La lutte contre le risque de pandémie

Sur le front de la grippe aviaire

Publié le 07/06/2006
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En France

(Pr Dominique Peyramond, responsable à l’hôpital de la Croix-Rousse à Lyon de l’accueil des cas suspects survenus dans la région des Dombes au début 2006).

En France, la situation épidémiologique sur le front de la grippe aviaire s’est modifiée depuis le début de l’année 2006. Plusieurs foyers de contamination aviaire ont en effet été recensés dans la région des Dombes (Ain) et en Camargue, chez des oiseaux sauvages, ainsi que dans des élevages. Au moment de la découverte de cas animaux dans les Dombes, les hôpitaux de Lyon ont été désignés comme référents pour les cas humains susceptibles d’être découverts dans la région atteinte. «Bien que nous ayons eu quelques inquiétudes, aucun cas n’a réellement été recensé. Une dizaine de cas suspects ont été notifiés et pris en charge à Lyon, à l’hôpital de la Croix-Rousse ou à l’hôpital de Bourg-en-Bresse. Les procédures ont été appliquées telles qu’elle étaient prévues par le plan Grippe aviaire et cette première expérience de mise en place sur le terrain a confirmé la faisabilité de mesures prévues (centres 15, hôpitaux) . L’une des seules limites d’application tient au manque de médecins préleveurs (médecins du Grog) à même de se déplacer dans toutes les zones géographiques d’un département aussi vaste que l’Ain. Les patients ont donc été adressés, à l’aide des centres 15, aux hôpitaux de référence afin de réaliser les prélèvements virologiques nécessaires», continue le Pr Peyramond.

Les patients qui avaient été signalés par les centres 15 ont été admis directement dans un service de maladies infectieuses, sans passage préalable par les urgences. Munis d’un masque chirurgical, ils ont été reçus par du personnel portant un masque de type FFP2, une surblouse, des gants, une charlotte et des surbottes. Le prélèvement, temps potentiellement contaminant, puisque le malade ôte son masque chirurgical, a été effectué par un soignant équipé de lunettes de protection. «En pratique, nous avons pu mettre en place facilement ces mesures, et le personnel soignant s’est révélé tout à fait compliant. Il est vrai que les soignants avaient déjà été confrontés à des situations similaires en 2003 au moment de l’épidémie de sras. Les premières parties du plan Pandémie grippale est en effet assez similaire aux autres plans Maladies émergentes transmissibles par voie respiratoire et plans Biotox déjà mis en place. Néanmoins, des différences existent du fait d’une éventuelle pandémie grippale liée à la contamination interhumaine qui entraînerait un afflux massif des patients vers l’hôpital», analyse le Pr Peyramond.

En Egypte

(Pr Bruno Housset, pneumologue, hôpital de Créteil, membre de la mission déléguée par le ministère de la Santé auprès des homologues égyptiens)

En mars et en avril 2006, 12 cas humains d’infection par le virus de la grippe aviaire H5N1 ont été détectés en Egypte. Pour la première fois, un pays africain était touché par des cas atteignant l’homme. Le ministère français de la Santé a délégué une mission d’experts qui a pu analyser les données cliniques sur les 12 premiers cas recensés. L’éventail des formes cliniques était assez important, allant des formes pulmonaires habituelles à une forme majoritairement algique et à une grippe maligne évoluant vers la nécessité d’une réanimation en moins de vingt-quatre heures. Chez les 5 enfants et 7 adultes concernés, un contact avec des animaux malades a été systématiquement retrouvé. La moyenne d’âge des cas était de 17 ans. Aucune forme diarrhéique pure ni d’atteinte cérébroméningée n’ont été rapportées en Egypte. Quatre personnes sont décédés des suites de la maladie en dépit d’un traitement par oseltamivir. Tous les patients ont reçu, outre cet antiviral, une antibiothérapie à large spectre. Les conditions de prise en charge des malades étaient excellentes, et nous avons pu constater que le niveau de formation des équipes soignantes à la prise en charge de ces patients était excellent. L’information du grand public a été facilitée par l’implication d’une mère de famille d’Assouan dont les filles avaient été infectées par un contact avec des volailles malades. La mère est apparue à la télévision pour sensibiliser la population tout entière aux problèmes de contamination qui pouvaient être rencontrés par tous et en particulier par les plus jeunes.

Au Cambodge

(Dr Sirenda Wong, épidémiologiste à l’institut Pasteur)

Depuis les débuts de l’épidémie, les chercheurs et le personnel de l’institut Pasteur de Phnom Penh sont mobilisés à la fois par leur travail sur le terrain, mais aussi par l’écriture de nombreux articles et la présence à des réunions internationales sur la pandémie grippale. Le surcroît de travail est parfois effectué aux dépens des recherches habituelles. L’implication de chercheurs et de personnel local face à des cas qui, du fait de leur proximité géographique, peuvent apparaître comme dangereux permet d’avancer face à une menace qui peut être facilement matérialisée.

En Indonésie

(Dr Andrew Jeremijenko, épidémiologiste à la base de l’US Naval Medical Research, Jakarta)

Avec trente cas humains*, l’Indonésie est l’un des pays les plus impliqués dans la lutte contre les formes humaines de grippe aviaire. Et le nombre de cas animaux, contrairement au Vietnam ou à la Thaïlande, augmente encore régulièrement. Chaque nouveau cas humain peut être le point de départ d’une pandémie mondiale et les médecins indonésiens ont parfaitement pris en compte cette situation. Mais contrôler la maladie dans un pays de 240 millions d’habitants et de 1,3 milliard de poulets répartis sur 6 000 îles peut relever de la gageure. Le problème vient en particulier de l’existence de basses-cours domestiques qui permettent de nourrir des familles, voire des villages.

