Le débat public contribue à l'établissement de la vérité en croisant les opinions, les faits et les chiffres. Mais vient fatalement l'instant où le volume des données plonge l'auditeur dans la confusion. Quand, en outre, le débat est politisé, le mensonge l'empoisonne.
La création d'un Haut Conseil de l'assurance-maladie chargé de dégager les pistes de la réforme correspond à la meilleure des intentions, celles qui pavent l'enfer. Qu'y a-t-il, dans le PSF (paysage sanitaire français) que les experts - et Dieu sait qu'ils sont nombreux et compétents - ne connaissent pas par cur ? Et qui ignore les diverses solutions offertes au pouvoir politique ?
Gagner du temps
Pour l'analyse du problème, la France a largement donné ; pour la synthèse, on en est toujours à se quereller, ce qui retarde d'autant le moment fatidique de la décision. N'est-ce pas en quelque sorte ce que fait le gouvernement qui demande à 53 personnes, pas moins, de se pencher sur le malade et de nous proposer un diagnostic et un remède ? Cela s'appelle gagner du temps. Mais pendant ce temps, le malade souffre de sa tumeur déficitaire qui grossit jour après jour.
Essayons d'énumérer ici, avant d'en revenir à cette inévitable décision que l'on diffère, quelques faits indiscutables.
1) Les dépenses d'assurance-maladie ne cessent d'augmenter. Elles ont augmenté vivement en 2002 et 2003, indépendamment de la baisse des recettes. Elles ont augmenté avant même que la France ne vieillisse, avant même que le nombre d'actifs ne diminue. Elles ont augmenté en valeur absolue.
2) Elles n'ont pas augmenté à cause de la hausse des honoraires des médecins de ville à tarifs opposables. L'accusation lancée par la gauche contre Jean-François Mattei est fausse. Les honoraires du secteur I ont augmenté en 2003 parce que le gouvernement Jospin n'a jamais consenti à accorder ne fût-ce que des rattrapages d'inflation. Il est vrai que M. Mattei avait pour mission de ramener le corps médical dans son camp. Ce faisant, il a tout de même mis un terme à une injustice non seulement flagrante mais dangereuse pour l'avenir : si on ne paie pas correctement les soignants, ils finiront par déserter les cabinets et les hôpitaux. On ne le dit pas assez : on a inventé un système merveilleux auquel nous sommes tous très attachés, mais, comme nous n'avons plus les moyens de nous offrir cette merveille, nous espérons l'avoir en solde.
Cette attitude est d'autant plus scandaleuse que la médecine est un métier difficile et épuisant qu'on n'acquiert qu'après de longues années d'études. Le respect qu'inspire le médecin est devenu formel ; il n'est plus dans la poche du patient et encore moins dans celle de l'Etat. Donc, il faut mettre un terme au mensonge pieusement dicté par l'éthique : oui, la santé a un prix. Et si les hausses d'honoraires enfin accordées cette année tombent mal, à qui la faute ?
3) La crise économique est la deuxième cause (après le bond de la demande) du déficit énorme de l'assurance-maladie. On ne songerait sans doute pas à réformer le système de santé si le déficit avait été supportable, si les recettes de l'assurance-maladie avaient été aussi abondantes qu'entre 1997 et 2002. On peut être sûr que, si le chômage se réduit, si les cotisations augmentent grâce à une reprise de l'activité, le très réformateur gouvernement de Jean-Pierre Raffarin atténuera les mesures drastiques qu'il s'apprête à prendre dans moins d'un an.
4) On n'améliorera le système ni en pénalisant les soignants et l'industrie pharmaceutique ni en diminuant l'offre de soins. Humanisme, justice sociale, égal accès aux soins, d'accord. Il n'en demeure pas moins vrai qu'il faut peser sur la demande de soins. Et comment y parvient-on ? En disant aux Français que, si toutes les maladies sérieuses ou graves relèvent de la responsabilité nationale, ils doivent affecter certains soins au budget de routine du foyer, comme l'habillement, la nourriture ou les loisirs. Surtout s'ils en ont les moyens. Quand on est encore à agiter la notion de « panier de soins » sans jamais avoir décidé ce qu'on y mettait, il y a de quoi se demander si nous n'avons pas mérité les déficits. Que va faire le Haut Conseil ? S'il ne définit pas le fameux panier, il échouera.
5) Il faut avoir le courage de dire aux Français que, contrairement à ce qu'ils croient, ils paient beaucoup pour leur santé et devront payer encore plus.
Nous nous référerons ici à l'ancien ministre Bernard Kouchner qui expliquait que si on voulait garder le système, il fallait payer. On a inventé, comme seule la France sait le faire, une bataille idéologique entre horribles libéraux qui voudraient faire de la santé un objet de consommation et bolcheviques qui souhaiteraient que les soins soient gratuits pour tous et financés seulement par les plus riches. Idiotie pure. Les intellectuels français ont un don immense pour noyer l'arithmétique sous les concepts. Il nous manque vingt ou trente milliards d'euros, on nous parle de restructurations, de réseaux de soins, de formation continue, de qualité des soins. Toutes ces réformes sont en cours ou déjà réalisées. Il n'empêche que deux et deux font quatre.
De sorte que, quel que soit le moyen de financement, s'il manque trente milliards à soixante millions de Français, cela veut dire que le besoin est de 500 euros per capita. A partir de là, tous les concepts se valent. On peut créer un impôt exceptionnel qui variera selon les revenus mais permettra de recueillir, à terme, 500 euros par citoyen. On peut augmenter la CSG d'un point, comme on le fera sans doute l'an prochain. On peut transférer une partie des charges aux complémentaires ou aux mutuelles, mais bien sûr, elles seront obligées d'augmenter les cotisations. On peut enfin établir une franchise sur l'assurance-maladie qui ne rembourserait pas aux foyers aisés (dont le seuil de revenus est à fixer) les premiers 200 ou 300 ou 500 euros qu'ils consacrent dans l'année à leur santé.
Il est temps d'avoir le courage de dire aux familles dont le standing est élevé que, bien qu'elles cotisent plus que les autres, elles peuvent encore accorder à leur santé une faible partie de leur budget de consommation.
En outre, sur le plan psychologique, il est bon que des citoyens paient directement pour les soins, comme ils paient leur essence ou leurs emplettes. Cinq cents euros, par exemple, ne représentent qu'un pour cent d'un revenu annuel de 50 000 euros. Mais bien entendu, c'est aussi un point de CSG pour le même revenu. Et si les administrés préfèrent qu'on augmente leurs cotisations, pourquoi pas ? Sauf que le paiement direct s'accompagne d'une prise de conscience du coût de la santé et aurait donc pour effet de peser sur la demande.
Une faible marge
Et pourquoi faut-il peser sur la demande ? Parce que, s'il est possible d'accorder une part plus grande de la production nationale à la santé, le risque existe que cette part soit excessive par rapport à d'autres besoins, comme l'éducation ou les transports en commun. Nous disposons d'une marge. On peut concevoir que la santé compte pour dix à douze du produit intérieur brut. Au-delà, nous manquerons de ressources pour d'autres activités.
On n'écartera pas ce risque si on ne rend pas la facture douloureuse pour chaque foyer français. C'est au prix de cette vérité qu'on rétablira l'équilibre financier de notre système d'assurance-maladie et qu'on le conservera.
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