POURQUOI DRAMATISER ? Si on admet que la crise du CPE peut être largement expliquée par un manque de communication du gouvernement, pourquoi en tirer la conclusion que nous sommes dans une période de division, d’appauvrissement, de tensions entre les communautés, ou même, comme certains le prétendent, de déclin ?
Le CPE n’est pas (n’était pas) la fin du monde, mais il a révélé des plaies sociales profondes : sur la mondialisation, sur la primauté de l’actionnaire par rapport au salarié, sur la fragilité des acquis sociaux, sur le manque ou même l’absence d’avenir prévisible ou visible, sur la violence, le constat est unanime. Il n’existe pas de divergence des diagnostics. Mais l’étendue et la profondeur du mal français ont accentué les clivages idéologiques : pour un groupe, l’incapacité de la France à soigner ses maux économiques tient à sa complaisance pour un modèle social dépassé par la progression des autres économies et des échanges commerciaux ; pour un autre groupe, les menaces que fait peser la mondialisation n’encouragent que trop notre gouvernement à démanteler la protection sociale et à donner des gages de plus en plus nombreux au libéralisme.
Ne pas couper la poire en deux.
Le problème est moins dans ces analyses opposées que dans le fait que la solution n’est pas à mi-chemin. Qu’un gouvernement français soit de droite ou de gauche, il est toujours tenté par le panachage des idées et des méthodes. S’il y a un vieux fond national, c’est que nous serions un peu plus malins que d’autres et que nous saurions combiner les avantages de la protection sociale et ceux du business. Cela n’est plus vrai : la multiplication des avantages sociaux financés par la dette a assuré un certain niveau de vie jusqu’au jour où elle a dévoré l’énergie des entreprises et leur capacité à produire, ce qui a entraîné à la fois un chômage massif et durable et une stagnation des salaires. En conséquence, ce qui est sûr, c’est que si nous restons attachés au modèle qui a assuré notre bonheur pendant 30 ans, mais n’a plus fait son office pendant les 30 ans qui ont suivi, nous sommes morts. Et comme cela fait 30 ans que ça dure, la réforme est très, très urgente.
Quelle réforme ? Celle qui sera adaptée à la conjoncture. En 1976, Jacques Chirac, alors Premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing, avait annoncé un plan de soutien aux chômeurs d’une générosité sans pareille : 90 % de leur salaire brut, soit plus que leur salaire net ! Le chômage avait à peine commencé à progresser, après le choc pétrolier de 1974. La communauté nationale avait les moyens de bien traiter ses chômeurs. Par la suite, comme on l’imagine, il a bien fallu déchanter et réduire les droits des sans-emploi.
De même, le contrat à durée indéterminée (CDI) est fait pour les entreprises prospères et les salariés qui souhaitent avoir un emploi stable. Les sociétés du CAC 40 offrent des CDI. Les entreprises qui débutent à peine préfèrent un contrat qui les engage moins. D’où l’idée du CPE.
Même s’il semblait rétrograde, il n’aurait pas modifié sensiblement le paysage social. De toute façon, une entreprise à bout de souffle licenciera ses salariés, quel que soit le statut dont ils bénéficient. C’est-à-dire que le CDI représente une titularisation fragile, sauf si l’entreprise est prospère. Mais un CDI dans une société qui ferme ses portes ne donne droit qu’à un licenciement, peut-être mieux indemnisé, mais pour autant que le salarié a passé quelques années dans l’entreprise. Or le CPE n’est (ou n’était) valable que deux ans. On ne voit pas bien quel retour à l’âge de pierre il aurait signifié.
CE N'EST PAS UNE CRISE HISTORIQUE, C'EST UNE MAUVAISE PASSE
Investir dans le secteur productif.
Pourtant, la question n’est pas là. La question porte sur le mal français, qui peut grosso modo s’expliquer par une insuffisance de croissance depuis trente ans. Si nous devons lutter contre la dette et les déficits publics, ce n’est pas seulement parce que nous devons respecter les critères de Maastricht (lesquels n’ont d’ailleurs pas été inventés ex nihilo pour empoisonner l’existence des Français, mais parce que les déficits orientent notre richesse vers le paiement des avantages sociaux, chômage, retraite, santé, au lieu de financer des emplois). S’il y a une correction à faire, ce ne peut être que dans ce domaine : nous devons réduire nos dépenses sociales parce que nous avons besoin d’investir de l’argent dans le secteur productif.
C’est un problème français. Le mal américain exige la thérapie inverse : il est temps que les Etats-Unis investissent dans leurs programmes sociaux et dans la protection de l’environnement. De même que la Grande-Bretagne, après avoir équilibré son budget pendant quelques années, a décidé il y a trois ans d’investir massivement dans les transports publics et l’éducation.
Mais pourquoi cette discussion sur les orientations budgétaires se transforme-t-elle en France en un débat idéologique passionné ? Vous n’aurez pas manqué de remarquer que nombre de commentateurs se découvrent un souffle historique. On lit des éditoriaux définitifs sur une période qui s’achève ou qui commence, sur le tournant, sur le déclin, sur la crise qui traduit un malaise ancien, enraciné, obsédant et qu’il va falloir extirper au prix d’une grande douleur.
Mais non. Le déclin ne serait qu’une réduction des remboursements de l’assurance-maladie, une diminution de l’assurance chômage, une baisse des indemnités de licenciement ? Cette régression de la générosité publique serait effectivement, surtout pour les plus pauvres, un coup dur. Mais pas de nature à démolir une société qui a connu d’autres épreuves. La France a besoin de s’enrichir. Elle doit donc commencer à réduire ses dépenses publiques, étant entendu qu’une croissance plus forte dégagerait ultérieurement des fonds accrus pour la protection sociale. Ce n’est pas l’apocalypse, ni une révision déchirante ni un basculement vers l’arbitraire. C’est un moment où tout le monde, solidairement, doit se serrer la ceinture. Un moment seulement, et qui n’est pas historique.
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