LE 26 AVRIL 1986, le réacteur n° 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl, en Ukraine, explose. Plusieurs panaches radioactifs s’échelonnent sur une dizaine de jours. «Dans la nuit du 29avril, l’anticyclone qui protégeait la France tourne et le panache du 27avril retombe sur le pays par le sud et l’est», explique l’une des organisatrices de la journée scientifique consacrée aux conséquences de Tchernobyl, le Dr Nicole Colas-Linhart du laboratoire de biophysique Bichat - Paris-VII.
L’estimation des retombées de l’accident sur la France a fait l’objet de nombreux rapports et de publications, mais elle reste, encore aujourd’hui, un sujet de controverses. «Dès mai 1986, des activistes ont tout fait pour utiliser lacatastrophe de Tchernobyl comme un argument contre l’énergie nucléaire. Ils ont amplifié les risques éventuels et lancé des rumeurs pour accroître l’angoisse de la population, ce qui était aisé, car seuls les spécialistes comprennent les différences entre 1becquerel et 1curie, entre 1microsievert et 1sievert», dénonce le Pr Maurice Tubiana, qui ouvrira le colloque.
L’objectif de la première partie de la journée est de faire une mise au point sur les «conséquences réelles» de Tchernobyl, non seulement en Ukraine et en Biélorussie, mais également en Belgique (avec l’intervention de Mark Loos, directeur de la radioprotection au centre d’étude de l’énergie nucléaire SCK-CEN) et en France. Le Dr Nicole Colas-Linhart analysera notamment les données métrologiques collectées en 1986 par le Scpri (Service central de protection contre les rayonnements ionisants) dirigé par le Pr Pierre Pellerin.
Césium 137 et iode 131.
«Tout d’abord, c’est grâce à la surveillance des filtres d’avions arrivant de l’Europe de l’Est que l’alerte d’une contamination radioactive a pu être donnée dèsle 29avril, précise le Dr Colas- Linhart. Dans les jours suivants, le Scpri a effectué toute une série de mesures dans l’air, à partir de prélèvements du sol, de végétaux, de laits fermiers. Afin de mesurer précisément ce qui venait de Tchernobyl et ce qui restait des essais nucléaires menés à des fins militaires entre 1954 et 1966, leScpri a pris en compte le césium137 qui a trente ans de période (T =30ans) et le césium134 (T =2,2ans). Or, quand on effectue les rapports sur plusieurs stations de surveillance, on voit que le césium137 de Tchernobyl était à peu près à 1/5 du césium global qui existait encore. Le Scpri a également mesuré l’iode131, dont la période est égale à huit jours. L’iode131 et le césium n’ayant pas le même comportement dans l’environnement (l’iode est volatil tandis que le césium est mobile) , il est hasardeux de modéliser les dépôts d’iode131 au moment de l’accident à partir des mesures des dépôts de césium137.»
Les interprétations peuvent donc être très diverses. Le Pr André Aurengo, chef du service de médecine nucléaire du groupe hospitalier de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, exposera notamment les modèles développés par l’Ipsn puis par l’Irsn (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire) et leur utilisation à des fins dosimétriques.
Vingt ans après l’accident, est-il possible dans ces conditions d’évaluer l’impact de Tchernobyl ? Le Pr Yvon Grall, ancien chef du service de médecine nucléaire de l’hôpital Lariboisière, fera le point sur les conséquences de l’accident à partir, entre autres publications, du rapport publié par le forum Tchernobyl en septembre 2005, à l’occasion d’une conférence de l’Agence internationale de l’énergie atomique (« le Quotidien » du 15 septembre 2005). Le pronostic global du rapport établit un total (incluant les décès potentiels à venir liés à l’accident) d’environ 4 000 morts : 2 200 chez les liquidateurs, 1 500 chez les habitants des zones les plus contaminées, 150 chez les 135 000 personnes évacuées de la zone des 30 km et quelques cas mortels de cancers de la thyroïde.
Il s’agit, pour le Pr Grall, d’un pronostic que l’on peut considérer «comme plutôt pessimiste, puisqu’il est fondé sur une relation dose-effet linéaire sans seuil et qu’il prend comme modèle les populations d’Hiroshima et de Nagasaki alors que les conditions sanitaires dans les pays de l’Est touchés sont nettement moins favorables que celles des populations japonaises, ce qui augmente plutôt les causes de décès naturels et relativement précoces autres que le cancer».
La distribution préventive d’iode.
La seconde moitié de la journée sera consacrée aux enseignements tirés de cet événement et à l’exposé des derniers travaux scientifiques. En effet, l’accident de Tchernobyl a déclenché l’élaboration de nouveaux programmes de recherche en radiobiologie, en radioprotection, en cancérologie et a entraîné un regain d’intérêt pour les problèmes mondiaux de santé, en particulier, la carence en iode. Le Dr Bernard Le Guen, de la division production nucléaire d’EDF, évoquera ainsi l’impact de Tchernobyl sur la distribution de comprimés d’iode. «L’iodure de potassium, en saturant la glande thyroïde, peut supprimer (à hauteur de 98 %) la fixation des iodes radioactifs par la thyroïde sous réserve d’une prise d’iode suffisante avant ou le plus tôt possible après les rejets radioactifs dans l’atmosphère. Une prise d’iode stable, six heures après le début de l’exposition, n’entraîne plus qu’une protection de la thyroïde de l’ordre de 50% et montre l’importance d’une distribution préventive d’iode stable. C’est cette approche qui a été privilégiée par les autorités françaises», expliquera le médecin.
Parmi les autres interventions, le Pr François Delange, directeur exécutif honoraire du Conseil international pour le contrôle des désordres de la déficience en iode (Iccidd, Bruxelles), montrera combien la carence iodée «continue de constituer un problème de santé publique important dans le monde et très particulièrement en Europe».
« Tchernobyl vingt ans après. Bilan, leçons et avancées scientifiques », colloque organisé par le laboratoire de biophysique de la faculté de médecine, université Paris-VII - Denis- Diderot, le Groupe de recherche en radiotoxicologie (Grrt), l’unité Inserm 759 de microscopie ionique de l’institut Curie, avec le parrainage du ministère de la Recherche. Le 7 avril, amphithéâtre Constant-Burg, à l’institut Curie. Renseignements auprès du Dr Nicole Colas-Linhart au 01.44.85.63.09.
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