Le procès de Christine Malèvre n'est pas, comme le dit son avocat lui-même, celui de l'euthanasie. Nul, et surtout pas ceux qui défendent le « droit à mourir dans la dignité », ne saurait accepter que la mise à mort des malades en fin de vie conduise à une forme d'abattage ou même de massacre.
Un autre procès, traité beaucoup plus discrètement par la presse, pose le problème. Elie Bendayan, 70 ans, ancien policier, aimait sa femme, comme tous les bons maris. Elle est atteinte d'Alzheimer. Pendant quatre ans, il lui prodigue tous les soins possibles, lui apporte soutien et amour. Puis, n'y tenant plus, déchiré par la souffrance de son épouse, il l'emmène se promener et l'abat de plusieurs coups de revolver.
Un jury indulgent
En cour d'assises, l'avocat général, tout en se déclarant « embarrassé » par cette affaire, déclare que, aussi profonde que fut la douleur de M. Bendayan, personne n'a le droit de mettre fin aux jours d'autrui, même au nom de l'amour. Et réclame trois ans de prison ferme.
Le jury ne l'a pas suivi dans ses conclusions, qui s'est contenté d'une peine de deux ans avec sursis.
Au cours du procès, M. Bendayan a fait valoir que, loin d'avoir commis un crime, il avait accompli un acte d'amour. Cette thèse a été approuvée par sa famille et ses amis ; l'histoire de sa vie témoigne de sa rectitude. Et bien que la méthode à laquelle il a eu recours fût particulièrement violente (s'il s'est acharné, dit-il, c'est pour ne pas courir le risque de laisser sa femme en vie), les jurés ont cru à sa sincérité.
L'idée généralement admise en France est que les médecins sont tout désignés pour résoudre le problème : eux seuls, effectivement, savent si un malade a une chance de guérir, eux seuls peuvent dire si la demande d'euthanasie ne cache pas un désir d'accompagnement renforcé, eux seuls savent si les soins palliatifs ne sont pas préférables. Dans ce cas, à quoi bon légiférer, d'autant qu'une loi ne peut prévoir les multiples cas spécifiques et qu'elle risque de se traduire par des assassinats sous couvert d'euthanasie ?
Mais les médecins rappellent aussi que leur vocation est de soigner, de guérir si c'est possible et, quoi qu'il en soit, de protéger la vie en toute circonstance.
Se pose alors la question de la liberté personnelle du patient. Beaucoup de malades préfèrent la souffrance à la mort, qu'ils craignent encore plus ; d'autres, en revanche, placent un peu bas le seuil de l'euthanasie : une femme coquette qui ne veut pas vieillir, un homme de pouvoir qui ne supporte pas d'être physiquement diminué, ou même un douillet que le moindre élancement conduirait au suicide.
Le choix de la mort dépend donc d'une infinité de niveaux culturels et de caractères. C'est l'incertitude du choix individuel qui a empêché de légiférer ; c'est, aussi, beaucoup demander au médecin : doit-il être non seulement un thérapeute mais un fin psychologue qui doit tout comprendre de son patient, de sa maturité, de sa détermination réelle, de son courage ? Et d'ailleurs quel courage ? Celui de vivre ou celui de mourir ?
Toutes ces excellentes raisons ont un revers de la médaille : la dépendance du patient, dont la liberté est supprimée au nom de ce que les autres croient savoir de lui. On n'en finit pas d'entendre et de lire des gens, dont l'expertise est par ailleurs remarquable, qui expliquent pourquoi la demande d'euthanasie n'est pas sincère ou pourquoi, au nom de leurs propres convictions, religieuses ou éthiques, ils ne satisfont pas cette demande. Mais ce ne sont pas eux qui souffrent. Et ils ne sont pas censés substituer leur analyse à celle du grabataire.
Or, dans le débat qui oppose les partisans et les opposants de l'euthanasie, seule doit compter la volonté du patient en fin de vie. La question ne porte pas sur ce que croit le médecin, mais sur ce que croit le patient. Et s'il n'y a rien à attendre de l'exemple offert par l'infirmière Malèvre, sinon, peut-être, un renforcement du statu quo en la matière, la sentence du jury de M. Bendayan a quelque chose de révolutionnaire. Les jurés ont admis la notion de crime d'amour. Ils ont admis que Mme Bendayan ne guérirait jamais. Ils ont admis qu'il y a des morts, même violentes, qui représentent un immense soulagement.
En d'autres termes, ce que le législateur n'a pas fait, la justice l'a fait, au moins une fois. Un peu comme aux Etats-Unis où ce sont les Cours suprêmes, bien plus souvent que le Congrès, qui ont pris acte de l'évolution des mœurs.
On trouvera certes beaucoup de juristes ou de politiques pour nous dire qu'il est préférable que la société change sous le contrôle de la loi plutôt qu'à coup de décisions judiciaires. Mais alors, le Parlement ne peut pas rester dans un flou qui n'est confortable que pour les gens en bonne santé.
Notre essence
Sinon, d'autres condamnations avec sursis, ou même des acquittements, seront prononcées, et parfois pour des crimes maquillés en « actes d'amour ».
Il nous semble que la meilleure façon d'aborder cet immense problème doit s'inspirer de notre essence, c'est-à-dire de la Constitution qui affirme nos libertés. Un adulte sain d'esprit (donc a priori pas un alzheimérien) devrait avoir le droit de quitter ce monde au jour et à l'heure qu'il choisit. De même qu'on n'interdit pas aux analphabètes de voter, de même on n'a pas le droit d'interdire le suicide à un être en fin de vie sous le prétexte « qu'il ne sait rien » de la médecine, de ses progrès ou de ses espoirs. Ou sous le prétexte que la souffrance est plus désirable que la mort, tant elle est inscrite dans la conscience chrétienne. Que l'on commence au moins à permettre aux gens sains de corps et d'esprit de rédiger des testaments où ils réfuteraient tout acharnement thérapeutique en cas de démence ou de cancer terminal. Que l'on reconnaisse une liberté humaine qui devrait figurer en tête de liste. Que l'on cesse de pleurer sur les violations des droits de l'homme quand celui de mourir est interdit.
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