L ES enfants des liquidateurs, ces personnes qui, dans les premières années après la catastrophe, ont effectué des travaux de décontamination du site et de construction du sarcophage, présentent un taux de mutation génétique supérieur (de sept fois) à celui de leurs frères et sœurs conçus avant la catastrophe du 26 avril 1986. Tel est le résultat d'une étude effectuée par une équipe de chercheurs ukrainiens et israéliens qui doit être publiée le 22 mai dans la revue britannique « Proceedings of the Royal Society », indique « le Figaro » (édition du 10 mai).
Les liquidateurs qui ont participé à l'étude sont tous intervenus sur le site de la centrale ukrainienne dans les mois qui ont suivi la catastrophe et sont tous pères d'au moins deux enfants, conçus soit avant, soit après 1986. Au total, 22 enfants se situent dans le premier cas (et constituent ainsi la population témoin), et 41 dans le second. Des prélèvements sanguins ont été effectués afin d'analyser leurs empreintes génétiques. Outre le fort taux de mutation constaté chez les enfants conçus après l'accident, les chercheurs ont remarqué que l'ADN a d'autant plus muté que l'intervalle entre l'exposition aux radiations et la conception est court. Selon les auteurs, « ces résultats indiquent que les faibles doses peuvent induire des changements multiples dans l'ADN des cellules germinales humaines ».
Cette étude, qui vise à connaître les conséquences sur les cellules germinales d'une irradiation externe - subie, en l'occurrence, à cause du réacteur en fusion -, était attendue, précise le président de l'Office de protection contre les rayonnements ionisants (OPRI), le Pr Jean-François Lacronique. « Les doses reçues par ces travailleurs étaient relativement élevées, entre 100 et 150 mSv, ajoute-t-il. Certains ont même dû recevoir des doses équivalentes à 1 Gy. Ce qui est observé, à quinze ans de la catastrophe, chez les enfants de ces liquidateurs, ce sont des anomalies purement génétiques qui n'entraînent pas de malformations. Ces mutations génétiques sont pour l'instant sans expression. Comme pour l'explosion atomique d'Hiroshima, il est nécessaire de voir ce qui se passe pour les secondes générations. » En ce qui concerne les victimes de l'explosion d'Hiroshima, il n'a pas été observé de transmission d'anomalies, en dépit des malformations congénitales.
Mais contrairement à Hiroshima, qui se caractérise par un flash unique, les victimes de Tchernobyl ont subi une irradiation continue.
Pour Philippe Voisin, spécialiste de dosimétrie à l'Institut de protection et de sûreté nucléaire (IPSN), cette nouvelle étude ne permet toujours pas d'établir une corrélation ferme entre la dose d'irradiation reçue et les mutations héréditaires. D'une part, explique-t-il, « les régions de l'ADN utilisées pour réaliser une empreinte génétique présentent une variabilité naturelle très élevée. Ce n'est pas parce que l'on constate un fort taux de mutation sur ces portions d'ADN qu'il faut en conclure que l'ensemble du génome a muté dans des proportions équivalentes ». D'autre part, poursuit-il, « on ne sait pas exactement quelles ont été les doses d'irradiation et de contamination reçues par ces liquidateurs. On manque une information de base. Il y a des mutations génétiques, certes, mais on ne peut pas en tirer des conclusions. La population choisie n'est pas assez caractérisée ». Or, reconstruire la dose reçue par chaque individu, grâce à des marqueurs biologiques, est sans doute ce qui est le plus difficile à faire aujourd'hui.
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