte le Dr Badets. La caisse a également invité les responsables syndicaux à des réunions d'information et d'échange. Des délégués techniques sont venus dans les cabinets médicaux pour des démonstrations. Ils ont effectué un travail considérable de contact humain. C'est un élément qui a suffi à dédramatiser, tant au niveau technique qu'au niveau affectif, les relations avec la caisse locale. En plus, les contacts téléphoniques sont très faciles avec la caisse. Les agents répondent de façon compétente et correcte », conclut le représentant CSMF, pour lequel la télétransmission « se passe très bien » depuis qu'il s'y est mis en décembre 2000.
Une approche « marketing »
Selon le directeur de la caisse de Mont-de-Marsan, ce concert de louanges ne relève pas du miracle : c'est simplement le fruit d' « une opération commerciale, comme en font toutes les entreprises. Nous avions un produit à vendre : Vitale ». Cette « approche marketing » a été lancée en 1998 par le prédécesseur de Paul Orliac à la direction de la CPAM, qui avait recruté en interne une équipe mobile de cinq personnes chargées d'entretenir « une relation personnalisée et privilégiée » avec les professionnels de santé dans un secteur déterminé.
Une femme, Coryne Gaillègue, a été nommée à la tête de cette « équipe de choc ». En vue de l'opération commerciale Vitale, elle est retournée à dessein sur les bancs de l'université à Bordeaux pour suivre des cours de marketing. « Avec les médecins, il faut avoir une approche individuelle et pragmatique, explique Paul Orliac. Dans un petit bourg qui a trois ou quatre médecins, il y en a toujours un qui est leader. C'est lui qu'il faut aller voir en premier ».
« Au début, les professionnels de santé étaient contre la télétransmission, puis il y a eu un changement radical », se souvient Jean-Claude Ducournau, responsable à la CPAM des relations avec les soignants et de la gestion des risques. Chaque membre de l'équipe, aidé par un service technique « réactif », a « démystifié la FSE » et a « facilité les démarches » des médecins pour obtenir leur carte à puce de professionnel de santé ou « carte CPS ».
La télétransmission n'est pas qu'une affaire de stratégie. Il faut aussi des partenaires loyaux, rappelle cependant le directeur de la caisse. Fair-play, il rend hommage à ses interlocuteurs syndicaux « très ouverts » de la CSMF et de MG-France (le SML, la FMF et l'UCCSF n'ont pas de structure locale dans les Landes). « Ils font la différence entre notre partenariat au niveau local et ce qui se passe au niveau national », renchérit Jean-Claude Ducournau. Le Dr Badets confirme : « Dans ce contexte, il n'a pas été donné de consigne syndicale de résistance à la télétransmission et chaque confrère a pu, selon son désir et sa sensibilité, progresser dans l'évolution informatique de son cabinet, sans propagande tapageuse d'un côté, ni désinformation de l'autre. » Résultat : pas moins de 75 % des médecins landais se sont engagés par contrat à envoyer des FSE en contrepartie d'une aide à l'informatisation de 9 000 F (contre 54 % des médecins dans la France entière). Trois d'entre eux refusent de remplir ce contrat et font l'objet d'une procédure de récupération de leur prime à la CNAM. Mais, souligne-t-on à la CPAM des Landes, « 50 médecins, qui n'avaient pas demandé les 9 000 F, font aujourd'hui des FSE ».
Le problème de l'indemnisation reste posé
Est-ce que, dans ce département, tout va décidément pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Pas tout à fait. L'objectif principal de la CSMF locale « reste bien sûr la revalorisation des conditions d'indemnisation de la télétransmission qui sont actuellement ridicules » (en l'occurrence 40 centimes par FSE envoyée aux caisses depuis le 1er janvier 2000, dans la limite de 7 500 FSE par an, soit 3 000 F par médecin). Le Dr Badets juge « inadmissible » le plafond des 3 000 F alors que la seule mise à jour des logiciels de télétransmission coûte selon lui « 3 000 à 4 000 F par an ». Il estime qu'une indemnisation juste devrait être « à la hauteur du montant de la taxation des feuilles de soins papier » car il « ne voit pas pourquoi l'assurance-maladie ferait du bénéfice » grâce à la télétransmission. Cette contribution aux frais de gestion de l'assurance-maladie, prévue par les ordonnances Juppé de 1996, n'attend qu'un arrêté de la ministre de l'Emploi et de la Solidarité pour entrer en vigueur.
Quant à la direction de la CPAM des Landes, elle ne perd pas de vue une autre de ses missions, à savoir « la régulation des dépenses d'assurance-maladie ». Elle envisage maintenant de pérenniser la structure mise en place et d'étendre les missions des « délégués CPS ». A partir du 1er octobre prochain, ceux-ci devraient garder leur sigle tout en devenant des « conseillers professions de santé » chargés d'assurer « un suivi, non seulement de l'installation de Vitale au cabinet, mais aussi du profil du professionnel ». « Il nous revient d'appliquer la règle en bonne intelligence avec les professionnels de santé », rappelle Paul Orliac, dont « le but n'est pas de sanctionner ».
Malgré tout, le suivi de l'activité des médecins au jour le jour, grâce à la télétransmission journalière de leurs feuilles de soins électroniques, est parfois à l'origine du rejet du système SESAM-Vitale.
Un réfractaire, adhérent au Syndicat des médecins libéraux (SML, qui vient de reconduire pour trois mois son appel à la grève nationale de la télétransmission), voit ainsi dans les FSE « un moyen de mieux contrôler les médecins ». Il regrette aussi la confusion entre télétransmission et informatisation, et préfère « garder une relation plus humaine avec le patient » plutôt que d'imiter certains confrères qui, « après un bonjour chaleureux, fixent leurs yeux sur l'écran de leur ordinateur pendant toute la durée de la consultation ».
Parmi les quelques réfractaires de la télétransmission, il y a aussi, constate le Dr Badets, « les déçus de la technique qui ont passé des nuits blanches à essayer de résoudre une panne ». D'où le réseau d'entraide mis en place par la CSMF locale en début d'année pour inciter les médecins à contacter les confrères qui, « après avoir traversé le même enfer, savent comment débloquer la machine ».
« La télétransmission marche, c'est un bon système », affirme cependant le Dr Gilles Baudouin, installé dans le centre-ville de Mont-de-Marsan. Ce généraliste de 42 ans, qui totalise déjà 7 500 FSE, apprécie notamment la rapidité du système, même s'il perd encore du temps à scanner les lettres de ses patients en attendant l'installation d'une messagerie sécurisée à son cabinet.
Quant au Dr Alain Brisard, dermatologue installé depuis 1972 à Dax, il télétransmet ses FSE par Minitel et rencontre « quelquefois des problèmes techniques, mais ils sont simples à résoudre ». La carte Vitale a un inconvénient à ses yeux : ses patients âgés « mettent du temps à la chercher au fond de leur sac ». Un avantage aussi : « Lorsqu'ils la sortent enfin, cela clôt la consultation. »
(1) En ce qui concerne la télétransmission des autres professions de santé, la CPAM des Landes figure en 3e position pour les pharmaciens, au 12e rang pour les masseurs-kinésithérapeutes et à la 24e place pour les chirurgiens-dentistes.
Près de deux généralistes sur trois installés en France, envoient des FSE
Au 4 avril, les caisses primaires d'assurance-maladie ont reçu et traité plus de 136 millions de feuilles de soins électroniques (FSE). Sur les 104 521 médecins libéraux inscrits au fichier de la CNAM, 39 461 généralistes (soit 67,75 %) et 15 004 spécialistes (32,35 %) font de la télétransmission.
Parmi les caisses les plus avancées dans la montée en charge du système SESAM-Vitale, au côté de la CPAM de Mont-de-Marsan, figurent les caisses de Pau, d'Epinal, de Montbéliard, de Roanne (qui ont toutes les quatre plus de 93 % de généralistes utilisant Vitale) et Foix.
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