L A combinaison de facteurs génétiques et environnementaux est particulièrement évidente dans le cas des maladies cardio-vasculaires. Des auteurs britanniques ont donc étudié le risque lié au tabac, en fonction du génotype, au niveau du locus apoE. On sait que trois allèles du gène apoE coexistent dans la population : l'allèle E3, le plus répandu, l'allèle E2, qui semble conférer une certaine protection vis-à-vis du risque cardio-vasculaire, enfin, l'allèle E4, auquel est, au contraire, associé un risque accru.
L'étude a été menée de manière prospective, chez plus de 3 000 hommes âgés de 50 à 61 ans, initialement en bonne santé, et suivis durant huit ans. Outre les groupes déterminés par typage du gène de l'apoE, trois catégories ont été définies : non-fumeur, ex-fumeur et fumeur, grillant au moins une cigarette par jour depuis au moins un an. Lors du bilan annuel, quatre types d'événements étaient enregistrés : décès d'origine coronarienne, infarctus non fatal, intervention sur les coronaires, infarctus non symptomatique.
Au total, 96 hommes ont été victimes d'un infarctus aigu, 26 ont subi une procédure interventionnelle, enfin, 14 infarctus silencieux ont été reconnus.
Tous génotypes confondus, le risque d'événement coronarien est naturellement supérieur parmi les fumeurs : 5,1 événements par année de suivi pour 1 000 non-fumeurs, 7,5/1 000/an chez les ex-fumeurs (risque : 1,34), enfin, 12,1/1 000/an chez les fumeurs (risque : 1,94). Un risque presque doublé, donc, indépendamment des autres facteurs de risque apparaissant dans l'étude : âge, indice de masse corporelle (IMC), cholestérol plasmatique, triglycérides, fibrinogène, TA systolique.
En considérant le risque en fonction du génotype apoE, il n'apparaît pas de différence significative entre non-fumeurs. Chez les personnes homozygotes pour l'allèle E3, le risque ressort à 1,74 pour les ex-fumeurs et 1,68 pour les fumeurs. Chez les personnes portant au moins un allèle E4, ces risques sont respectivement de 0,84 et 3,17. Enfin, il ne semble pas y avoir de différence de risque en fonction du comportement vis-à-vis du tabac chez les porteurs d'un allèle E2.
Ces résultats demandent naturellement confirmation. En attendant, ils appellent trois commentaires.
ApoE2 : le risque de cancer du poumon persiste
Premièrement, en ce qui concerne l'effet apparemment protecteur de l'allèle E2, il faut aussi noter que 17 personnes sont décédées par cancer du poumon dans le cours de l'étude, dont 13 fumeurs, indépendamment de leur génotype apoE. Le tabac n'est donc nullement blanchit. Ce qui n'empêche pas que, sur certains terrains génétiques, ses effets délétères en matière cardio-vasculaire puissent être pratiquement annulés.
Deuxièmement, en ce qui concerne le mécanisme de la synergie tabac-apoE4, les auteurs envisagent une accélération de l'oxydation des lipoprotéines. En fait, une élévation du cholestérol a été constatée chez les fumeurs apoE4. Mais elle ne suffit pas à expliquer un triplement du risque. Même si l'allèle E4 est associé à un profil lipidique a priori plus « à risque », il n'est nullement certain que ce profil soit responsable du risque cardio-vasculaire associé à l'allèle. Un amincissement de la paroi artérielle a, par exemple, été constaté chez les sujets apoE4, tout à fait indépendamment du taux de cholestérol. Plutôt que les taux eux-mêmes, c'est le devenir des lipides circulants qui semble important. Il a été montré que la protection la plus élevée contre l'oxydation des LDL est conférée par le génotype apoE2, suivi du génotype apoE3 et, enfin, apoE4. Il a également été montré que le tabac accélère l'oxydation des lipoprotéines. Il est vraisemblable que, chez les fumeurs apoE4, ces effets se cumulent.
Les bénéfices de l'arrêt du tabac
En troisième lieu, un chiffre attire l'attention : le risque de 0,84 chez les sujets apoE4 qui ont cessé de fumer. Alors que le risque est triplé chez les fumeurs, on aurait plutôt attendu un risque intermédiaire chez les repentis. Or, non seulement aucun risque résiduel n'apparaît chez les ex-fumeurs, mais la séquence « tabac-arrêt du tabac » semble associée à un certain effet protecteur - comme une sorte d'effet rebond. On ne conseillera à personne de commencer à fumer pour pouvoir s'arrêter. Mais au moins l'absence de risque résiduel suggère-t-elle que, quel que soit le mécanisme du risque cardio-vasculaire chez les fumeurs apoE4, ce mécanisme est réversible.
S. E. Humphries et coll. « Lancet », 2001 ; 358 15-119.
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