SI LAURENCE FERRARI n'allait remplacer PPDA à TF1, notre confrère « Libération », qui a consacré lundi dernier un dossier à Rachida Dati, aurait sûrement fait sa première page sur la ministre. On y verra la « pipolisation » croissante d'une actualité où les personnages qui l'animent semblent avoir plus d'importance que le contenu, il est vrai souvent aride, des dossiers.
Mme Dati souffre de ce qu'elle est : une jeune femme jolie et élégante, beurette de surcroît, dotée de pouvoirs considérables et qui trouve sa place dans les publications les plus sérieuses comme dans les magazines. Sa nomination fit l'effet d'un coup de tonnerre. Non sans créer des jalousies qui, au fil du temps et des difficultés de l'action gouvernementale, ont fini par s'épanouir. On l'a louée en termes dithyrambiques ; on ne se cache plus de la détester. On la croyait au plus près d'un président de qui elle tire tout son pouvoir, on croit noter qu'il prend ses distances avec elle. Le charme, la modernité, la singularité s'emparaient, en une fulgurance, de la Justice ; maintenant on la soupçonne d'incompétence.
Une régression des moeurs.
La paille qui a brisé le dos du chameau, c'est ce jugement qui a annulé le mariage de deux jeunes musulmans sous le prétexte que le mari, déçu de ce que son épouse ne fût pas vierge le soir de la nuit de noces, s'estimait trompé au sujet des « qualités essentielles » qu'il croyait pouvoir lui attribuer. On a vu dans ce jugement, prononcé conformément au droit français, une régression inacceptable de nos moeurs républicaines.
Interrogée, Rachida Dati a déclaré que le jugement protégeait la femme ; elle le fit dans un souffle, sans trop expliciter son commentaire et sans cacher son embarras. Quelques jours plus tard, sous la pression de l'opinion et sans doute pour obéir à un ordre venu de plus haut qu'elle, elle a demandé au Parquet de faire appel.
On lui a donc reproché non seulement de n'avoir pas dénoncé le jugement en premier lieu, mais de s'être désavouée dans la foulée. Et on a décidé du même coup qu'à son étrange insensibilité pour les femmes musulmanes elle ajoutait la contradiction de ses décisions.
Voilà donc une affaire qui, à elle seule, suffirait à couler un ministre, fût-il en vogue et assuré du soutien du chef de l'État. Mais on est allé un peu vite en besogne. Nous oserons écrire ici que la première réaction de Rachida Dati fut la bonne, même si elle n'a pas su l'exprimer dans des termes adéquats. La jeune mariée souhaitait, comme son époux, l'annulation du mariage, elle ne pouvait donc pas en être la victime. Elle est, nous dit-on, extrêmement alarmée par un appel qui risque de confirmer des liens avec un mari dont elle ne veut plus. Elle court le risque, en outre, d'être identifiée, ce qui, dans une affaire où l'on parle de virginité, est embarrassant en soi et doit être intolérable dans son milieu.
Mme Dati a été contrainte de virer de bord parce que, dans ce pays où la politique est de plus en plus affaire d'émotion et non de jugement, l'indignation populaire a pris le dessus. C'est devenu une maladie sociale : tout ce qui nous scandalise fait aussitôt l'objet d'un projet de loi dans un Parlement qui ne cesse d'en produire. Nous croulons sous les nouveaux textes, sans avoir forcément aboli les anciens ; et si le droit français renonce à la notion de « qualités essentielles », il faudra trouver un moyen juridique pour annuler certains mariages.
RIEN NE SERA ACCOMPLI EN FRANCE SI LES DETRACTEURS DE LA REFORME NE SONT PAS BOUSCULES
Deux éléments distincts.
Certes, il existe toujours le bon vieux divorce, dont la procédure est d'ailleurs simplifiée ; et pourquoi ne pas y recourir ? En l'occurrence, ce n'est pas celle que les époux ont choisie. Car il y a, en définitive, deux éléments fort distincts dans cette affaire : le cas particulier, qui pose de façon aiguë le droit d'avoir une vie privée à l'abri du regard médiatique ; et le cas général qui pose celui d'une éventuelle réforme.
Quoi qu'il en soit, et pour en revenir à elle, Mme Dati n'a pas eu un mauvais réflexe ; elle a beaucoup mieux compris que n'importe lequel de ses détracteurs les affres d'une jeune musulmane obligée de jurer qu'elle est vierge avant son mariage et non moins obligée ensuite de reconnaître qu'elle a menti ; et qui, appartenant elle-même à la société française contemporaine, n'avait plus qu'une hâte : se débarrasser à la fois d'un époux à la mentalité moyenâgeuse et d'un mariage arrangé. Après quoi, la ministre a été battue par forfait : le charivari a été tel qu'il lui a imposé l'analyse erronée des grands émotifs qui gouvernent l'espace des médias.
Bien entendu, cela ne signifie nullement que les Français doivent se ranger à l'avis que la virginité est une qualité essentielle de l'épouse. C'est pourquoi il appartient à la ministre de la Justice d'ouvrir un débat sur un éventuel changement du code civil. En revanche, l'appel ne rend service à personne.
Les journaux font le bilan de la garde des Sceaux, un an après sa nomination au gouvernement. Ils lui reprochent ses toilettes de couturiers, ses chaussures, sa prédilection pour le glamour, et beaucoup de choses encore. Il nous semble que, sans pardonner mais sans condamner ces dérives, nous devrions comprendre que la jeune femme venue de très loin et parvenue, à la force du poignet, dans son bureau de la place Vendôme, n'a pu résister à l'appel du luxe et de la haute société, d'autant que le président lui-même lui a donné l'exemple. Le président dont elle se réclame au point d'envisager de quitter elle-même la politique quand il aura terminé son ou ses mandats. Le président qui est son modèle.
Bulldozer.
Elle l'a beaucoup imité quand elle a lancé tambour battant et sans la moindre inhibition sa réforme de la carte judiciaire où elle est passée comme un bulldozer sur les corps et les coeurs des magistrats et des avocats ; elle l'a imité en adoptant en toute occasion un point de vue péremptoire qu'elle n'aurait altéré qu'au prix d'une réforme moins profonde ou plus lente ; elle l'a imité quand elle a laissé partir ceux, et ils sont nombreux, qu'elle a profondément mécontentés.
Est-elle une bonne ministre ? Est-elle compétente en matière de réforme des institutions ? N'a-t-elle pas été trop proche de Cécilia et n'a-t-elle pas été contrainte, par le divorce et le remariage du président, à un changement éclair de loyauté ? Mettons-nous un instant à sa place pour constater que ce n'est pas facile. Et, surtout, admettons que rien ne sera accompli en France si les partisans de la réforme ne bousculent pas sans ménagements ceux qui s'y opposent au nom de mille raisons qui, cumulées, n'en font pas une bonne.
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