UNE MODIFICATION minime du génome d’un virus anodin isolé chez le rat peut suffire à l’émergence d’un virus mortel pour les équidés et transmissible à l’homme, le virus de l’encéphalite équine vénézuélienne (VEEV). C’est ce que viennent de démontrer des chercheurs américains qui ont utilisé la génétique inverse pour comprendre les mécanismes moléculaires à l’origine des épidémies d’encéphalites qui frappent régulièrement le Venezuela et la Colombie.
Ce travail est remarquable car les études qui ont réussi à identifier l’événement moléculaire à l’origine de l’émergence d’un virus transmissible à l’homme sont très rares. Bien que la capacité des virus à s’adapter à de nouveaux hôtes par le biais de mutations génétiques est un phénomène aujourd’hui bien connu, la nature des mécanismes qui sous-tendent ces événements d’adaptation sont finalement encore mal compris. Par exemple, alors que le VIH-1 a été identifié et isolé depuis plus de vingt ans, personne n’a encore réussi à identifier les mutations qui ont conduit à son émergence chez l’homme à partir du virus homologue présent chez le chimpanzé.
Mais le succès d’Anishchenko et coll. est certainement lié au fait qu’ils sont tombés sur un problème simple à résoudre : tout laisse penser que, pour la majorité des virus, l’apparition de plusieurs mutations est nécessaire à l’émergence de virus adaptés à de nouvelles espèces.
Le rat, réservoir naturel.
Anishchenko et coll. ont commencé par comparer la séquence génomique des souches virales avirulentes isolées à partir du réservoir naturel du virus VEEV (en l’occurrence le rat) avec celle de la souche responsable de la dernière épidémie d’encéphalite équine qui a frappé le Venezuela. Quinze mutations permettant de distinguer la souche avirulente enzootique ID de la souche IC responsable de l’épidémie de 1992-1993 ont ainsi été identifiées. Deux d’entre elles altèrent la séquence d’une protéine virale essentielle à l’entrée du VEEV dans les cellules hôtes : la glycoprotéine d’enveloppe E2. Ces deux mutations touchent une région immunodominante de la protéine E2. La première conduit au remplacement de la glycine en position 193 par une arginine, la seconde au remplacement de la thréonine 213, là encore par une arginine.
Anishchenko et coll. ont fait l’hypothèse qu’une de ces deux mutations (ou leur combinaison) pouvait provoquer l’adaptation du virus enzootique à de nouveaux hôtes en lui fournissant une meilleure clé pour entrer dans leurs cellules.
Stratégie de génétique inverse.
Pour tester cette hypothèse, les chercheurs ont utilisé une stratégie de génétique inverse : ils ont généré trois souches virales artificielles à partir de la souche enzootique ID. La première de ces souches portait uniquement la mutation de l’acide aminé 193, la seconde uniquement la mutation de l’acide aminé 213 et la troisième une combinaison des deux mutations. La virulence des trois souches artificielles a été testée in vitro au cours de sérotests puis in vivo chez le cheval.
Hautement pathogène pour les équidés et transmissible à l’homme.
Anishchenko et coll. ont ainsi pu établir que la mutation de l’acide aminé 213 est nécessaire et suffisante à l’adaptation du VEEV à l’organisme équin : le virus artificiel portant la mutation 193 reste avirulent chez le cheval et n’est pas reconnu par les anticorps présents chez les animaux et les hommes qui ont été infectés par le VEEV pendant l’épidémie de 1992-1993. En revanche, les deux souches qui portent la mutation 213 provoquent une maladie similaire à celle induite par la souche IC du VEEV chez le cheval. Ces deux souches sont en outre reconnues par les anticorps des malades humains et équins infectés par la souche IC du VEEV.
Ainsi la seule mutation de l’acide aminé 213 de la protéine E2 permet l’émergence d’un virus hautement pathogène pour les équidés et transmissible à l’homme à partir d’un virus murin.
Compte tenu du cycle de transmission du VEEV (voir figure), les épidémies d’encéphalite équine peuvent survenir dès qu’une mutation appropriée de E2 intervient dans un virus hébergé par un rat, sous condition qu’une concentration de moustiques assez importante assure la transmission du virus muté aux chevaux. Chez le cheval, le virus mutant va pouvoir se répliquer de manière intense, et augmenter ainsi le risque que les moustiques le transmettent ensuite à l’homme.
Anishchenko et coll., « Proc Natl Acad Sci USA », édition en ligne avancée.
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