«JE NE SUIS PAS là pour durer, je suis là pour agir très vite»: en prononçant cette phrase devant les élus de l'UMP, Nicolas Sarkozy, accueilli ce matin à 11 heures au palais de l'Elysée par Jacques Chirac pour la passation des pouvoirs, a affiché sa volonté de transformer le pays en profondeur dès les premiers mois de son mandat.
Sur la santé et l'assurance-maladie, cependant, il faut s'attendre davantage à une réforme à dose filée, ou à une accélération de l'action engagée, plutôt qu'à une politique de rupture brutale. Reste que, sur la forme comme sur le fond, le chef de l'Etat devrait imprimer rapidement sa marque, ne serait-ce que pour endiguer la dérive inquiétante des dépenses maladie.
L'oeil de Bercy sur la santé.
Dès la fin de semaine, l'architecture du gouvernement marquera la première étape du changement, avec la dissociation attendue entre la santé (qui devrait se marier avec les Sports) et les «comptes sociaux» (« le Quotidien » du 11 mai). Ce redécoupage est loin d'être symbolique : en séparant la gestion des finances publiques (dont l'assurance-maladie) de l'action politique sur la santé, le chef de l'Etat jette aux oubliettes le principe qui prévalait depuis 2002, et qui avait permis à Jean-François Mattei, Philippe Douste-Blazy, puis Xavier Bertrand, de piloter les affaires de santé tout en tenant eux-mêmes les cordons de la bourse. Une organisation qui facilite grandement les arbitrages, par exemple pour avaliser des revalorisations tarifaires. Faut-il conclure pour autant que l'action du futur locataire de l'Avenue de Ségur sera bridée en permanence par Bercy ? Il est trop tôt pour l'affirmer, mais la profession, qui connaît la musique, a de fortes craintes. Avec cette organisation, «les choses risquent de se compliquer», redoute-t-on du côté de la Csmf, où l'on espère du moins que le « superministre » en charge des comptes publics et de la dette aura un profil «social» et non pas «techno-doctrinaire».
Le test de l'été.
Dès juillet, le monde de la santé saura à quelle sauce il risque d'être mangé. Confronté au dérapage de l'Ondam 2007 (objectif national de dépenses d'assurance-maladie), le gouvernement a en effet le choix de la thérapie, qui donnera le ton du quinquennat dans le secteur. Le remède de cheval, scénario improbable, serait un ersatz de plan Juppé, avec son cortège de mesures de redressement comptables immédiates prises sans concertation. Mais ce n'est pas le profil d'un gouvernement dirigé par François Fillon qui a fait du dialogue social et de la consultation des syndicats des priorités. La voie médiane consisterait à doser divers traitements, par exemple dans une loi de financement de la Sécurité sociale rectificative votée dès cet été, en associant des dispositions à effet immédiat, éventuellement douloureuses, mais aussi des mesures structurelles (sur le financement, par exemple).
Enfin, si la croissance dope quelque peu les recettes (rentrées de cotisations) et permet de patienter quelques mois, le gouvernement peut décider de renvoyer à la prochaine loi « Sécu » (2008), examinée à l'automne par le Parlement, l'instauration des mesures visant à équilibrer enfin les comptes sociaux et à interdire désormais tout financement de l'assurance-maladie par l'endettement. Le premier budget de la Sécurité sociale estampillé « Sarkozy » pourrait alors être assez offensif : mise en place des fameuses franchises sur les dépenses de soins (dont il faudra négocier soigneusement les modalités et les exonérations tant la mesure prête le flanc aux critiques) ; expérimentations sur la TVA sociale dans certains secteurs ; et, même, redéfinition du panier de soins remboursables avec de nouveaux transferts du régime obligatoire vers les complémentaires santé.
Afin d'équilibrer les efforts, cette première loi Sécu pourrait mettre en application deux engagements forts du candidat Sarkozy : une meilleure prise en charge des soins optiques et dentaires, et une nouvelle aide à l'acquisition d'une complémentaire santé.
Reste à savoir si les marges seront suffisantes pour tout lancer de front : le triplement du budget de la prévention, autre promesse, est annoncé «en cinq ans»; quant au grand plan contre la maladie d'Alzheimer, il ne pourra être financé du jour au lendemain.
L'épine du secteur optionnel.
Le nouveau gouvernement devra en tout cas composer avec un monde de la santé aux attentes divergentes.
En médecine de ville, la droite aurait tort de penser qu'elle joue sur du velours. Avant la fin du mois de juin, les négociations (caisses, médecins, complémentaires santé) reprendront sur un dossier politiquement sensible, la création du secteur optionnel, qui doit permettre à certains praticiens de facturer des compléments d'honoraires encadrés remboursés. Le candidat Sarkozy s'étant prononcé pour un nouvel «espace de liberté tarifaire», les arbitrages de son gouvernement sur ce sujet seront forcément attendus, notamment par les chirurgiens. La voie du secteur optionnel reste semée d'embûches, puisque, dans le cadre de cette négociation, les partenaires devront trouver des moyens pour remédier aux dépassements abusifs (les suites du rapport de l'Igas). On peut compter ici sur les confédérations de salariés, Cfdt en tête, pour exiger du gouvernement un encadrement des pratiques tarifaires. Au-delà de ce chantier à court terme, Nicolas Sarkozy n'a pas l'intention de remettre en cause les principes de la réforme de 2004 et la convention médicale de 2005 qui l'a déclinée. Cela signifie-t-il que le nouveau gouvernement s'appuiera exclusivement sur les soutiens actuels aux réformes en cours (Csmf et SML) ? Si on voit mal le futur ministre de la Santé remettre en cause cet « axe » stratégique, il pourrait donner quelques gages aux opposants, au premier rang desquels MG-France et la FMF, pour élargir sa majorité. Parmi les propos de campagne du candidat Sarkozy, personne n'a oublié l'alignement «au plus vite» du C et du CS, les incitations au regroupement ou encore la simplification administrative.
Dessiner l'hôpital de demain.
Les premières orientations pour l'hôpital public seront également analysées avec une extrême vigilance. Au cours de sa campagne, Nicolas Sarkozy a annoncé tout à la fois qu'il mènerait à bien le processus de convergence des tarifications publique et privée, réviserait le dispositif des 35 heures, réorganiserait la gouvernance, accorderait une plus large autonomie aux établissements et évaluerait les hôpitaux sur leurs résultats.
Un programme ambitieux, d'inspiration libérale, dont l'application suppose à tout le moins une large discussion avec les représentants du monde hospitalier. Là encore, la rupture devra se parer des habits de la pédagogie et de la concertation.
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