En Thaïlande

(Dr Les Sims, consultant local pour la FAO)

Contrairement à d’autres pays d’Asie du Sud-Est, les Thaïlandais élèvent peu de volailles pour leur consommation personnelle. Ils achètent plutôt des poulets d’élevage. A partir de 2004, des poulets sentinelles ont été répartis dans les régions d’élevage afin de mieux préciser l’existence d’infection dans les régions le plus à risque. Pour que ce programme de surveillance fonctionne, le gouvernement thaïlandais a formé des inspecteurs qui se rendent de façon très régulière dans les régions d’élevage afin d’effectuer des contrôles.

En Inde

(Dr Shahid Jameel, virologue, New Delhi).

Depuis l’apparition des premiers cas animaux en février 2006, le gouvernement indien a mis en place des mesures drastiques d’abattage dans les régions touchées. Outre ces mesures, un périmètre de sécurité et de contrôle est établi sur un rayon de trois kilomètres. Mais deux écueils de taille demeurent : la politique d’information des populations ne semble pas adéquate, puisque, tout en rassurant sur la consommation de volailles, l’Etat a choisi de ne plus servir de poulet sur les compagnies nationales de chemin de fer et d’aviation ; il semblerait que certains résultats d’analyses positives aient été transmis avec retard aux autorités locales, ce qui, pour l’instant, n’a pas porté à des conséquences graves, mais qui pourrait devenir préoccupant.

Au Nigeria

(Dr Claude Muller, OMS)

En dépit de conditions sociales et économiques qui pourraient favoriser la diffusion du virus H5N1 aux volailles et à l’homme en Afrique subsaharienne, les pays occidentaux ont eu un retard à l’implication dans l’aide à la gestion de crise après l’apparition des premiers cas animaux au Nigeria. L’OMS a aidé à la mise en place d’un laboratoire de diagnostic à l’université d’Ibadan, mais il s’agit là du seul laboratoire dans ce territoire de 129 millions d’habitants. Les mesures d’abattage des animaux ont été à l’évidence insuffisantes, et il est raisonnable de penser que le virus existe de façon endémique dans cette région, même si le nombre de cas déclarés reste faible. Au Nigeria, l’industrie d’élevage des volailles est la deuxième après celle du pétrole, et le pays fournit des poulets à de nombreux autres Etats de la région. Dans ces conditions, il faudrait réfléchir à des stratégies de vaccination adaptées dans la mesure où les campagnes d’abattage massif sont tout à fait illusoires.

En Azerbaïdjan

(Dr Guenael Rodier, OMS)

Dans ce pays d’Asie centrale, 7 cas humains ont été détectés en mars 2006. Six d’entre eux sont survenus dans une même communauté n’ayant pas de contact avec les volailles malades. Une enquête diligentée par l’OMS a conclu à un lien avec des oiseaux sauvages probablement infectés, et le gouvernement a mis en garde les populations contre certaines pratiques à risque (nourrir ou chasser des oiseaux sauvages).

En Chine

(Dr Guan Yi, virologue, Hong Kong)

En Chine, 16 cas humains ont été signalés ; 11 ont conduit au décès. Le dernier de ces cas survenu en mars 2006 à Shanghai ne semblait pas être en rapport avec une infection animale. Néanmoins, la contamination par le biais de la fréquentation d’un marché d’animaux vivants ne peut pas être écartée. En dépit d’une vaccination intensive des volailles d’élevage, seulement de 20 à 50 % des poulets vendus vivants sur les marchés sont porteurs d’anticorps anti-H5N1. Pire encore, 1 % des volailles seraient porteuses saines du virus. Ce portage est-il lié à une immunité naturelle ? La question peut se poser et seul le travail mené actuellement dans la population animale permettra de donner des éléments de réponse.

Dr I. C.

« Nature », vol. 440, pp. 726-727, 6 avril 2006.
* Fin mai, des cas supplémentaires étaient rapportés.

Un candidat vaccin anti-H5N1

Récemment, le « Lancet » a publié les résultats intéressants d’un essai de phase I avec un candidat vaccin anti-H5N1 prépandémique de sanofi Pasteur, conduit en France chez trois cents volontaires sains de 18 à 40 ans. Six formulations du vaccin grippal inactivé fragmenté A/+Vietnam/1194/2004 (H5N1) : 7,5 µg, 15 µg, 30 µg d’hémagglutinine, avec ou sans adjuvant pour chaque dosage. Deux injections ont été réalisées à vingt et un jours d’intervalle. Toutes les formulations ont été bien tolérées ; toutes ont induit une réponse immunitaire. C’est le vaccin adjuvé à 30 µg qui a induit la meilleure réponse. Deux injections de vaccin à 7,5 µg non adjuvé et à 15 µg avec ou sans adjuvant ont induit une séroconversion chez plus de 40 % des sujets. «Un régime de deux doses avec un vaccin inactivé à 30µg adjuvé était sûr et a montré une réponse immunitaire compatible avec les exigences européennes pour les vaccins lors de la saison grippale», concluent les auteurs.

Dr E. DE V. CATALA Isabelle, VIEL Emmanuel de

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7974