« C'était ma mère, je l'aimais. Je la couvrais totalement » : ainsi parle Caroline, dont la mère a été accusée de tentative de meurtre par empoisonnement sur sa propre fille.
L'affaire commence en septembre 1990 lorsque les médecins du service du Pr Saudubray, à l'hôpital Necker-Enfants malades (Paris), s'aperçoivent que l'exérèse des trois quarts du pancréas qu'ils venaient de pratiquer chez cette petite fille adressée pour des hypoglycémies répétées avec hyperinsulinémie l'avait été par erreur. Le pancréas est normal, aucune tumeur endocrine n'est décelée. Rapidement, la mère est confondue. C'est elle qui provoquait les crises par des injections d'insuline. Le procès aura lieu douze ans plus tard, après le décès de la mère, mais avec le beau-père sur le banc des accusés. Il accompagnait sa femme lors de ses visites à Caroline et lui aurait permis de se procurer les ordonnances. Le Dr Haitham Kazkaz, chirurgien, est condamné pour abus de confiance et acquitté de l'accusation d'empoisonnement.
Ainsi s'achève la première affaire liée au syndrome de Münchhausen par procuration (SMPP) connue en France.
Ce syndrome, décrit pour la première fois en 1977 par sir Roy Meadow, pédiatre britannique, était considéré comme une forme rare de maltraitance.
L'enquête de « Sciences et avenir » (numéro de décembre 2002) démontre le contraire.
Plus d'une centaine de services de pédiatrie ont été contactés dans toute la France, mais aussi des centres de PMI (protection maternelle infantile) et des unités médico-psychologiques.
En effet, l'absence de chiffres nationaux rendait impossible toute évaluation de la réalité du syndrome.
L'enquête non exhaustive a permis de recenser 139 cas avérés de SMPP. Ce chiffre n'inclut pas les suspicions qui, faute de preuves, n'aboutissent à aucun signalement ou à aucune action thérapeutique. Au total, on peut estimer la fréquence des SMPP à un cas avéré par an et par hôpital au cours des trois dernières années. Quelques médecins n'ont pas souhaité répondre, mais la plupart ont accepté de décrire les cas qu'ils ont rencontrés.
Aujourd'hui la pathologie semble mieux reconnue. Des critères, établis à partir de travaux anglo-saxons, aident à mieux la repérer :
- la maladie de l'enfant est alléguée ou fabriquée par l'un des parents ;
- le parent est demandeur d'examens multiples et consulte de nombreux médecins ;
- le parent nie l'origine de la pathologie ;
- l'ensemble des symptômes cessent quand l'enfant est séparé du parent.
De même, plusieurs degrés de gravité ont pu être définis. Le Dr Marie-Jeanne Guedj, psychiatre à l'hôpital Sainte-Anne, les décrit comme suit : « Au premier, il y a fabulation, puis falsification des documents médicaux. Au deuxième, le parent touche, par exemple, aux déjections en ajoutant du sang dans les urines ou les vomissements. Au troisième, il se sert du corps de l'enfant. Et, là, le risque de décès est plus important. » L'issue peut être fatale pour l'enfant dans 10 % des cas. Cependant, un quart des parents se contentent de simples fabulations et un autre quart de créer uniquement la maladie.
Les médecins manipulés
Dans cette pathologie, s'installe un jeu pervers entre une mère (dans 95 % des cas, le parent maltraitant est la mère biologique), à la personnalité pathologique, et le milieu médical, qui devient le bras armé de la maltraitance.
Il n'y a pas de SMPP sans participation des praticiens. Ces mères, souvent manipulatrices, savent jouer des rivalités qui existent dans le milieu médical. Leurs connaissances médicales sont suffisantes pour pouvoir abuser les médecins qui, souvent, ont l'impression d'être devant un cas rare et multiplient les explorations.
Leur nomadisme doit alerter. Pour les repérer, les médecins des Pays de la Loire ont tissé un réseau. En cas de suspicion, l'enfant est fiché aux urgences pédiatriques de Nantes, les médecins exerçant à proximité du lieu d'habitation de l'enfant sont prévenus, de même que les juges et la protection maternelle infantile.
En Ile-de-France, l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris dispose d'un fichier central.
En mars prochain, s'ouvrira à Paris un pôle de référence sur la maltraitance au sein de l'hôpital Trousseau. A l'image de ce qui existe déjà en province, il aura pour vocation principale l'accueil des victimes. Il servira aussi d'interlocuteur privilégié de tous les professionnels en contact avec les enfants. A noter la création en parallèle d'une unité médico-judiciaire (UMJ) pédiatrique pour les mineurs victimes qui, jusqu'à présent, étaient examinés au sein de l'UMJ de l'Hôtel-Dieu, avec les adultes.
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