LE BILAN FISCAL du réseau des AGA de l’Unapl et de l’Unasa, que le « Quotidien » a pu se procurer, révèle l’impact exact du dispositif du médecin traitant (tarifs et réforme de l’accès aux soins spécialisés) sur le revenu des médecins libéraux en 2005 – après déduction des charges, mais avant impôt.
Ces résultats colligés sous l’égide de l’Observatoire des entreprises des professions libérales, qui portent sur des effectifs très significatifs (25 200 généralistes, 1 800 ophtalmos...), sont éloquents : ils montrent que la plupart des spécialités ont souffert financièrement des nouveaux parcours de soins coordonnés et « fléchés » et parfois de façon significative (jusqu’à 7 % de baisse de revenu) ; dans le cas où les disciplines étaient préservées grâce à un accès spécifique autorisé (ophtalmologie, gynécologie, psychiatrie) ou non concernées par la réforme du médecin traitant (pédiatrie), le bénéfice imposable a, au contraire, progressé. Du côté des généralistes, avec un revenu en hausse de 3,9 %, le cru 2005 se révèle moyen, d’autant qu’il suivait une année 2004 noire (– 5,1 %). On est loin, en tout cas, de la période faste 2002-2003 (+ 23 % de progression sur deux ans) qui avait suivi les revalorisations historiques du C à 20 euros et du V à 30 euros.
Etat des lieux et analyses.
Généralistes: +2800 euros par médecin
En déclarant sur leur feuille d’impôt un bénéfice moyen de 75 100 euros, les 25 200 généralistes (environ la moitié des effectifs) affiliés au réseau des AGA de l’Unapl et de l’Unasa enregistrent une hausse de 3,9 % par rapport à 2004. Ce résultat se traduit par un supplément de revenu annuel de 2 800 euros. C’est certes mieux que l’inflation, mais cette augmentation ne permet même pas de rattraper le piètre cru 2004 (– 5,1 %) qui avait été marqué par une faible activité et l’absence d’épidémies.
Plusieurs facteurs expliquent cette croissance modérée du revenu en 2005.
Au chapitre tarifaire, l’année 2005 a été marquée par des avancées que l’on pourrait qualifier de « périphériques » (pas de hausse du C de base) : forfait de 40 euros par patient en ALD pour le médecin traitant (à compter du 1er mai, mais avec de nombreux retards) et majoration de coordination (MCG de deux euros) pour le généraliste correspondant. Dès le 1er mars 2005, la création d’une majoration « nourrisson » (MNO de 5 euros) avait permis de facturer 25 euros ces actes pour tous les enfants de moins de 24 mois. En revanche, au grand dam des syndicats, le tarif de la consultation du médecin généraliste était resté bloqué à 20 euros privant les médecins généralistes du levier de revalorisation le plus efficace. Pour Olivier Aynaud, secrétaire général de l’Unapl, «l’effet tarifaire a joué en 2005 mais sans doute à la marge». Ce n’est pas l’avis de l’Unof (Csmf), signataire de la convention, pour qui ces revalorisations, certes insuffisantes,ont permis aux généralistes de tirer leur épingle du jeu. Selon le bilan du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance-maladie publié en juillet 2006, les forfaits ALD ont eu, dès la fin de l’année 2005, un impact «très important» sur la croissance des honoraires des généralistes.
A noter que l’activité 2005 a été stimulée par une épidémie de syndromes grippaux qui, pendant dix semaines, avait conduit plus de trois millions de patients dans un cabinet de médecine générale, selon les statistiques du réseau « Sentinelles ».
Pour le reste, le taux de charges professionnelles des généralistes a très légèrement diminué en 2005, ce qui permet de rogner un peu moins la marge des médecins de famille. En 2004, sur 100 euros perçus de recettes (honoraires), il restait au généraliste 57,24 euros après déduction des charges ; c’est un peu mieux en 2005 avec 57,64 euros conservés. Cette amélioration n’est que très relative : au début des années 2000, le bénéfice représentait plus de 60 % des recettes totales.
