S EPT mois auront été nécessaires au comité de dix experts présidé par le Pr Roger Salamon (directeur de l'Unité INSERM 330, Epidémiologie, santé publique et développement, université Bordeaux-II)* pour répondre aux deux questions posées conjointement par les ministères de la Santé et des Armées : Existe-t-il un syndrome spécifique lié à la guerre du Golfe ? Et quelles études convient-il de mener en France ?
Pour la première question, le groupe de travail aura dû effectuer « une revue quasi exhaustive de la littérature scientifique internationale ». Pas moins de 350 articles, publiés essentiellement aux Etats-Unis et au Royaume-Uni entre 1991 et décembre 2000, ont été analysés et deux membres du groupe de travail ont même participé au colloque organisé en janvier 2001 à Washington par le comité mis en place par le ministère de la Défense américain.
Mortalité par accidents
Il n'y a aucun excès de mortalité chez les militaires exposés lors de la guerre du Golfe par rapport à des militaires non exposés, conclut tout d'abord le rapport. Exception doit être faite cependant pour la mortalité par accidents (surtout des accidents de la route), en raison des excès de conduites à risque pendant les opérations, et non du fait d'une spécificité de la guerre du Golfe. Pas d'effet délétère n'a été publié sur la descendance des anciens combattants, qu'il s'agisse de diminution de la natalité, de la morbidité ou de la mortalité néonatale et infantile.
Au chapitre des pathologies connues, étudiées dans le cadre des hospitalisations et des causes de décès, apparaît une augmentation du nombre des cancers des testicules dans la période qui suit immédiatement le conflit. Cela dit, les auteurs du travail publié à ce sujet dans la revue « Epidemiology », en 1998, suggèrent que cet excès serait la conséquence d'un biais de sélection, car il disparaît lorsqu'on prolonge la période d'observation.
Des signes et des symptômes très divers
Le groupe du Pr Salamon détaille en outre « trois études majeures » qui ont été menées aux Etats-Unis et une autre en Grande-Bretagne. La première décrit la prévalence de treize maladies ou symptômes des soldats de quatre unités de l'armée de l'air ; la deuxième recense 78 symptômes récurrents associés à 59 symptômes ou maladies survenus après la guerre du Golfe ; ces symptômes sont au nombre de 58, selon la troisième étude. Et la quatrième, menée au Royaume-Uni, détaille une cinquantaine de symptômes et maladies.
Tous ces travaux, souligne le rapport, concluent que « les soldats ayant participé à la guerre du Golfe ont présenté des signes et symptômes très divers, de nature essentiellement fonctionnelle, avec une fréquence notablement (et statistiquement significative) plus grande encore que celle des témoins ».
Dès lors, peut-on parler d'un syndrome de la guerre du Golfe ? Sur les cinq équipes qui ont tenté de répondre en utilisant des méthodes statistiques pour étudier les symptômes recueillis par autoquestionnaires, quatre ne concluent pas à l'existence d'un syndrome ou concluent à son inexistence et une, effectuée chez 249 militaires issus d'un même bataillon, conclut à l'existence de six syndromes**. Elle suggère que chacun d'eux est associé à des expositions différentes, mais qu'elles sont toutes observées dans un cadre essentiellement neurotoxique.
Ces analyses montrent une « construction » des signes et des symptômes selon des facteurs qui pourraient s'apparenter à des syndromes, estime le Pr Salamon. Mais, observe-t-il, « ces facteurs se retrouvent aussi (quoique quantitativement plus faibles) chez les militaires non déployés lors de la guerre du Golfe. Et aucune cause unique ne pouvant expliquer l'excès de signes et symptômes constatés n'a été formellement mise en évidence ».
Sept autres facteurs de risque sont encore passés au crible des investigations du groupe, au premier rang desquels l'uranium appauvri, qui a surabondamment défrayé la chronique. Mais « rien ne permet de (le) considérer comme responsable d'un présumé syndrome de la guerre du Golfe ». S'agissant des toxiques atmosphériques, comme les fumées des puits de pétrole en feu, « il apparaît peu vraisemblable qu'elles puissent être la cause des signes présentés ». Pour la pyridostigmine, en revanche, « l'hypothèse d'une relation ne peut être totalement exclue », même si aucun élément publié n'étaye à ce jour la possibilité d'une toxicité aiguë en surdosage de cet inhibiteur de l'acétylcholinestérase.
De même, sur la responsabilité des pesticides et, en particulier, des organophosphorés, l'incertitude demeure sur de « possibles effets, à long terme, des expositions prolongées à faibles doses ».
L'agent neurotoxique sarin, également évoqué comme facteur de manifestations irritatives pulmonaires et de manifestations dysimmunitaires, à la suite d'imprégnation du sable saoudien, n'a été mis en évidence que par une seule équipe et « ne peut aucunement être la seule explication des plaintes présentées » par les anciens combattants. Les nombreuses publications sur les conséquences du stress, par ailleurs, ne permettent pas de conclure réellement quant au rôle spécifique de ce facteur.
Enfin, les vaccinations multiples restent considérées aux Etats-Unis comme en Grande-Bretagne comme « un facteur crédible d'un certain nombre de signes ou de symptômes dont se plaignent les militaires de la guerre du Golfe ».
200 fiches fournies par le ministère de la Défense
Au final, c'est le dépouillement de la littérature scientifique internationale qui aura constitué la seule source d'information pour alimenter les investigations du groupe d'études. Car les 200 fiches d'information que lui a fournies la direction des Statuts, des Pensions et de la Réinsertion sociale du ministère de la Défense, relatives à des demandes de pension d'invalidité consécutives à une participation aux opérations du Golfe se sont révélées « souvent bien pauvres » en informations médicales ; y figurent les caractéristiques du plaignant (âge, décès éventuel), sa situation militaire actuelle, sa situation lors de la guerre du Golfe, les caractéristiques de la demande de pension et les suites données (contentieux ou non et résultat éventuel).
En définitive, n'ont pu être retenues que quelques données : 55 % des affections déclarées sont de nature traumatologique et 23 % de nature neuro-psychologique ; 36 % des demandes déjà instruites ont été rejetées (29 % parmi les affections traumatologiques et 55 % parmi les affections neuro-psychologiques). Treize pour cent ont entraîné un contentieux.
D'où la réponse apportée à la deuxième question posée par les deux ministres, à savoir la nature des études qu'il convient de mener en France. Pour le groupe du Pr Salamon, il « paraît indispensable de mener une étude exhaustive par autoquestionnaire sur l'ensemble des vétérans qui ont participé à la guerre du Golfe, c'est-à-dire près de 25 000 personnes ».
Dans cette perspective, il semble non moins indispensable de « réaliser une analyse de la mortalité des militaires déployés dans le Golfe. Les taux de mortalité pourraient être comparés à ceux de la population générale et éventuellement à ceux d'autres populations militaires déployées dans d'autres régions ou non déployées ».
Dernière préconisation, la surveillance de la santé des anciens combattants, y compris au-delà de leur service actif. Elle devrait donner lieu à la création d'un observatoire qui pallierait la très grande insuffisance française en matière de surveillance épidémiologique.
« Il serait souhaitable que la conception d'un tel observatoire soit confiée à l'INSERM, déclare au « Quotidien » le Dr Annick Alpérovitch, son fonctionnement pouvant ensuite associer des spécialistes civils et militaires, dans des unités mixtes. On disposerait enfin des moyens d'un suivi scientifiquement exploitable. »
* Dr Annick Alperovitch (INSERM U 360), Pr Françoise Conso (hôpital Cochin), Marthe-Aline Jutand (Bordeaux-II), Médecin-chef Jean-Paul Boutin (Service de santé des armées), Dr Yves Coquin (direction générale de la Santé), médecin général Roland Laroche (Inspection générale du Service de santé des armées), Dr Christophe Paquet (Institut de veille sanitaire), Pr Frédéric Rouillon (hôpital Albert-Chenevier de Créteil) et Pr Pierre Weinbreck (CHU Limoges).
** Troubles cognitifs, confusion-ataxie, signes articulaires-musculaires-neurologiques périphériques, phobie-apraxie, fièvre-adénopathie et faiblesse incontinence (enquête de Haley, 1997).
Satisfaction générale
Au ministère de la Défense, le rapport du Pr Salamon a fait naturellement l'objet d'une étude très attentive. Et très appréciée. Il corrobore en effet les appréciations du ministre Alain Richard, qui avait à plusieurs reprises souligné dans le passé que les chiffres de mortalité déplorés chez les anciens combattants de la guerre du Golfe ne différaient pas de ceux observés dans leurs tranches d'âge.
Quant à la mise en place d'un observatoire destiné à assurer le suivi médical de ces anciens combattants, le ministère de la Défense approuve cette proposition, qui pourrait donner lieu à la mise en place de centres mixtes, militaires et civils.
De même, le ministère se montre disposé à mettre en uvre une étude de morbidité et à coopérer à l'étude de mortalité, en l'étendant, propose-t-il, aux anciens combattants des Balkans.
La satisfaction exprimée à l'hôtel de Brienne est partagée par Michèle Rivasi. La députée (apparentée PS), qui est rapporteur de la mission d'information parlementaire sur le sujet, se félicite spécialement de ce que soit retenue sa proposition d'un questionnaire adressé à chacun des 25 000 anciens combattants. « C'est capital, explique-t-elle au « Quotidien », qu'on puisse les retrouver tous et que chacun d'eux, s'il en exprime le souhait, puisse bénéficier d'un examen et d'un suivi médical approprié. »
En revanche, la bouillante élue drômoise regrette que les experts du groupe Salamon n'aient pas pris plus de distance avec la littérature scientifique internationale, suspecte, à ses yeux d'être « sous l'influence » de l'état-major militaire américain « avec le choix de cohortes délibérément mal ciblées ».
Une étude exhaustive par autoquestionnaire
Le groupe d'experts présidé par le Pr Salamon demande que soit menée une étude exhaustive par autoquestionnaire sur les 25 000 anciens combattants français de la guerre du Golfe. Six raisons justifient cette proposition qualifiée d'« indispensable » :
- dresser un bilan objectif des plaintes et des maux ressentis, pour tous les vétérans répondant à un autoquestionnaire ;
- mesurer les troubles objectifs (cliniques et paracliniques) présentés par les anciens combattants qui consulteront ;
- proposer un éventuel suivi dans le temps, si nécessaire ;
- préparer une possible enquête chez certains militaires déployés dans le Golfe en comparant ceux qui présentent des signes ou symptômes et ceux qui n'en présentent pas, à la recherche d'éventuelles différences dans les comportements ou les expositions ;
- rassurer les anciens combattants en mettant en place, pour l'ensemble des personnels déployés dans le Golfe, une offre de soins en consultations hospitalières spécialisées, civiles ou militaires ;
- rassurer la population sur le désir de transparence des autorités.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature