A l'occasion d'un séjour professionnel en Grande-Bretagne, le Dr Olivier Mouterde, qui exerce la pédiatrie générale au CHU de Rouen (6 000 admissions/an en pédiatrie), a assisté aux consultations d'un centre spécialisé dans « l'encéphalomyélite myalgique » ou syndrome de fatigue chronique (SFC) de l'enfant. Cette pathologie, qui présente de nombreuses analogies avec le SFC de l'adulte, a généré un grand nombre de publications scientifiques chez les Anglo-Saxons et un important engouement médiatique.
Le SFC associe une importante fatigue au moindre effort, plus ou moins accompagnée de symptômes somatiques, à début brutal et d'une durée moyenne de 1 à 2 ans : céphalées, maux de gorge, douleurs musculaires, troubles du sommeil, etc. « Le SFC est à l'origine d'une véritable invalidité de l'enfant qui peut se prolonger plusieurs années, explique dans sa lettre publiée par le « Lancet » le Dr Mouterde. Le jeune patient présente un "syndrome de glissement" avec des complications, comme une fonte musculaire et un isolement social grave du fait de l'alitement et de la déscolarisation. »
Les symptômes apparaissent généralement dans les suites d'une infection virale, mais aucun signe objectif biologique ou électrique (EMG, EEG) n'est retrouvé. Du fait de l'absence d'étiologie spécifique, le traitement fait appel à une réadaptation progressivement croissante, à l'exercice physique et à une reprise séquentielle de l'école.
Aucune définition en France
« Il existe à ce jour trois définitions anglo-saxonnes du SFC de l'enfant, mais aucune en France. Si les causes de fatigue chez l'enfant sont fréquentes, la fatigue chronique durant plusieurs années n'est pas décrite. Qu'il s'agisse d'une méprise ou pas, le SFC de l'enfant en France est loin d'être la première cause d'absentéisme scolaire, comme en Grande-Bretagne, fait encore remarquer le pédiatre rouennais. Cette différence épidémiologique reste à confirmer et à expliquer par la génétique, la microbiologie ou... la culture. »
Une question d'éclairage
Le Pr Antoine Bourrillon, chef de service à l'hôpital Robert-Debré (Paris), pense que si effectivement le SFC n'est pas la première cause d'absentéisme scolaire, cette entité existe et est sans doute sous-évaluée. Une enquête prospective pédiatrique devrait préciser des données épidémiologiques sur le SFC de l'enfant, le diagnostic ne pouvant être retenu qu'en présence des critères anglo-saxons (CDC d'Atlanta) de la pathologie.
« On est encore au stade d'approche de cette affection, mais il en existe probablement plus que ce que l'on imaginait, explique le Pr Bourrillon. Certains aspects du SFC sont caractéristiques : survenue fréquente chez les adolescents (rare avant 12 ans), après un épisode infectieux (CMV, EBV, mycoplasme, toxoplasmose), hormis la grippe, durée d'au moins 5 à 6 mois et évolution favorable à la différence du SFC de l'adulte. Chaque fois que le sujet a été abordé durant une réunion scientifique (Journées Robert-Cohen de pathologie infectieuse pédiatrique, Entretiens de Bichat, EPU, etc.), des pédiatres ont fait part d'un cas "typique" dans leur clientèle. Le SFC de l'enfant sera même le thème de la prochaine conférence de la Société française de pédiatrie (2002). »
Olivier Mouterde, « The Lancet », vol. 357, 17 février 2001.
Des critères très précis
Les critères diagnostiques anglo-saxons du syndrome de fatigue chronique de l'enfant ont été révisés plusieurs fois. La dernière révision remonte à 1988. En voici les principaux items qui individualisent véritablement le SFC de l'enfant :
- maladie « nouvelle », d'une durée d'au moins 6 mois ;
- pas de résolution en décubitus ;
- réduction de 50 % des activités de la vie quotidienne ;
- présence de signes cliniques pouvant suggérer une pathologie infectieuse (asthénie, adénopathies, myalgies, etc.) ;
- absence de pathologie psychiatrique majeure.
