ALAIN DUCASSE est un homme en tout point estimable. Il a contribué à faire un art de la cuisine. Il réunit à lui seul quatorze étoiles. Mille neuf cents personnes travaillent dans ses divers restaurants. Il est parti de zéro et a conquis son empire culinaire à la force du poignet.
Il n'est pas non plus à plaindre. L'ISF frappe des personnes qui, par définition, ne sont pas pauvres ; mais il devient excessif quand le contribuable ne peut plus passer entre les mailles, quand il n'a pas envie d'investir dans les DOM-TOM, quand il ne possède pas d'oeuvres d'art. Et il est carrément intolérable quand le seul fait d'habiter un appartement ancien qui a pris une plus-value considérable risque de ruiner une petite et solitaire retraitée.
Le gouvernement a créé le fameux bouclier fiscal pour que la totalité des impôts et prélèvements versés par un contribuable ne dépasse pas 50 % de ses revenus de l'année. Apparemment, cela n'a pas convaincu les « riches », qui s'exilent au rythme de six cents par an et auraient expatrié 250 milliards d'euros depuis la mise en place de l'ISF. S'il est vrai que personne ne peut scientifiquement confirmer ce chiffre, il existe, de toute évidence, en France une allergie au fisc et un sentiment d'injustice. Lequel ne jette pas les gens dans la rue (ce n'est pas le réflexe des bourgeois), mais les jette parfois hors de France.
Civisme de base.
On ne les applaudira pas. D'abord, parce que le versement des impôts est le premier acte civique que doit accomplir tout ressortissant français ou simplement résident. Ensuite, parce qu'il y a quand même une différence entre l'assisté qui attend le paiement de son RMI et celui qui n'a plus les moyens de se payer une BMW et devra se contenter d'une voiture de cylindrée plus faible. Si l'ISF pose un problème, il ne faut pas en conclure qu'il est immoral. Il est même relativement juste : depuis le bouclier fiscal, il ne dépouille plus les assujettis à cet impôt.
LA JUSTICE SOCIALE CONFRONTEE A L'EFFICACITE ECONOMIQUE
En outre, il rapporte plus de 5 milliards d'euros à l'État, qui en a bien besoin.
Toutefois, d'une certaine manière, il est déséquilibré, et le bouclier fiscal ne remédie pas à ce déséquilibre. Le foyer qui dispose d'un patrimoine de 1,5 à 2 millions d'euros paie souvent plus que celui qui dispose de 100 millions d'euros, mais a su exploiter toutes ces fameuses niches fiscales que le gouvernement veut faire disparaître. L'ISF n'est donc pas assez progressif, il est trop lourd pour les « petits riches », trop léger pour les « gros riches ». La réforme du bouclier fiscal est insuffisante, incomplète et laisse se perpétuer des injustices.
Trop tard pour l'abolir ?
La question de fond porte sur l'utilité de l'ISF. C'est une question qui est traitée en France sous l'angle moral, alors que l'angle économique devrait seul compter. Inventé par la gauche en France, cet impôt, qui n'existe pas dans d'autres États européens, répond à un souci égalitaire. Bien qu'il fournisse une recette à l'État, il serait contre-productif puisqu'il éloignerait les riches de France et, en somme, coûterait plus cher qu'il ne rapporte. Et c'est uniquement pour ne pas déclencher les foudres de l'opposition, des syndicats et du peuple que le gouvernement qui, sans le dire, est profondément hostile à cet impôt pourtant très populaire, n'y a pas définitivement renoncé. Autrement dit, l'ISF dure parce que sa disparition accroîtrait sensiblement l'impopularité de ceux qui l'aboliraient.
Il est difficile de mesurer l'impact de la suppression de l'ISF sur notre économie. Il nous semble que l'État, ces temps-ci, ne peut pas se passer de la recette de l'ISF alors que les déficits publics demeurent élevés : il serait donc indispensable de créer de nouvelles taxes pour compenser le manque à gagner. Il faut aussi se demander si l'ISF n'a pas créé des comportements de suspicion durables à l'égard de l'État français : il n'est pas sûr que, après son abolition, les gros contribuables ne craindraient pas son retour à la faveur d'un changement de majorité. La suppression de l'ISF ne peut avoir des effets positifs qu'à long terme, quand ses assujettis potentiels seraient rassurés.
Quand on a pesé le pour et le contre, on peut être conduit à opter pour le statuquo. Il demeure que la fuite des capitaux est un phénomène négatif. Si elle retournait au pouvoir, la gauche serait tentée de renforcer l'ISF et d'interdire aux détenteurs de patrimoine de partir avec leur argent. La mesure serait « morale » et populaire. Elle serait aussi catastrophique : les capitaux privés ne vont jamais dans un pays où ils n'ont pas la liberté de sortir comme ils ont celle d'entrer.
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