L’examen approfondi des revenus en médecine générale livre deux autres enseignements : des évolutions inégales par région et des écarts très marqués parmi les généralistes eux-mêmes. En Ile-de-France, où le secteur II est plus important, le bénéfice moyen du médecin généraliste a progressé de 4,2 % en 2005 (contre 2,5 % dans le Nord - Pas-de-Calais marqué par une forte densité de secteur I et des populations défavorisées). Quant aux écarts de revenus au sein de cette discipline, ils vont du simple au triple : quand le quart le moins fortuné des généralistes a déclaré en moyenne 38 100 euros en 2005 (un peu moins que l’infirmière ou le kiné), le quart le plus favorisé affiche un revenu de 121 400 euros, supérieur au bénéfice moyen du cardiologue.
Spécialités: prime à l’accès direct spécifique
Du côté des spécialistes, le bilan fiscal 2005 donne à la réforme du médecin traitant un goût souvent amer. La plupart des spécialités dont l’accès a été « filtré » par le passage chez le médecin traitant ont enregistré des baisses de revenu plus ou moins marquées : -1,4 % pour le cardiologue, – 4,1 % pour le dermatologue, – 6,1 % pour le pneumologue ou le gastro-entérologue, – 6,3 % pour l’ORL ou encore – 6,6 % pour le rhumatologue. Des chiffres qui confirment et précisent d’autres statistiques déjà publiées.
Si les pénalités (majoration de ticket modérateur) pour les patients hors parcours de soins ne sont entrées en vigueur qu’au 1er janvier 2006, la « pédagogie » de l’assurance-maladie sur le passage par le médecin traitant, souvent présenté comme obligatoire, a fait son effet dès le deuxième semestre 2005. «Les cabinets de spécialistes se sont vidés en quelques mois», exagère un responsable syndical.
A l’inverse, les trois spécialités préservées par un accès dit « spécifique » (accès direct autorisé sans pénalités dans ces disciplines pour les soins de première intention) ont vu leur bénéfice progresser : gynécologie médicale (+ 6,7 %) et obstétrique (+ 1,5 %), ophtalmologie (+ 4,4 %) et psychiatrie (+ 2,9 %). Quant à la pédiatrie, également en progression d’une année sur l’autre (+ 5,5 %), elle n’est pas concernée par la réforme du médecin traitant, dispositif réservé aux plus de 16 ans...
Au total, dix spécialités ont vu leur bénéfice moyen régresser en 2005 malgré diverses augmentations de tarifs accordées en parallèle. La majoration de coordination applicable à la CS (MCS de deux euros) entrée en vigueur en deux étapes selon les disciplines (mars puis juillet 2005), l’extension du C2 (avis d’expert) aux spécialistes titulaires d’un CES (juillet), l’octroi d’un nouveau dépassement autorisé (DA) pour les spécialistes de secteur I consultés en accès libre (juillet) ou encore le doublement de la majoration existante MPC (moins de 16 ans) ont sans doute permis d’amortir le choc du médecin traitant mais pas d’empêcher la casse. Pas plus que la montée en charge, progressive et inégale, de la nouvelle tarification des actes techniques (Ccam) dans les cabinets de médecine libérale, dont il faudra analyser les pleins effets en 2006.
La réalité de ces pertes nettes de revenus donne en tout cas raison aux syndicats qui ont exigé des mesures compensatoires pour les spécialités pénalisées par les parcours de soins.
Dans certaines disciplines enfin (chirurgie, ophtalmologie, gynécologie-obstétrique...), la hausse du bénéfice a surtout procédé d’un surcroît d’activité et donc de chiffre d’affaires. Mais au prix de journées qui s’allongent. «Ce qui a boosté certains revenus, ce n’est pas la nouvelle Ccam technique, qui est un trompe-l’oeil, mais un effet démographie qui augmente sans cesse le temps de travail. En province, c’est parfois quatre à six mois de files d’attente...», analyse Olivier Aynaud (Unapl).
Cet expert souligne que, de plus en plus, les «médecins sont des chefs d’entreprise» qui ont besoin de visibilité pour investir ou embaucher. Un exercice délicat lorsque leurs revenus font du yo-yo d’une année sur l’autre. Avis au gouvernement et à la Cnam.
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