Le Temps de la médecine
CROISSANCE ET DEVELOPPEMENT plus rapides, tailles moyennes plus élevées, maturation plus précoce : les changements séculaires observés par les auxologues en Europe étaient empiriquement bien connus. On en sait maintenant un peu plus et avec un peu plus de précision grâce à la campagne mensurations France, lancée par les professionnels de l'Institut français du textile et de l'habillement (Ifth). Cette campagne qui mesure depuis mai 2002 une cohorte de 10 350 hommes et femmes, âgés de 8 à 65 ans et résidant dans cinq régions françaises, a déjà permis de constater chez les femmes un gain de taille en moyenne compris entre 3 et 4 cm en trente ans, depuis l'enquête précédente. Elle enregistre, en outre, une hausse de la proportion des personnes en surpoids (20 % de l'échantillon) et de celle des obèses (10 %).
85 points.
La campagne de l'Ifth « capture » 85 points du corps humain grâce à une batterie de caméras et à un scanner : stature, tour de tête, tour de cou, tour de main, hauteur du corps à partir de la septième vertèbre cervicale, longueur de taille milieu du dos, longueur de bras à partir de la poitrine de l'acromion, longueur de côté, longueur de l'entrejambe, tour de poitrine, tour de taille, tour de bassin, tour de cuisse permettent de créer en une dizaine de secondes un double virtuel en 3D.
L'une des cabines d'enregistrement a été installée au centre de prévention sanitaire et sociale (CPSS) de la caisse primaire d'assurance-maladie de la Seine-Saint-Denis, à Bobigny. Car, « sans que l'on sache au juste ce qui va sortir de ce travail, on espère que les résultats fourniront une base importante pour établir des corrélations potentielles entre la morphologie et les problèmes liés au métabolisme (hypertension, diabète, obésité), explique le Dr Gérard Nguyen (service d'endocrinologie de l'hôpital Avicenne, de Bobigny), qui coordonne l'étude. Les conséquences physiques de la morphologie sur l'appareil locomoteur seront ainsi prises en compte, de même qu'une évaluation psychocomportementale sur l'acceptation de la morphologie ».
Autre spécialiste intéressé par la campagne, le Pr Richard Treves (chef du service de rhumatologie du CHU de Limoges) espère pouvoir, grâce à elle, « mettre en relief les liens entre le surpoids et les lombalgies, les gonarthroses et l'hyperlaxité articulaire. »
Selon lui, on devrait pouvoir bâtir des relevés statistiques autour de problèmes qui sont loin d'être anodins dans la vie quotidienne des patients, par exemple les maux de pieds, et les pieds plats, les pieds creux, les pieds grecs et les pieds égyptiens. Autant de sujets qui, à ce jour, ne sont pas encore documentés.
Un laboratoire a rejoint le programme : Upsa. Le Dr Benoît Gallet, vice-président de la division douleur/neurosciences de Bristol-Myers Squibb, explique qu'Upsa va partir à la recherche de « données épidémiologiques complémentaires à celles explorées par l'anthropologie, notamment dans l'influence de la morphologie du corps et des comportements sur la santé globale de l'individu ».
L'avenir est aux échantillons anciens.
L'intérêt médical pour ce travail d'actualisation auxiométrique est toutefois diversement partagé. Pas de consensus en vue, si l'on en croit, par exemple, Marie-Françoise Rolland-Cachera, épidémiologiste à l'Inserm (unité 557 nutrition et maladies chroniques, au Conservatoire national des arts et métiers) : « Si les données récentes procurent des photographies intéressantes de la population, l'avenir, affirme-t-elle, c'est de continuer à se servir des vieux échantillons. »
En l'occurrence, ce serait l'étude dite fondamentale, conduite de 1955 à 1975 par les Drs Nathalie Masse, Marie-Paul Roy-Pernot et Michel Sempé, qui ferait foi. Pendant vingt ans, ces trois pédiatres ont suivi 497 enfants en bonne santé. Chacun d'eux a été examiné d'abord tous les trois mois, puis tous les six mois, ce qui a permis de réunir une documentation considérable, avec notamment une collection de plus de cinq mille radiographies du poignet et de la main gauche, pour évaluer la maturation squelettique dans sa continuité absolue jusqu'aux fusions terminales.
Et « c'est justement parce qu'elle est adressée au même groupe d'enfants en bonne santé que cette étude longitudinale a permis de fixer des repères normatifs qui restent aujourd'hui parfaitement valides, explique Françoise Révillé-Sausse, du laboratoire d'anthropologie du musée de l'Homme (Paris), même si, reconnaît-elle, elle semble dater quelque peu.
C'est à partir de cette étude qu'ont été dessinées les courbes de croissance et de maturation, de vitesse de croissance, et calculer les indices poids sur taille et surtout poids sur taille au carré (indice de corpulence de Quételet). Et ce sont toujours ces outils de santé publique qui restent en vigueur dans le suivi des enfants, à toutes les étapes de leur évolution.
Des données obsolètes ? Peut-être un peu, admet un des auteurs, le Dr Sempé. Mais il ajoute aussitôt : « La mesure de l'instant T n'a aucune valeur séquentielle, et on n'a jamais pu tirer une norme de quelque chose d'évolutif. L'évolution, de surcroît, ces dernières années, s'est faite de façon plutôt négative, avec un pourcentage d'obésité qui a quadruplé, passant à 12 ou 15 %. A l'opposé, la situation se dégrade aussi pour la proportion des enfants trop maigres. »
Moralité, selon Marie-Françoise Rolland-Cachera, « face à la constante détérioration des choses en matière de composition corporelle, on a tout intérêt à se servir d'un échantillon ancien pour fixer les normes médicales. ».
Le débat continue, qui n'est pas sans conséquences ; ces normes déterminent les seuils à partir desquels sont prescrits les traitements, telles les hormones de croissance.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature