La politique de taxation à outrance du tabac est moins destinée à protéger la santé publique qu'à dégager de nouvelles recettes pour le fisc.
Le gouvernement ferait mieux d'en convenir, plutôt que d'essayer de nous faire croire le contraire : le ministre de la Santé, nous dit-on, se bat contre les maladies liées au tabac et, si son action entraîne une augmentation des revenus fiscaux, c'est positif. Le fumeur rétorque qu'on inverse, en réalité, la fin et les moyens.
Le ministre s'appuie sur des arguments incontestables : beaucoup d'experts affirment que plus le prix du tabac augmente, plus la consommation diminue ; en outre, les jeunes, qui ont de faibles moyens, sont dissuadés de la sorte de commencer à fumer.
C'est possible, c'est probable et c'est souhaitable. Le tabac est une drogue, dont les effets à moyen et long terme sont dévastateurs. Et si on pouvait changer les murs sociales d'un coup de baguette magique, le tabac devrait être interdit.
Malheureusement, l'exemple de la prohibition (de l'alcool) aux Etats-Unis montre que des mesures draconiennes ne mettent pas fin au vice pour autant. On suppose même que, comme pour les drogues, l'interdit ajoute au plaisir. Cette voie est sans issue.
Le prix n'est pas la seule arme
La hausse des prix joue son rôle, mais de manière insuffisante : elle favorise la contrebande ; elle pénalise indistinctement des gens qui n'ont pas les mêmes revenus ; et en se rapprochant de l'interdit, elle pousse les fumeurs invétérés à trouver des combines pour se procurer des cigarettes à meilleur marché, notamment en passant la frontière.
Cela ne signifie pas que Jean-François Mattei doive rester inerte. Simplement, son offensive antitabac ne doit pas utiliser une seule arme de dissuasion, le prix. Il y en a d'autres. Par exemple, l'interdiction de fumer dans tous les lieux publics aurait déjà pour effet de diminuer la consommation. L'individu au travail ne peut pas sortir à chaque instant pour aller fumer ; s'il est employé dans un immeuble non-fumeurs, il consacrera nécessairement moins de temps à son vice favori. Associés à des prix élevés, les campagnes antitabac, le remboursement des traitements, la recherche minutieuse de ceux qui veulent vraiment arrêter mais doivent être aidés devraient produire d'excellents résultats.
En même temps, la raréfaction progressive des fumeurs inversera la tendance sociale. On fumait souvent par convivialité, bientôt, on aura presque honte de fumer.
Le gouvernement, en revanche, ne peut pas affirmer qu'il conduit une politique de santé par le seul biais des prix. Matraqués, le fumeur et le buraliste protestent. En ont-ils le droit ? Ce qu'ils dénoncent en fait, c'est un changement relativement brutal d'attitude morale auquel le premier n'a pas eu le temps de s'habituer et qui ruine le second. Il ne faut pas oublier qu'on n'est pas buraliste sans avoir obtenu au préalable une licence de l'administration. C'est l'Etat qui crée le bureau de tabac et c'est l'Etat qui en fait un épouvantail. Le ministre n'a pas su prévoir, et encore moins assumer, cette série de contradictions. Il traite les fumeurs comme des délinquants, de la même façon qu'après avoir fermé les yeux pendant des décennies sur les excès de vitesse, l'Etat est devenu intraitable.
Le citoyen, coupable potentiel
Il a raison. Cependant, dans ses relations avec la puissance publique, le citoyen affronte des interdits de plus en plus nombreux : dès qu'il prend sa voiture, il risque de se transformer en délinquant à cause de la pluie, de la neige ou d'un réflexe trop long d'une demi-seconde ; s'il boit sans s'abstenir de conduire, il devient criminel ; s'il fume, il met en danger la santé des autres. Si on ajoute les nouveaux édits aux anciens, le citoyen apparaît comme l'ennemi ou la proie de l'Etat. Ce n'est plus un présumé innocent, c'est un coupable potentiel.
En d'autres termes, il y a un nouveau code général des bonnes murs qu'on applique sans avoir pris le temps de l'expliquer au citoyen. Lorsqu'on dit que nul n'est censé ignorer la loi, on sait pertinemment que personne ne la connaît vraiment.
Or les lois changent ; et, en plus, elles interdisent des comportements qui naguère étaient licites. C'est un peu comme la multiplication des obligations imposées aux médecins (bonnes pratiques, RMO, télétransmision, etc.). Chaque fois qu'on change les règles du jeu, le joueur se fâche. Il s'ensuit un combat de type David et Goliath que l'Etat doit éviter. Et la première chose à faire, en ce qui concerne les nouveaux interdits, c'est de définir les objectifs : l'Etat n'est pas censé retirer des recettes de sa lutte contre la vitesse routière, mais de réduire le nombre des accidents ; de même, la lutte contre le tabagisme ne saurait servir de source magique de revenus pour l'Etat. Son seul but doit être de conduire une politique efficace de santé publique.
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