On ne peut que féliciter les éditions Tallandier d'avoir réédité le journal des campagnes du baron Percy*. Il fournit un témoignage unique sur les conditions d'existence des soldats de l'Empire, les souffrances des blessés et la misère des habitants des pays occupés. Il montre aussi du doigt le rôle néfaste de l'administration.
Le baron Pierre-François Percy suit le chemin d'un Bonaparte conquérant dès 1799 (campagne d'Helvétie) et jusqu'à la campagne d'Espagne en 1809. Il raconte Eylau, Friedland, Dantzig, la campagne d'Espagne. Il en dépeint les atrocités et fait partager les efforts qu'il soutint sans relâche au service des innombrables blessés laissés sur les champs de bataille.
Un pionnier de la chirurgie conservatrice
Car s'il fut avec Larrey et Desgenettes l'un des créateurs de la chirurgie militaire, Percy se distingue par son souci de faire avant l'heure de la chirurgie conservatrice, avec des moyens extrêmement limités. L'objectif de ce chirurgien dévoué et opiniâtre est d'éviter autant que possible l'amputation pour sauver les fonctions corporelles des blessés. Le nom de « père de la chirurgie de guerre » lui restera.
Dans des conditions que la cruauté des batailles tout autant que les freins de l'administration rendent particulièrement difficiles, il est animé par un souci constant de perfectionner les instruments et les techniques chirurgicales.
On utilise encore certains instruments, comme le « rétracteur » qui porte son nom et n'a subi depuis que des modifications de détail.
Un service de soins immédiats
Pierre-François Percy est le premier à organiser un service de soins immédiats sur les champs de bataille. D'abord en mettant au point des charrettes nommées les « würst » (ce qui signifie saucisse en allemand) : « Cette espèce de voiture leste, légère, sur laquelle dix individus se tiennent à califourchon sans être gênés ; avec des avantages singuliers qu'on devait en retirer pour la sûreté, la promptitude, l'amélioration du service. » Ces machines sont destinées à amener rapidement les chirurgiens sur les champs de bataille, pour autant qu'elles soient tractées par des chevaux, ce que l'administration de guerre commencera par lui refuser.
Dès 1800, Percy propose un projet de « convention de neutralisation des blessés ». « J'ai l'honneur de vous proposer de regarder comme inviolables les hôpitaux et de ne retenir jamais prisonniers de guerre les blessés qui y seront trouvés », écrit Percy au général de Kray lors de la campagne d'Allemagne. Et il faudra attendre le Second Empire pour donner le jour à la première convention de Genève.
Les premiers brancardiers
Il propose aussi une organisation cohérente et efficace du service de santé avec soldats d'ambulance et brancardiers. Une première mais éphémère « compagnie d'infirmiers » voit le jour en Espagne en 1808. Percy l'a équipée entièrement à ses frais et bien qu'elle se révèle très utile, elle doit être dissoute, car l'administration refuse d'en supporter la charge.
Tout de même, en 1813, à Brunzlau, une première unité organisée de brancardiers voit le jour. C'est grâce à Percy que, pour la première fois dans l'armée, une unité de brancardiers formés de soldats instruits pour la relève des blessés est mise sur pied.
Pour parvenir à ses fins humanitaires, Percy doit ferrailler sans relâche avec l'administration. Finalement, il n'obtient pas les crédits nécessaires à une réelle amélioration du service de santé des armées.
La bataille d'Eylau fut, on le sait, particulièrement meurtrière (voir encadré). De retour du champ de bataille, Percy exprime son horreur : « J'ai trouvé le service chirurgical de nos hangars en pleine activité, mais quel service ! Des jambes, des cuisses et bras coupés, jetés avec les corps morts devant la porte ; des chirurgiens couverts de sang ; des infortunés ayant à peine de la paille pour eux et grelottant de froid ! Pas un verre d'eau à leur donner ; rien pour les couvrir (...) J'ai fait apporter un peu de paille déjà brisée pour couvrir ces pauvres gens. »
De graves maladies, peu de traitements
Les maladies les plus graves sévissent dans les camps. On y rencontre « la fièvre putride, la dysenterie, les fièvres pernicieuses, la gale, la gangrène et le tétanos ». Les traitements sont précaires et illusoires. Ainsi,
contre une épidémie de fièvre catarrhale et de péripneumonie catarrho-bilieuse à Dantzig, il propose ses traitements : « La saignée, l'émétique d'abord, les boissons incisives et légèrement diaphorétiques, le loochs avec l'oxymel et l'oxyde rouge d'antimoine et surtout les lavages vésicatoires sur les points de côté, ont terminé presque toujours heureusement la maladie entre les mains des Français. » Un verre de vin de Bordeaux pur additionné d'une forte proportion de sucre et avalé d'une traite pouvait être essayé pour provoquer une fièvre sudorale chez un blessé, avec un effet résolutoire... ou fatal.
Pour prévenir une escarre gangreneuse : « J'ai insisté sur l'usage du kina en décoction et ai prescrit un cataplasme de farine résolutive dans la même décoction, lequel sera saupoudré de camphre et de kina en poudre ; on fera filer deux grains d'émétique demain et un les jours suivants. »
Percy est le premier à essayer les dérivés du chlore « contre la pourriture à l'hôpital ».
Il adresse à l'empereur une abondante correspondance, espérant obtenir les moyens d'organiser la chirurgie militaire. Même s'il ne lui donne pas satisfaction, l'empereur ne cache pas son admiration pour le dévouement et le sens de l'organisation du chirurgien des armées. Il le nomme baron de l'Empire après Wagram et commandeur de la légion d'honneur. A la fin de sa vie à Sainte-Hélène, il songe à le faire venir pour recevoir ses soins.
Percy a donné son nom à l'hôpital militaire de Clamart et il partage avec Desgenettes et Larrey l'honneur d'avoir son nom inscrit sur l'arc de triomphe de l'Etoile.
* « Journal des campagnes », par le baron Percy, éditions Tallandier, Bibliothèque napoléonienne (538 pages, 25 euros).
L'horreur à Eylau
« Le canon se faisait entendre d'une manière effroyable, les bombes et les obus éclataient de tous côtés ; la mousquerie ne cessait point. » Percy décrit ensuite le spectacle désolé qui s'offre à ses yeux. « Après avoir fait trois quarts de lieue au plus, nous avons trouvé le champ de bataille de l'avant-veille. Oh, effet de la fureur de détruire ! Jamais tant de cadavres n'avaient couvert un si petit espace. La neige était partout teinte de sang ; celle qui était tombée et celle qui tombait encore commençait à dérober les corps aux regards affligés des passants. Les cadavres étaient amoncelés partout où il y avait quelques bouquets de sapins, derrière lesquels les Russes avaient combattu. Des milliers de fusils, de bonnets, de cuirasses étaient répandus sur la route et dans les champs. Au déclin d'une montagne, dont l'ennemi avait sans doute choisi le revers pour mieux se défendre, il y avait des groupes de cent corps ensanglantés ; des chevaux estropiés mais vivants attendaient que la faim vint les faire tomber à leur tour sur ces monceaux de morts. Nous avions à peine traversé un champ de bataille que nous en rencontrions un autre, et tous étaient jonchés de cadavres, parmi lesquels il y avait aussi des Français. »
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature