Dès 1928, un médecin allemand, le Dr Schönherr, a émis l'hypothèse que les cancers du poumon chez les femmes non fumeuses pouvaient être en rapport avec le tabagisme de leur mari. Néanmoins, depuis cette date et en dépit de recherches multiples menées sur le sujet, le lien entre le tabagisme passif et la majoration des risques cancéreux et des maladies cardio-vasculaires reste encore sujet à caution. En raison du faible impact de ce facteur de risque, pour que les études soient épidémiologiquement significatives, il est nécessaire d'inclure un très grand nombre de participants. Or de tels essais sont rares et, pour évaluer l'influence du tabagisme passif, les épidémiologistes ont eu recours à des métaanalyses menées sur un nombre plus restreint de patients. Ce sont ces métaanalyses qui ont permis de conclure à une majoration du risque de 30 % des maladies coronariennes et de 20 % des bronchites chroniques et des cancers du poumon. « Mais il est essentiel de garder à l'esprit que, dans ces métaanalyses, une étude publiée en 1995 et menée sur une large population est exclue de façon systématique : il s'agit de celle établie à partir des données de l'American Cancer Society et financée par l'industrie américaine du tabac », précise le Dr Georges Smith (Bristol, Grande-Bretagne). Dans ce travail mené sur plus de 100 000 participants américains suivis de 1959 à 1972, le risque de maladies cardio-vasculaires et pulmonaires n'était pas plus élevé chez les conjoints de fumeurs que chez les non-fumeurs. Néanmoins - et en se fondant sur l'absence de possibilités de comparaison avec les autres études en raison d'une méthodologie particulière - cette étude a été systématiquement exclue des métaanalyses. Pour le Dr Smith, « la prise en compte de ces résultats aurait modifié de façon considérable les conclusions des travaux de compilation ».
Nouveau questionnaire
Dans un travail publié par le « BMJ », les Drs James Enstrom et Geoffrey Kabat (Los Angeles) donnent une nouvelle lecture des résultats de l'étude publiée en 1995 en complétant les données finales de 1972 par l'analyse d'un questionnaire de deux pages qu'ils ont fait parvenir aux participants en 1999. La notion de tabagisme passif a été appréciée par le statut de fumeur du conjoint en 1972. Au total, 35 561 participants exposés au tabac de leur conjoint - sur les 118 094 personnes initialement incluses - ont pu être suivis jusqu'en 1999. Il s'agissait, dans 85 % des cas, de femmes non fumeuses de fumeurs. Pour les auteurs, « le risque relatif d'accident cardio-vasculaire pour les personnes exposées au tabagisme passif est de 0,94 et celui des cancers du poumon est de 0,75. En matière de broncho-pneumopathie obstructive il est de 1,27 chez les 9 619 hommes suivis et de 1,01 pour les 25 942 femmes interrogées ». Ces chiffres sont en tout point similaires à ceux déjà retrouvés lors de la première étude de 1995.
Pour l'éditorialiste, « cette étude va contribuer à alimenter la controverse, mais elle ne permet en aucune façon une conclusion définitive quant à l'effet du tabagisme passif ». Certaines questions restent en effet en suspens. La non-prise en compte du statut tabagique du conjoint après 1972, par exemple, peut avoir introduit un biais dans l'analyse des données. En outre, on ne dispose pas d'éléments permettant de savoir si le conjoint fumait effectivement en présence du non-fumeur et si au cours d'autres activités - le travail, par exemple -, il existait une autre exposition potentielle à un tabagisme passif.
« BMJ », vol. 326, pp. 1048-1049 et 1057-1061, 17 mai 2003.
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