Chronique électorale
Dans les sondages d'opinion, Jean-Pierre Chevènement atteint 14 %. Mieux : les sondeurs reconnaissent qu'ils « pondèrent » les scores de l'ancien président du Mouvement des citoyens, sans doute parce qu'ils ont du mal à y croire.
Les premiers sondages publiés par « le Quotidien du Médecin » indiquent que la popularité de M. Chevènement est deux fois plus élevée dans le corps médical que dans le reste de la population. Certes, l'annonce de la candidature de Jacques Chirac, puis celle de Lionel Jospin, attendue dans quelques jours, à la fin des travaux du Parlement, pourraient montrer que le succès de M. Chevènement n'était que passager. On verra bien.
Une touche de fraîcheur
Pour le moment, sa stature de « troisième homme » est indiscutable. Les analyses ne manquent pas qui expliquent le phénomène. Et si on veut en faire une synthèse, on peut dire qu'il propose une option qui évite le vote de résignation. Tous ceux qui se prononcent en sa faveur souhaitent apporter leur voix à une action politique plutôt que d'élire un autre candidat parce qu'il serait le moins mauvais. Cet atout de M. Chevènement est énorme : à lui seul, il réhabilite le système mis à mal par les scandales, par le carriérisme, par une lassitude croissante de l'électorat à l'égard de mandataires qu'il ne respecte plus. On peut lui reprocher ce qu'on veut, on ne saurait lui dénier cette touche de fraîcheur qu'il apporte à la campagne.
M. Chevènement dispose d'un autre atout de poids. Il brise le bipolarisme droite-gauche et ridiculise ces idéologies qui nous ont fait tant de mal. On le raille parce que, venu d'une gauche particulièrement ferme dans ses convictions, il chasse aussi à droite ; on voit dans ses idées un mélange des genres : un soupçon de gauchisme, un grain de souverainisme, une appropriation du républicanisme, et le tour est joué. Il se réclame lui-même de Jaurès, de Mendès France et de De Gaulle. Superbe trilogie où l'on remarque l'absence de Karl Marx. On se moque aussi de sa culture presque étouffante qui le conduit à lancer, avec un langage quelque peu compliqué, des messages auxquels le peuple ne comprend rien. On le désigne comme un homme du passé.
Campagne électorale oblige. En France, la référence historique a de l'importance. Jaurès était un socialiste qui pressentait le danger du totalitarisme ; Mendès-France voulait réinventer la politique ; de Gaulle, c'est le refus du déclin. M. Chevènement ne prétend même pas se hisser au niveau de ces trois exemples, il souhaite seulement s'en inspirer et comment ne pas admettre que ses trois maîtres à penser sont plus rassurants que Léon Trotski ?
En revanche, le passé personnel de Jean-Pierre Chevènement jette un doute sur ce qu'il accomplirait en tant que président. Qu'il ait démissionner chaque fois que la politique du gouvernement auquel il appartenait heurtait ses propres idées ne peut que l'honorer. Ce qui compte vraiment, pour lui et pour nous, ce sont précisément ses idées.
Quand, au lendemain d'élections municipales perdues par la gauche, en 1983, alors que les dépenses du gouvernement Mauroy avaient vidé les coffres du pays, M. Chevènement a suggéré à François Mitterrand une sortie du franc du serpent monétaire et un projet économique de type autarcique préférable, selon lui, à une dévaluation du franc, que se serait-il passé si le chef de l'Etat l'avait écouté ? Transposons la même proposition à l'année 2002 ou 2003 : le ralentissement de la croissance accroît les déficits dans des proportions incompatibles avec les exigences du traité de Maastricht : faut-il abandonner l'euro ?
Sans doute le candidat Chevènement répondrait-il aujourd'hui par la négative si on lui posait cette question (que personne ne lui a encore posée) : il s'abriterait derrière le fait accompli et proposerait des aménagements au fonctionnement de la monnaie unique. Il n'empêche qu'il aspirerait de toutes ses forces à un contrôle par la France de sa monnaie et de ses réserves, qu'il bouderait la Banque centrale européenne, et que la France deviendrait rapidement un pays à part au sein d'une Europe par ailleurs affaiblie par les difficultés grandissantes de l'Allemagne.
Une contradiction
M. Chevènement, dont l'Europe n'est pas vraiment la tasse de thé, souhaite néanmoins créer un contrepoids à la puissance hégémonique des Etats-Unis. Il faudrait qu'il nous explique comment la France, à elle seule, peut faire le travail. Notre marche, décidément bien lente, vers la création d'une contrepuissance de 400 millions d'Européens, dotés d'une monnaie unique, d'une armée commune ou intégrée, d'un pouvoir politique capable de prendre des décisions à l'échelle mondiale, sera arrêtée. A ce jour, le « troisième homme » n'a pas résolu cette contradiction entre l'exaltation nationaliste d'une France capable d'assumer un leadership et des moyens économiques et politiques qui seraient confinés à l'Hexagone.
Son antiaméricanisme, dans ces conditions, risque bien de rester limité au discours. Mais alors, où serait le changement ? Ce qui agace les Américains, c'est moins la détestation qu'ils inspirent de nombreux cercles européens, mais qu'elle ne soit assortie d'aucun programme susceptible de prendre le relais des responsabilités américaines. Pour le moment, M. Chevènement ne nous propose pas autre chose que d'observer un comportement qui n'est pas nouveau et qui consiste à tancer l'Amérique chaque fois qu'elle intervient à l'étranger, par exemple contre l'Irak, et à la dénoncer chaque fois qu'elle n'intervient pas, par exemple au Proche-Orient.
Si M. Chevènement avait été président au cours de la dernière décennie du XXe siècle, le Koweït serait une province irakienne et la France paierait son pétrole deux ou trois fois plus cher ; le Kosovo serait une terre brûlée où on ne trouverait plus de Kosovars ; nous vivrions en autarcie ; il n'y aurait qu'une différence de degré entre notre antiaméricanisme et celui des intégristes musulmans ; l'euro n'existerait pas et les grands marchés extérieurs de la France seraient situés en Afrique et dans le monde arabe, dans lequel nous compterions, parmi nos meilleurs amis, au moins deux dictateurs, Saddam Hussein et Bachar el Assad.
Le seul moyen
Bien entendu, un Chevènement président en 2002 serait bien obligé de prendre le train en marche, avec euro et BCE, et se contenterait de bloquer la construction européenne. Sans doute ferait-il la part des choses et ne cultiverait-il pas ses liens avec Saddam Hussein, comme à l'époque où il n'était que ministre. Mais là n'est pas la question. Ce qu'il faut simplement comprendre, c'est qu'il donnerait à la France une personnalité telle qu'elle se situerait en dehors des consensus internationaux qui comptent : un obstacle pour l'Europe, un soutien à des régimes autoritaires, une préoccupation telle pour les Etats-Unis qu'il n'est pas excessif de dire que la sécurité de la France serait mise en danger par le déséquilibre que sa politique extérieure introduirait dans le camp occidental.
Alors qu'il est infiniment plus simple de rétablir un équilibre entre les influences respectives du Nouveau Monde et du Vieux Continent par l'achèvement de la constuction européenne. Par nationalisme, M. Chevènement s'interdit le seul moyen crédible de combattre la toute-puissance américaine. Et le seul, en outre, qui ne nécessite aucune confrontation avec l'Amérique.
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