Un diagnostic différentiel de la dépression de l'enfant
« Les enfants présentant un syndrome de fatigue chronique ne sont généralement pas orientés vers les pédopsychiatres, explique Diane Purper, pédopsychiatre à l'hôpital Robert-Debré (Paris). Les points d'appel somatiques les font plutôt prendre en charge par les pédiatres. Je n'ai pas encore vu de SFC de l'enfant tel qu'il est décrit par les Anglo-Saxons, mais cela s'explique peut-être par une prévalence trop faible. Il existe des états de fatigue chronique qui accompagnent les dépressions chez l'enfant, mais la fatigue n'est alors jamais au premier plan, ce n'est qu'un signe parmi d'autres. Il est également fréquent que les enfants soient fatigués par "surstimulation" du fait d'une multitude d'activités extrascolaires. »
Une anomalie métabolique de l'interféron
Le fait que le syndrome de fatigue chronique apparaisse le plus souvent dans les suites d'un épisode infectieux a fait rechercher un mécanisme déclenchant en rapport avec l'interféron (IFN). « La production d'IFN est l'une des premières réactions de l'organisme face à une infection virale, explique Bernard Lebleu, chercheur dans une unité CNRS spécialisée dans l'étude de l'IFN (Montpellier). On s'est donc orienté vers un dysfonctionnement des réponses à l'IFN. »
L'idée était bonne. Dans une étude menée en collaboration avec des chercheurs belges sur une soixantaine de fatigués chroniques, une anomalie métabolique de l'une des voies d'activation de l'IFN a été retrouvée chez une majorité de malades. « Il s'agit d'une forme anormale d'une nucléase impliquée dans l'activité antivirale de l'IFN, explique le biologiste. Cette enzyme, plus courte, est une forme de dégradation par une protéase de la nucléase normale. Mais on ne connaît pas encore le degré d'activité de cette nucléase tronquée, ni la protéase responsable de la dégradation. Mais attention, ce marqueur biochimique ne permettra sans doute pas un test diagnostique infaillible. Il permettra au mieux d'améliorer la connaissance de la physiopathologie de la maladie, d'identifier des sous-groupes de patients, voire de suivre leur évolution. »
Des travaux américains récents ont décrit des résultats comparables.
Parmi les nombreuses hypothèses, qui n'ont jamais pu être confirmées sur le syndrome de fatigue chronique, on peut citer l'augmentation des lymphocytes T suppresseurs, la baisse des lymphocytes NK (Natural Killer), la baisse d'une sous-population de CD4, l'augmentation de l'IFN-alpha et du TNF-alpha. Il est vrai qu'il existe des analogies avec les modifications immunitaires observées chez les personnes allergiques ou dépressives, comme la baisse de l'interleukine 2 (IL2). On peut aussi se demander si les modifications des interactions entre le système immunitaire et le système neuro-endocrinien sont la cause ou la conséquence d'un état psychologique particulier, également fréquemment retrouvé.
Intolérance musculaire à l'effort
Le Pr Patrick Cozzone travaille depuis 1986 sur la fatigue musculaire au centre de résonance magnétique biologique et médicale (CRMBM) de Marseille. Ses recherches consistent à mettre en évidence des anomalies du fonctionnement musculaire présentes chez des personnes souffrant de fatigue au moindre effort ou d'intolérance à l'effort, des tableaux qui se distinguent de celui de SFC, car ils sont plus spécifiques.
« La spectrométrie par résonance magnétique que nous avons développée est un moyen objectif de diagnostiquer un trouble organique responsable de l'intolérance à l'effort. Cet examen, totalement non invasif, donne des renseignements sur le métabolisme cellulaire (oxydations, activités enzymatiques...) qui peut, par exemple, être altéré chez le diabétique ou l'insuffisant cardiaque qui se plaint d'une fatigue au moindre effort. Jusqu'à présent, nous n'avons jamais exploré d'enfantsur les 4 500 examens effectués à Marseille », reconnaît le Pr Cozzone .
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