PRATIQUE
Une place à part
Dans ce groupe des syndromes myéloprolifératifs, la leucémie myéloïde chronique (LMC) a rapidement trouvé une place à part en raison des moyens diagnostiques et de sa prise en charge thérapeutique.
Débutant de façon insidieuse par une fatigue, un amaigrissement, la LMC, souvent découverte de façon fortuite, est une maladie dont la gravité tient à son évolution vers la transformation en leucémie aiguë.
Suspecté parfois en cas de splénomégalie isolée, mais surtout sur les données de l'hémogramme [anémie le plus souvent modérée (10 g/dl), hyperleucocytose majeure avec myélémie] et du myélogramme (moelle riche, élévation de la lignée granuleuse, nombreux mégacaryocytes, diminution de la lignée érythroblastique), le diagnostic est confirmé par l'étude du caryotype des cellules de la moelle osseuse, qui met en évidence le chromosome Philadelphie (translocation génétique entre le chromosome 9 et le chromosome 22 avec échange de matériel génétique), et par l'identification d'un gène hybride sur ce chromosome : la protéine bcr-albl, qui est un marqueur diagnostique.
L'objectif du traitement est aujourd'hui de supprimer l'évolution vers la phase de transformation aiguë et d'obtenir la guérison.
Après l'allogreffe de moelle qui a été le seul moyen d'obtenir la guérison de patients en phase chronique, d'autres possibilités thérapeutiques sont apparues, avec l'interféron alpha, qui permet d'obtenir de très longues rémissions hématologiques et cytogénétiques, et, plus récemment, avec le STI 571 ou Gleevec (Imatinib Mesylate). Premier anticancéreux de la famille des « antityrosine-kinases », Gleevec inhibe de façon sélective l'activité tyrosine-kinase de la protéine de fusion bcr-abl, primum movens de la LMC.
Augmentation de la masse érythrocytaire
Syndrome myéloprolifératif touchant la lignée érythroblastique et caractérisé par une augmentation de la concentration sanguine en hémoglobine et de la masse érythrocytaire totale sans stimulation excessive par l'érythropoïétine, la maladie de Vaquez survient le plus souvent dans la seconde partie de la vie, avec une incidence de 2 à 3 % par million d'habitants et par an.
Sa gravité tient à ses complications : complications vasculaires thrombotiques ou artérielles, vieillissement vasculaire rapide, hémorragies ; complications hématologiques : myélofibrose secondaire, transformation tardive en leucémie aiguë.
Les principaux signes cliniques révélateurs sont en rapport avec l'inflation volémique et l'hyperviscosité sanguine : céphalées, vertiges, prurit, paresthésies, somnolence, dyspnée, bouffées congestives, prurit, érythrose cutanéo-muqueuse (visage, mains, conjonctives, etc.), hypertension artérielle.
Le diagnostic évoqué sur l'élévation de l'hématocrite (> 49 à 55 %), associée à une augmentation significative du taux d'hémoglobine, à une polyglobulie normochrome, à une hyperleucocytose modérée et à une hyperplaquettose, est confirmé par l'étude du volume globulaire, la biopsie médullaire qui met en évidence une moelle riche avec hyperplasie des lignées érythrocytaires et mégacaryocytaires, et par l'étude de la pousse spontanée des progéniteurs érythrocytaires.
Au plan thérapeutique, les traitements restent les saignées, les myélosuppresseurs [hydroxyurée (Hydréa) et piproboman (Vercyte)], le phosphore 32 étant maintenant réservé à des cas particuliers, notamment les sujets très âgés ou en cas d'échec de l'hydroxyurée.
L'interféron pourrait être une alternative aux traitements myélosuppresseurs en raison de sa meilleure tolérance, mais il n'est pas développé en France dans le traitement de la maladie de Vaquez.
Nombre élevé de plaquettes
La thrombocytémie essentielle (TE) est classiquement définie comme un syndrome myéloprolifératif chronique, caractérisé par un nombre élevé de plaquettes dû à une prolifération excessive des mégacaryocytes de la moelle.
A la différence de la maladie de Vaquez et de la splénomégalie myéloïde, la TE est relativement fréquente chez le sujet jeune : la moyenne d'âge au moment du diagnostic se situe aux alentours de 60 ans, avec autant de patients de plus de 60 ans que de patients de moins de 60 ans ; dans ce groupe d'âge, la prédominance féminine est nette, avec un pic de fréquence entre 30 et 40 ans.
L'incidence des nouveaux cas recensés chaque année est relativement faible (de 1,6 à 2 par million d'habitants). Cependant, le début souvent précoce de la maladie, une évolution qui ne modifie pas de façon appréciable l'espérance de vie par rapport à une population témoin font que le nombre de malades suivis dans les services d'hématologie, de médecine interne et par les médecins traitants est vraisemblablement très important.
Les manifestations cliniques les plus caractéristiques sont les manifestations vasculaires. Les plus connues sont les thromboses à prédominance artérielle qui font toute la gravité de la maladie (infarctus du myocarde, accidents vasculaires cérébraux, thrombose artérielle périphérique) et les manifestations hémorragiques, beaucoup moins fréquentes que les thromboses : il s'agit le plus souvent d'hémorragies cutanéo-muqueuses modérées (épistaxis, gingivorragies, ecchymoses, etc.), rarement de grandes hémorragies.
En revanche, les accidents vasculo-occlusifs survenant dans la microcirculation, bien que fréquents, sont trop souvent méconnus. Ils sont responsables d'un vaste ensemble de manifestations fonctionnelles ischémiques touchant les extrémités des membres (érythromélalgies), plus souvent les orteils que les doigts, et apparaissant volontiers à la chaleur, la circulation cérébrale (migraines accompagnées), l'il (diplopie...). Ces manifestations ont en commun le mécanisme physiopathologique (agrégation spontanée de plaquettes anormalement activée) et leur sensibilité élective à de faibles doses d'aspirine.
Cependant, la TE est souvent découverte à l'occasion d'un examen hématologique et un nombre non négligeable de patients (de 30 à 50 %) sont asymptomatiques au moment du diagnostic et peuvent le rester pendant des années, voire tout au long de l'évolution.
Le diagnostic de thrombocytémie essentielle repose sur un critère positif - l'élévation permanente du nombre de plaquettes (> à 600 x 10 puissance 9/l) - et sur des critères négatifs qui permettent d'éliminer les thrombocytoses réactionnelles - infection, maladie inflammatoire, cancer, etc. - et les autres syndromes myéloprolifératifs responsables d'hyperplaquettose - absence de chromosome Philadelphie, absence de myélofibrose...
La prise en charge des patients atteints de TE implique une collaboration entre les spécialistes et les médecins généralistes qui auront à suivre les patients tout au long de l'évolution de la maladie.
Faut-il traiter tous les patients ? Il est aujourd'hui clairement démontré que la décision de traiter et le choix d'une stratégie thérapeutique dépendent du risque thrombotique.
Chez les sujets à faible risque thrombotique et/ou asymptomatique, l'abstention thérapeutique est l'attitude adoptée le plus fréquemment mais au prix d'une surveillance rigoureuse.
Chez les patients à haut risque, l'objectif du traitement est d'obtenir une diminution des plaquettes en limitant le risque d'effets secondaires. Actuellement, Hydréa (hydroxyurée) et Vercyte (piproboman) sont des traitements de référence en raison de leur efficacité et de leur bonne tolérance à court terme. En revanche, des arguments plaident en faveur d'une restriction de leur utilisation, notamment chez les sujets jeunes, en raison de leurs effets mutagènes potentiels à long terme (notamment le piproboman) et des effets secondaires : manifestations cutanéo-muqueuses (ulcères de jambe, sécheresse de la peau..), toxicité médullaire.
Ces conditions ont conduit à recourir à de nouveaux produits :
- l'interféron alpha, inhibiteur puissant des progéniteurs mégacaryocytaires, constitue une alternative aux agents cytotoxiques habituels, car il est dépourvu d'effet mutagène ; malheureusement, ses effets secondaires (fièvre, syndrome pseudo-grippal, myalgies, dépression, etc.) limitent son utilisation ;
- l'anagrelide, utilisé depuis dix ans aux Etats-Unis, mais qui n'est pas disponible en Europe, semble actuellement le traitement le plus prometteur. Ce dérivé de la quinazoline entraîne une diminution dose dépendante des plaquettes par un effet sélectif sur la maturation des mégacaryocytes sans modification de leur nombre. Réputé non mutagène, il semble particulièrement intéressant pour des sujets jeunes, notamment les femmes en âge de procréer, qui relèvent d'un traitement cytoréducteur.
Le taux de transformation spontanée de la maladie et le risque d'évolution en leucémie aiguë sont considérés comme très faibles.
Cependant, la fréquence de ce type d'événement n'est pas connue avec précision, car les études menées à très long terme ne sont pas très nombreuses. De plus, l'incidence des traitements cytoréducteurs, notamment les alkylants, sur l'augmentation de ce risque n'est pas démontrée avec certitude.
Des enquêtes prospectives sont indispensables pour répondre aux nombreuses questions que pose encore la TE en termes de physiopathologie, de modalités de prise en charge (femmes enceintes, sujets très jeunes) et de thérapeutique avec l'arrivée de nouveaux médicaments thrombopéniants.
Anémie chronique
La splénomégalie myéloïde est une maladie rare qui survient dans la seconde partie de la vie, avec une incidence de 0,4 à 0,7 nouveaux cas par an pour 100 000 habitants.
La maladie se révèle habituellement par une anémie chronique avec pâleur, asthénie, essoufflement à l'effort, une splénomégalie, parfois des ecchymoses, des thromboses vasculaires et des hémorragies.
La numération formule sanguine confirme l'anémie et met en évidence des déformations érythrocytaires, le plus souvent, le nombre de leucocytes est légèrement augmenté avec une majorité de polynucléaires neutrophiles, une myélémie, le nombre de plaquettes peut être normal, élevé ou diminué.
L'examen clé du diagnostic est la biopsie médullaire qui met en évidence la fibrose de la moelle.
L'évolution naturelle de la maladie se fait sur plusieurs années avec une aggravation de l'anémie nécessitant des transfusions, une augmentation de la splénomégalie entraînant gêne et douleurs par compression des organes abdominaux. Un petit nombre de patients (de l'ordre de 15 %) est susceptible d'évoluer vers une transformation aiguë terminale, mais, le plus souvent, cette transformation est masquée par des événements intercurrents (insuffisance cardiaque, infections, maladies cardio-vasculaires, thromboses).
Au plan thérapeutique, il n'existe pas de traitement spécifique et les mesures proposées dépendent de la nature des problèmes rencontrés :
- la greffe de moelle peut être envisagée chez les sujets très jeunes dont le pronostic vital justifie d'en prendre le risque ;
- une splénomégalie volumineuse peut être l'indication d'une radiothérapie, d'un traitement myélofrénateur (Hydréa, Vercyte, interféron-alpha), voire d'une splénectomie, geste qui n'est pas dénué de risques (thromboses postopératoires, hémorragies, problèmes infectieux) ;
- le thalidomide pourrait avoir une efficacité, mais il ne fait l'objet que de protocoles expérimentaux pour lesquels il n'existe que des résultats préliminaires.
Devant cette carence thérapeutique, des efforts sont faits en France pour constituer des réseaux de travail sur cette maladie.
D'après un entretien avec le Pr J. Brière, service d'hématologie clinique, hôpital Beaujon, Clichy.
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