LA NATURE DU VOTE est de la plus haute importance, et pourtant, elle n'est pas inscrite dans la Constitution. Or l'essence même de la Ve République, c'est le régime présidentiel, qui doit être invulnérable à l'exercice du pouvoir législatif par l'Assemblée nationale. Qui ne se souvient du mépris avec lequel de Gaulle et les gaullistes dénonçaient jadis le « régime des partis », source de l'instabilité gouvernementale, des combinazioni opportunistes, et même de la corruption ?
On ne peut donc pas aborder la question du mode de scrutin sans évaluer les conséquences des modifications qu'on souhaite lui apporter.
Disons-le tout net : la proportionnelle, quelles que soient ses nombreuses variétés, est intrinsèquement opposée à l'esprit même de la Ve République, dont le fonctionnement, tel qu'il est voulu par les rédacteurs de la Constitution, est infiniment mieux assuré par le scrutin uninominal majoritaire à deux tours.
Ce n'est ni une aberration ni un crime de lèse-République que d'envisager un retour partiel ou complet à la proportionnelle : elle existe, il est vrai sous des formes diverses, dans de nombreux pays dont les peuples ne se plaignent pas. Elle a d'ailleurs été réintroduite dans le mode de scrutin par François Mitterrand lors de son premier mandat et adoptée en avril 1985, ce qui a provoqué la démission de Michel Rocard, alors ministre dans le gouvernement de Laurent Fabius.
Le premier gouvernement de cohabitation.
En 1986, la droite obtient plus de 43 % des voix aux élections législatives, mais, en dépit de ce score, elle ne dispose que d'une majorité parlementaire à peine supérieure à 50 %. C'est ainsi qu'est né le premier gouvernement de cohabitation présidé par Jacques Chirac en 1986. Mais, entre-temps, la proportionnelle avait réussi à envoyer à l'Assemblée 35 députés du Front national.
LA PROPORTIONNELLE EST SOUHAITABLE POUR DE TRES BONNES RAISONS, MAIS A EVITER AU NOM DE LA STABILITE POLITIQUE
C'est la majorité chiraquienne au Parlement qui, par la suite, a voté le retour au scrutin majoritaire.
L'élection proportionnelle est la plus juste, la plus démocratique, la plus conforme au principe un homme, une voix. Elle permet une représentation populaire au plus près des souhaits exprimés par l'électorat. Elle évite assurément la concentration des pouvoirs de la majorité, que la minorité est si prompte à dénoncer.
La gauche, ces dernières semaines, n'a cessé de vilipender Nicolas Sarkozy pour l'accumulation de puissance que dénote sa victoire à la présidentielle et la majorité hors normes qu'il s'apprête à avoir au lendemain du 17 juin.
Cependant la gauche a elle aussi profité des effets grossissants du scrutin majoritaire, notamment en 1981, quand elle a conquis l'Elysée pour la première fois. A l'époque, Jacques Chaban-Delmas avait couru auprès de Mitterrand, qui était son ami, pour le supplier de ne pas procéder à la dissolution de l'Assemblée. Le nouveau président décida néanmoins des élections anticipées qui lui assurèrent une emprise très ferme sur tous les instruments du pouvoir.
Un danger.
Les défauts de la proportionnelle sont donc aussi connus que ses qualités. Dans l'excès de démocratisation qu'elle induit, elle fragmente la représentation nationale en un trop grand nombre de partis ; elle complique donc sérieusement la constitution du gouvernement ; elle ouvre des périodes longues de discussions entre les partis au lieu d'autoriser la formation rapide d'une équipe gouvernementale. Si on se réfère à l'exemple de 1986, on constate que la proportionnelle n'a pas empêché la droite de gagner et d'avoir la majorité absolue ; l'arrivée des députés FN à l'Assemblée n'a pas non plus contraint le pouvoir à adopter d'éventuelles décisions antidémocratiques. Tout est question de « dosage » : 10 % de proportionnelle ne conduiraient pas à une catastrophe institutionnelle. Il demeure que la proportionnelle favorise les petits partis, lesquels, une fois qu'ils légiféreront, exigeront fatalement que la « dose » augmente, parce que ce mode de scrutin leur est favorable. En conséquence, même un faible dosage ouvrira la boîte de Pandore.
C'est si vrai que François Bayrou, qui rêve de puissance pour son parti, le Modem, exige que le pourcentage de scrutin proportionnel atteigne 50 %. Ce n'est que justice, dit-il. Il a raison dans l'absolu. Mais toutes les bonnes raisons du monde n'empêchent pas la proportionnelle d'être le meilleur vecteur pour le désordre, les querelles de partis, les rôles-charnières, l'influence démesurée des micromouvements. Franchement non, merci.
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