Dans la nuit du 8 au 9 juin 1991, le conducteur d'une voiture volée près de Mantes-la-Jolie a renversé et tué une jeune policière. Quinze minutes plus tard, une autre voiture volée fonçait sur un policier, Pascal Hiblot, l'évitait de justesse et s'enfuyait. M. Hiblot a tiré sur le chauffard et l'a tué.
M. Hiblot avait assisté à la mort de sa collègue. Il a atteint le chauffard d'une balle qui a pénétré par la nuque. Il n'était donc pas, techniquement, en légitime défense. Acquitté en première instance, il a fait l'objet d'un appel du parquet qui rejetait la thèse de la légitime défense. Mais il a été de nouveau acquitté par le jury populaire, qui a bel et bien retenu la légitime défense. Ce qui a fait dire à la famille de la victime, Youssef Khaïf, un Algérien de 23 ans, qu'elle n'avait plus confiance dans la justice française.
Il est indéniable que les jurés n'ont pas jugé en droit mais en fonction du contexte et des larges circonstances atténuantes qu'elles ont implicitement reconnues à M. Hiblot. Face au chauffard qui fuyait devant lui, il ne courait aucun danger et les textes précisent que, dans ce cas, un policier ne doit pas se servir de son arme. Le droit estime en effet qu'un délit de fuite ne doit pas mettre en jeu la vie du coupable. Dans ces conditions, il est clair que M. Khaïf a payé son comportement dangereux à un prix excessif.
Les jurés ont pris leur décision non pas en fonction du droit, mais du bon sens. Ils ont vu que certains jeunes gens volent des voitures, se livrent à des rodéos et sont si peu respectueux de l'ordre établi que la vue d'un policier ne les effraie nullement ; au contraire, dans un cas, le chauffard n'a pas hésité à lancer la voiture sur la policière et, dans l'autre, il n'a pas obéi aux sommations.
Les avocats de la partie civile ont très bien fait leur travail : ils ont démontré qu'il n'y avait pas, en l'occurrence, de légitime défense ; ils ont rappelé que le cas précédent, qui avait bouleversé M. Hiblot (et on le comprend), a été jugé et que l'accusé a été condamné à dix ans de prison ; et qu'en conséquence il n'y avait pas lieu de faire porter à M. Khaïf la responsabilité d'un délit qui ne le concernait pas.
En d'autres termes, les avocats et la famille exigeaient que les jurés apprécient les faits froidement, dans le strict respect des dispositions du code pénal, sans se soucier des émotions de M. Hiblot qui, en somme, n'est pas autorisé à en ressentir dans l'exercice de sa profession.
Ils ont raison. Mais se livrer à un rodéo avec une voiture est une action extrêmement dangereuse qui appelle une réaction rapide et ferme des forces de l'ordre. Aussi légitime que soit le chagrin de la famille, elle ne peut pas ignorer que M. Khaïf ne se comportait pas comme un saint et que, à bord de la voiture volée, il représentait un danger pour la vie des résidents de Mantes.
Si les jurés avaient condamné M. Hiblot, ils auraient fait savoir à tous les voleurs de voiture qu'ils peuvent rouler impunément tant qu'ils ont de l'essence dans le réservoir et que nul ne peut les arrêter. Or les délits commis par M. Khaïf étaient multiples : il n'est pas permis de voler une voiture ; il n'est pas permis d'en faire une bombe roulante ; il ne vous est pas permis de poursuivre votre route si un agent de la force publique vous fait signe de vous arrêter.
De sorte que, si avait été rendue la justice des textes, une autorisation aurait été donnée d'enfreindre trois dispositions sur le vol de voiture, l'excès de vitesse et le refus d'obtempérer. On ne saurait reprocher aux jurés des Yvelines d'avoir préféré adresser une mise en garde aux voleurs de voiture : si vous volez, c'est à vos risques et périls. Nul doute que des juristes pointilleux exprimeront leur désaccord. Mais ce n'est pas en mettant le droit au service des criminels qu'on améliorera le fonctionnement de la société.
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