Livres
On n'est jamais trahi que par les siens, semble-t-il : alors que Jerry Salinger a vécu dans l'obsession d'échapper aux hommes et à la célébrité, sa fille Margaret Ann - ou « Peggy » - porte au grand jour sa vie privée. Mais s'agit-il vraiment de trahison ? car cette biographie « intime », qui est aussi et surtout pour son auteur, le moyen de « tracer mon propre chemin à travers la magie, les miasmes, l'histoire et la fiction, afin de dégager le réel de ce qui ne l'est pas », n'est pas spécialement un règlement de comptes mais un témoignage éloquent, parfois cruel et parfois émouvant, sur un homme d'exception.
La bibliographie de J.D. Salinger est aussi mince que sa légende est grande : quatre livres entre 1951 et 1963 dont bien entendu « L'attrape-curs », qui paraît en français en 1953 et qui raconte les tribulations de Holden Caufield, un garçon de la bonne bourgeoisie new-yorkaise renvoyé de l'école trois jours avant Noël. Viennent ensuite, en 1953 et traduites en 1961, neuf « Nouvelles », parfois regroupées sous le titre de la première, « Un jour rêvé pour le poisson banane », puis deux recueils de deux histoires parues dans le « New Yorker » : « Franny » ((1955) et « Zoé » (1957), publié en français en 1962 et « Dressez haut la poutre maîtresse, charpentiers » (1955) et « Seymour : une introduction »<\!p>(1959), traduit en 1964. C'est tout, si l'on excepte une longue nouvelle que Salinger publia encore dans le « New Yorker » en 1965. Cinq ans plus tard, il remboursera, avec intérêts, l'avance de 75 000 dollars accordée par son éditeur après la publication de « Franny et Zoé ».
On comprend pourquoi le culte s'installa aux Etats-Unis et la fascination qu'il exerça et continue d'exercer sur les autres écrivains qui le font apparaître ou ses personnages, au détour de leurs ouvrages.
Mais la parole est aujourd'hui à sa fille Margaret Ann, qui est âgée de 46 ans et qui, après des études d'histoire et de droit, vit dans l'Etat de New York avec son mari et son fils de 8 ans.
C'est, dit-elle, après la naissance de celui-ci - et après que que son père l'eut incité à avorter ainsi qu'il l'avait fait lorsque sa femme était enceinte d'elle - qu'elle a enfin « rompu le silence, brisé l'idole de la famille gardienne de générations de secrets moisis, à la fois réels et imaginaires, et commencé à faire entrer dans tout ça un peu de lumière et d'air frais, aussi sain et vivifiant que les vents de Cornish ».
Cornish, dans le New Hampshire, où elle a grandi « dans un monde pratiquement désert ». Jerry Salinger avait 31 ans lorsqu'il rencontra Claire Douglas, une jeune Anglaise de 16 ans qui travaillait comme mannequin ; il avait suivi des cours d'écriture à Columbia, mais envisageait sérieusement de devenir moine. Ils se marieront en 1955. Peut-être, avance sa fille, afin de répondre à la prescription d'un quelconque gourou, car J.D. Salinger a passé sa vie à adhérer à des croyances successives : bouddhisme zen, hindouisme vedanta, yoga, science chrétienne, dianétique, homéopathie, macrobiotique, etc.
« Mes parents entretenaient des rêves merveilleux, sans avoir l'art de les faire éclore dans la vie quotidienne. Ma mère était une enfant quand je suis née. Elle est restée une rêveuse et, comme Lady Macbeth, une somnambule torturée, pendant de nombreuses années. Mon père, romancier, est un rêveur qui sait à peine lacer ses chaussures dans le monde réel : comment aurait-il pu avertir sa fille qu'elle risquait de tomber et de se faire mal ? ».
Agé de 84 ans, le père de Margaret Salinger vit toujours en reclus à Cornish avec sa nouvelle femme, une infirmière de trente ans plus jeune que lui. S'il n'a rien publié depuis 1965, il n'aurait selon sa fille - qui est maintenant tout à fait fâchée avec lui - pas cessé d'écrire. Même s'il n'a pas besoin de publier puisque « L'attrape-cur » continue de se vendre comme un best-seller à près de 250 000 exemplaires par an, son histoire est donc loin d'être terminée !
Nil éditions, 504 p., 23,50 euros
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